
Après plusieurs heures d'incertitude, la mort du président iranien, Ebrahim Raïssi, dans un accident d'hélicoptère, a finalement été confirmée lundi 20 mai par un communiqué du gouvernement. Si, à court terme, son décès ne devrait pas bousculer la vie politique du pays, à plus long terme, il relance toutefois la délicate question de la succession du Guide suprême Ali Khamenei.
Depuis plusieurs années, les spéculations sur l'état de santé de l'homme fort du régime, âgé de 85 ans, font resurgir l'épineuse question de savoir qui pourrait le remplacer pour jouer ce rôle de numéro 1 en Iran. Ces derniers mois, deux noms émergeaient : Mojtaba Khamenei, le propre fils du Guide suprême, et, justement, Ebrahim Raïssi.
Un proche du Guide suprême face à son fils
Le président est en effet resté toute sa vie très proche de l'ayatollah Khamenei. Et il pouvait faire valoir son expérience, ayant occupé de nombreux postes clés du pouvoir. Avant d'être élu à la tête de l'exécutif iranien en 2021, dans un scrutin marqué par une forte abstention, il était passé au cœur de la justice iranienne : juge religieux, procureur puis chef du système judiciaire.
Il avait aussi occupé le poste de vice-président de l'Assemblée des experts, organe chargé d'élire le futur Guide suprême et dirigé l'empire financier de la Fondation du mausolée de l'imam Reza.
Tout au long de sa carrière, il s'est par ailleurs illustré comme l'un des rouages de l'appareil répressif du régime. Il avait notamment participé en 1988 à l'exécution de milliers d'opposants, et, plus récemment, à la réponse violente contre le mouvement "Femme, vie, liberté", né après la mort de Mahsa Amini en septembre 2022. Au moins 500 civils ont été tués en lien avec ces manifestations. Des dizaines de milliers d’Iraniens ont été arrêtés. Au moins huit ont été exécutés.
"Ebrahim Raïssi était un bon remplaçant potentiel parce que c'était un produit de l'appareil d'État. Il faisait ce qu'on lui disait de faire", résume Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l'Iran.
En succédant en 2021 à l'ancien président Hassan Rohani, il franchissait une étape cruciale avant son accession au poste de Guide suprême, selon de nombreux analystes.
Mais face à lui, un autre favori était régulièrement cité : Mojtaba Khamenei, 55 ans, le fils de l'actuel Guide suprême. "Un homme de l'ombre, très discret et peu connu du grand public", résume Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles, "mais un homme très puissant dans l'appareil politique iranien".
Pour cause, Mojtaba Khamenei occupe la direction du "Beit", le bureau du Guide suprême - une nébuleuse de conseillers chargés de l'entourer et qui infuse à tous les niveaux de l'État, des rangs de l'administration judiciaire aux services de sécurité, ou encore de la télévision d'État.
Des consultations en coulisses
Mais "même si ces noms étaient souvent évoqués", cela ne "voulait pas dire qu'Ebrahim Raïssi allait à coup sûr devenir le successeur d'Ali Khamenei", insiste Jonathan Piron. "Car, il était aussi contesté dans certains courants ultraradicaux à l'intérieur de l'establishment iranien qui lui reprochait sa faiblesse, son manque de charisme ou encore ses capacités à prendre des décisions pendant sa présidence."
Tout comme sa mort ne veut pas dire que Mojtaba Khamenei a désormais "un boulevard" pour succéder à son père, poursuit le spécialiste. "Lui aussi est critiqué par une partie de l'appareil d'État, notamment par les instances religieuses qui contestent l'idée d'une dynastie théocratique", poursuit-il. D'autres mettent en avant "qu'il n'est pas populaire dans le pays, qu'il n'est pas très connu et qu'il n'a jamais été élu."
En réalité, "tout cela n'a toujours été que spéculations. Nous sommes dans un flou très révélateur de la façon dont les décisions se prennent dans la république islamique."
