![Comores : les garde-côtes tirent sur une femme qui allait à Mayotte retrouver ses enfants Comores : les garde-côtes tirent sur une femme qui allait à Mayotte retrouver ses enfants](/data/posts/2024/04/29/1714409343_Comores-les-garde-cotes-tirent-sur-une-femme-qui-allait-a-Mayotte-retrouver-ses-enfants.jpg)
Le 21 avril, Nadia M., une femme de 29 ans originaire de l’île de Mohéli, aux Comores, a été touchée par un tir des garde-côtes comoriens, alors qu’elle se trouvait à bord d’un kwassa-kwassa - le nom des embarcations traditionnelles utilisées par les passeurs pour rejoindre Mayotte de façon illégale. Cet événement s’est déroulé au large de l’île d’Anjouan, située à une soixantaine de kilomètres de Mayotte.
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Blessée, elle a été ramenée à terre par les passeurs à Anjouan. Elle a d’abord été déposée au centre de santé de Pomoni, où elle a reçu des premiers soins, avant d’être transférée à l’hôpital de Hombo, à Mutsamudu.
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“Elle a reçu une balle dans la partie lombaire”
Nayib Salim est le directeur général de l’hôpital de Hombo.
Quand elle est arrivée chez nous, elle était agitée et en état de choc. Elle avait quand même reçu une balle dans la partie lombaire. Nous l’avons opérée au bloc opératoire, et la balle a été retirée. Nous l’avons aussi mise sous stomie. Elle est sortie de l’hôpital le 24 avril, dans un état stable, après avoir signé une décharge. Depuis mon entrée en fonction dans l'hôpital, il y a trois ans, je n'avais encore jamais vu quelqu’un blessé par balle.
“Elle a deux enfants à Mayotte, qu’elle voulait retrouver”
Notre rédaction a également échangé avec un membre de la famille de Nadia M., le 26 avril. Il a tenu à garder l’anonymat.
Moralement, elle ne va pas très bien. En fait, elle vivait à Mayotte depuis 2016. Elle a deux enfants là-bas. Elle y travaillait comme femme de ménage. Elle était en situation irrégulière. En 2023, elle a été expulsée lors de l’opération “Wuambushu 1” [opération policière française déclenchée à Mayotte fin avril 2023, notamment pour expulser les étrangers en situation irrégulière, NDLR].
Donc elle est revenue aux Comores. Elle a d’abord passé un mois à Anjouan, puis un mois à Mohéli, à Itsamia, son village d’origine. Puis elle est retournée à Anjouan, où elle a travaillé comme serveuse, pour récolter de l’argent, dans l’optique de payer la traversée pour retourner à Mayotte, pour y retrouver ses enfants. Ce qui s’est passé [le 21 avril] l’a traumatisée, car elle pensait vraiment à eux.
Après sa sortie de l’hôpital, Nadia a repris un kwassa-kwassa avec sa sœur, pour se refaire opérer à Mayotte. Mais elles ont été attrapées par la police aux frontières à Mayotte, donc sa sœur a été renvoyée aux Comores, tandis que Nadia a été accueillie dans un hôpital.
Arrestation de l’auteur du tir
Le 23 avril, le procureur de la République près du tribunal de Mutsamudu a annoncé que le militaire responsable du tir avait été placé en détention et qu’une enquête avait été ouverte (les garde-côtes appartiennent aux forces armées des Comores : ils ont donc un statut de militaire). Il a aussi indiqué condamner ce qui s’était passé. Selon lui, les garde-côtes tentaient d’empêcher plusieurs embarcations de se rendre à Mayotte, et des passeurs auraient refusé de coopérer : l’un d’eux aurait alors procédé à un tir de sommation ayant blessé Nadia M.
Contacté par notre rédaction, l’Espace Anjouan Mayotte pour la solidarité et la concorde, une association basée à Mayotte, indique :
Nous n’avons jamais entendu parler de personnes blessées par les garde-côtes comoriens. Ce sont plutôt les garde-côtes à Mayotte qui poursuivent les embarcations, et quand elles essaient de s’enfuir, ils leur rentrent parfois dedans, volontairement ou pas. En général, les garde-côtes comoriens eux les laissent partir.
“Des bavures sont régulièrement commises par les militaires comoriens”
Ahmed (pseudonyme) est l’un de nos Observateurs aux Comores. Lui aussi a tenu à garder l’anonymat, par peur de représailles.
J’ai des amis qui connaissent des passeurs. Apparemment, ils paient les garde-côtes comoriens pour qu’ils les laissent partir [une pratique également rapportée par le quotidien Le Monde, NDLR], mais le passeur qui transportait Nadia n’aurait pas payé. Avant, on disait que c’était la police aux frontières à Mayotte qui faisait couler les embarcations. Mais désormais, certains passeurs disent que les garde-côtes comoriens le font aussi.
Ce qui s’est produit n’est pas étonnant car des bavures sont régulièrement commises par les militaires comoriens. Lors des élections en janvier, un jeune de 21 ans a été tué par balle. Les autorités ne font rien pour que les jeunes restent au pays.
En novembre 2023, un autre jeune de 21 ans a été tué par le tir d’un militaire comorien, lors d’une bousculade en marge d'un match de football entre l'équipe nationale et le Ghana. Le militaire a été placé en détention provisoire, jusqu’à son évasion de prison le 11 avril.
Notre rédaction a envoyé des messages aux garde-côtes comoriens et à l’Armée nationale de développement, à laquelle ils sont rattachés, restés sans réponse.
Des accidents ont régulièrement lieu entre les Comores et Mayotte. Selon un rapport du Sénat publié en 2012, entre 7 000 et 10 000 personnes auraient péri en mer en tentant de réaliser ce trajet entre 1995 et 2012. Ces chiffres sont repris notamment par la Cimade, dans un rapport publié en 2020, qui indique que 1995 correspond à l’année de l’instauration du “visa Balladur” : “Ce visa, imposé par la France, est quasiment impossible à obtenir pour une grande partie des personnes comoriennes qui n’ont alors d’autre choix, pour rejoindre l’île de Mayotte depuis Anjouan, que d’emprunter [...] les kwassa-kwassa.” Certains articles parlent désormais de 20 000 morts.
Un an après l’opération “Wuambushu 1”, le gouvernement français a annoncé le 16 avril le lancement d’une nouvelle opération baptisée “Mayotte place nette”.