Depuis vendredi 10 mai, les troupes russes ont lancé une offensive dans la région de Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, au nord-est du pays. Plusieurs villages situés au nord de la ville de Kharkiv ont dû être évacués. Des équipes de volontaires chargés de rapatrier les civils de ces localités sont en première ligne et décrivent des rapatriements qui se déroulent parfois sous le feu russe.
L’offensive russe dans l’oblast de Kharkiv comprend deux colonnes : l’une se dirigeant sur Kharkiv, l’autre se déployant plus au nord vers Biliy Kolodiaz.
Des villages ukrainiens bombardés et des colonnes d’infanterie russe qui progressent malgré la riposte et les renforts ukrainiens : sur la messagerie Telegram, les images de l’offensive russe ne cessent d'affluer depuis le 10 mai.

Pour les Ukrainiens, il s‘agit de défendre leurs positions mais aussi d’organiser l’évacuation des civils. Kharkiv n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres de la frontière russe, et certaines localités plus proches encore sont déjà ravagées par les combats.
Une ville de 17 000 habitants avant la guerre est particulièrement touchée par les combats de ces derniers jours : Vovchans'k. Ses habitants se retrouvent sous le feu des bombardements et doivent être évacués.
Mercredi 15 mai, le chef de la police locale, Oleksiy Kharkivskyi, déclarait : “l'ennemi prend position dans la ville [...] nous évacuons les habitants et venons en aide à tous ceux qui en ont besoin”.

Sur des groupes Telegram privés des villes et villages du nord de Kharkiv, les messages d’appels à l’aide se succèdent à un rythme effréné : “il y a une femme allongée et deux personnes handicapées qui attendent d’être évacuées” ; “s’il vous plaît, évacuez ma grand-mère de 87 ans”.

Les messages proposant de l’aide sont également nombreux : “les familles qui ont quitté Vovchans'k, contactez-moi si vous avez besoin d’aide” ; “j’ai une voiture, je suis disponible pour aller chercher des gens à partir de 9 heures”.
Les habitants peuvent également compter sur plusieurs ONG et associations en charge du rapatriement des civils. Ces structures locales et nationales, souvent constituées de bénévoles, mettent en place des standards d’appels téléphoniques permettant d’être joints par les habitants, qui s’échangent ces précieux numéros sur des canaux Telegram privés.
“On essaye de rassurer les gens, pour nous, le soutien émotionnel est très important.”
Dina Urich est coordinatrice des évacuations pour l'organisation ukrainienne basée à Kharkiv “Helping to Leave”.
“Nous avons un numéro de téléphone, les parents ou les personnes elles-mêmes nous disent où ils se trouvent et le nombre de personnes à évacuer. Ils nous fournissent également tous les détails à prendre en compte comme la présence d’animaux de compagnie, les problèmes de santé ou de mobilité. Ensuite, nous créons une liste par village. Il est important de se coordonner avec les autorités et la Croix-Rouge pour ne faire qu'une seule liste afin d‘éviter la confusion car nous travaillons avec de nombreux partenaires. Ensuite, nous envoyons une équipe de volontaires pour évacuer les civils. Avant l’arrivée des bénévoles, nos standardistes sont en lien permanent avec les habitants, on essaye de les rassurer : pour nous, le soutien émotionnel est très important.
Certaines personnes s'organisent d'elles-mêmes pour partir. Nos bénévoles sont sur les divers groupes Telegram afin de parler en continu avec les habitants. Pour nous, il est vital de suivre avec attention les évacuations spontanées via les réseaux sociaux.
Cette zone est bombardée depuis longtemps, les gens sont habitués aux tirs, s’ils veulent partir, c’est que la situation est très tendue. Les civils que nous avons aidés sont souvent des personnes âgées ou des gens qui ont des difficultés pour se déplacer et qui n’ont pas souhaité partir avant.
“Nous savions que la situation allait être compliquée, mais les gens ne nous croyaient pas.”
Par exemple, à Vovchans'k, nous savions depuis le 9 mai que la situation allait être compliquée, mais les gens ne nous croyaient pas. C’est à partir du 10 mai que nous avons reçu des appels.
Pour certaines équipes de volontaires, la situation a été très dangereuse. Le 13 mai, il y avait encore des combats dans Vovchans'k, les volontaires ont donc dû quitter la ville sur ordre de la police. Quand les Russes ont été repoussés dans la nuit, les équipes ont pu reprendre les évacuations. Sur le terrain les bénévoles s’exposent beaucoup, les vitres d’une des voitures de l’ONG [spécialisée dans l’évacuation de civils, NDLR] ‘Yspasen’ ont été détruites suite à un bombardement.
Une fois les habitants des villages évacués, ils sont logés dans des écoles de Kharkiv où la situation est plus stable. Nous procédons ensuite à des visites médicales [...] dans la mesure du possible, nous essayons de convaincre les gens de bouger plus à l’ouest de Kharkiv, mais en général, ils ne veulent pas partir trop loin.
Sur les canaux Telegram, les habitants récemment évacués multiplient les messages de remerciement pour les bénévoles.
Au total, selon le maire de Kharkiv, près de 8 000 civils ont été évacués des villages proches de la ligne de front. D'après l’élu, 6 000 d’entre eux ont été relogés dans sa ville. Bien que fréquemment bombardée, l’évacuation de la ville de Kharkiv n’est pas à l’ordre du jour selon lui. En effet, plusieurs spécialistes s’interrogent sur les objectifs réels de l’offensive russe qui n’aurait pas pour but de prendre Kharkiv.
Les évacuations de civils ne signifient pas nécessairement que les forces russes vont s’emparer d’une localité. Les autorités ukrainiennes évacuent régulièrement les civils pour les protéger des bombardements de routine.
Le rythme de l’offensive s’est ralenti dès le mardi 14 mai. Mais les forces russes semblent concentrer leurs efforts sur la prise de Vovchans'k et leur progression en direction de Lyptski [les deux villes ont été évacuées, NDLR].
Les troupes russes ont probablement l’intention de fixer les forces ukrainiennes dans l’oblast de Kharkiv afin de réaliser des gains dans d’autres zones de la ligne de front. Ils n’ont pas encore déployé de troupes assez nombreuses pour s’emparer de la ville de Kharkiv.
Les Russes tentent donc de détourner les ressources et la main-d’œuvre ukrainienne des oblasts de Louhansk et de Donetsk [des zones au sud-est de la région où se déroule l’offensive, NDLR] afin de les obliger à se concentrer sur Kharkiv. Ils veulent probablement exploiter les pénuries de main-d’œuvre et de matériel ukrainiens et ainsi forcer l’Ukraine à mobiliser des ressources qu’elle aurait pu déployer ailleurs.
Les troupes du Kremlin veulent également mettre en place une zone tampon afin de sécuriser leur frontière avec l’Ukraine.
Les villes russes situées à proximité de la frontière ukrainienne sont fréquemment soumises aux bombardements ukrainiens, comme celle de Belgorod. Si l’issue militaire de l’offensive russe reste donc incertaine, les civils paient d’ores et déjà le prix fort des combats.