En théorie, détaille-t-il, le Guide suprême est choisi par l'Assemblée des experts, un collège constitué de 88 religieux et ultraconservateurs dont les membres sont élus au suffrage universel, mais dont la candidature doit être systématiquement approuvée par un autre organe : le Conseil des Gardiens de la révolution, eux-mêmes nommés par le Guide suprême.
"Mais dans la pratique, on sait que tout se décide en coulisses", poursuit-il. "C'est ce qu'il s'est passé la seule fois où il a fallu nommer un Guide suprême : à la mort de l'ayatollah Khomeini [en 1989]. Pendant longtemps, celui qu'il présentait comme son dauphin, Ali Montarezi, était pressenti pour lui succéder. Ce dernier a finalement été marginalisé et écarté au profit d'un duo : Ali Khamenei comme Guide suprême et Hachemi Rafsandjani comme président."
"On a donc le temps de voir de nombreux noms émerger pour la succession", résume-t-il. Sans compter que d'autres acteurs de l'ombre, les Gardiens de la révolution, qui contrôlent une grande partie de l'économie et de l'appareil sécuritaire du pays, "auront certainement leur mot à dire dans le choix du successeur le moment venu", précise-t-il.
La présidentielle en ligne de mire
Pour appréhender les dynamiques en cours en coulisses, le scrutin présidentiel à venir sera révélateur. Le premier vice-président, Mohammad Mokher, qui va assurer l'intérim, devra en effet organiser une élection dans un délai maximum de 50 jours.
Et avant même le résultat, les spécialistes regarderont particulièrement les candidats qui seront autorisés à se présenter. À chaque élection, le Conseil des gardiens de la Constitution, autre organe central de la république islamique, est chargé de valider les candidatures. Lors des législatives, le 1er mars dernier, il avait disqualifié un grand nombre d'entre elles parmi les plus modérées.
Mais avec la mort d'Ebrahim Raïssi, le scrutin va se dérouler à un moment où l'Iran est particulièrement fragilisé par un mécontentement croissant de la population, des difficultés économiques, des pénuries, et un contexte géopolitique tendu par la guerre entre Israël et le Hamas. Avec une abstention très forte ces derniers mois, [la participation aux élections législatives, en mars, s'élevait à 41 %, un chiffre historiquement bas], un scrutin "totalement verrouillé", pourrait attiser la colère, selon Bernard Hourcade, du CNRS.
"Aujourd'hui, le gouvernement iranien sait qu'il y a le feu à la maison et que la survie de la république islamique est en jeu", estime-t-il. "Face à cela, deux courants s'opposent chez les conservateurs, avec les plus radicaux qui voudront rester fermes à tout prix et d'autres qui sont prêts à faire plus de concessions", poursuit-il. "La succession de Khamenei dépendra clairement de ce qui émergera de cette présidentielle", termine-t-il.
"Personne ne remplacera Khamenei"
Parmi les noms évoqués pour être candidats : le dirigeant du Parlement, Mohammad Ghalibaf, le radical Mohsen Rezaï, ancien commandant des Gardiens de la révolution, ou encore le député conservateur Mojtaba Zolnouri, mais aussi des profils plus modérés comme Manoutchehr Mottaki, ancien ministre des Affaires étrangères de Mahmoud Ahmadinejad de 2005 à 2010, ou encore l'ancien président Hassan Rohani.
De son côté, Jonathan Piron peine à croire à une ouverture des candidatures à des profils plus modérés. "Ces derniers temps, tout a été fait par Khamenei pour verrouiller les différentes assemblées et empêcher l'émergence d'un candidat qui ne ferait pas partie du cœur du régime", explique-t-il. "le régime s'est désormais trop refermé sur lui-même. Cela serait une vraie mise en danger pour lui."
"Au-delà de toutes ces considérations, le jour où l'ayatollah Khamenei mourra, le statut et l'aura du Guide suprême changera profondément", termine Bernard Hourcade. "Khamenei est puissant car il a un réseau remarquable. Tout le monde le connaît depuis 40 ans", estime-t-il. "Peu importe qui le remplacera, il ne pourra pas avoir la même influence. Personne ne le remplacera vraiment."