La présidente de l’université de Columbia, Minouche Shafik, fait face à d’intenses pressions alors que son campus est au centre du mouvement de manifestations pour dénoncer la réponse militaire israélienne à Gaza. Un test pour cette femme au parcours sans faute jusqu'à présent.
Attaquée de toutes parts. Étudiants, enseignants et politiciens ont pris en grippe Minouche Shafik, présidente de l’université de Columbia, dans un contexte de manifestations à répétition sur son campus en réaction à la guerre entre Israël et le Hamas.
Le sénat de Columbia, un organe consultatif représentant les quelque 36 000 étudiants et enseignants du célèbre établissement privé d’enseignement supérieur de New York, se penche vendredi 26 avril sur une mesure de censure de la directrice.
Appels à la démission
La cote de popularité de Minouche (son vrai prénom est Nemat) Shafik sur le campus vacille dangereusement. Elle est accusée de ne pas avoir suffisamment défendu les “valeurs de l’université” lors d’une récente audition devant le Congrès et d’avoir sacrifié la liberté d’expression en faisant appel, jeudi 18 avril, à la police pour disperser un rassemblement pro-palestinien.
Même si elle survit à la décision du sénat de l’université, elle doit aussi tenir bon face à la pression politique… venant essentiellement des milieux ultraconservateurs. Ainsi, Mike Johnson, le très droitier président de la Chambre des représentants, a appelé à sa démission mercredi 24 avril, estimant que Minouche Shafik n’était pas suffisamment ferme face “aux actes antisémites” sur le campus.
Quelques jours plus tôt, plusieurs élus républicains lui avaient adressé une lettre ouverte déplorant son absence d’autorité face à “l’anarchie qui règne sur le campus”.
L’université de Columbia apparaît en effet comme le “ground zero” d’une nouvelle vague de manifestations contre la guerre menée par Israël à Gaza. Un mouvement qui s'est déjà propagé à 67 campus aux États-Unis en une semaine. Et à ce titre, Minouche Shafik est actuellement l’une des personnes les plus exposées dans un pays profondément divisé face à la réponse de l’État hébreu aux attaques du Hamas le 7 octobre.
“Sa situation est comparable à une personne qui essaierait de faire des claquettes sur un surf alors que les vagues gagnent en intensité”, a reconnu Ted Mitchell, président du American Council on Education (un syndicat d’enseignant dans l’enseignement supérieur), interrogé par le Washington Post.
L'élue parmi 600 candidats
Minouche Shafik doit peut-être même regretter ce qu’elle déclarait au quotidien Les Échos en 2022. À l’époque, elle était à la tête de la prestigieuse London School of Economics (LSE) et assurait, enthousiaste, que “la chose la plus extraordinaire quand on dirige une université, c'est que tous les enjeux mondiaux se manifestent sur votre campus”.
Elle avait alors dû gérer les récriminations d’étudiants chinois et palestiniens contre une œuvre d’art installée dans l’enceinte de la LSE. Elle représentait un globe terrestre à l’envers sur lequel les territoires palestiniens n’apparaissaient pas et qui faisait de Taïwan un État indépendant.
Mais la violence des critiques n’étaient rien en comparaison de la tempête universitaire déclenchée aux États-Unis par la guerre entre Israël et le Hamas.
En juillet 2023, lorsque Minouche Shafik est choisie, parmi 600 candidats pour devenir présidente de l’université de Columbia, le poste avait tout de la consécration d’une carrière bien remplie. Elle devient la première femme à diriger un établissement de l’Ivy League (le club des meilleurs université des États-Unis).
“C’est la candidate idéale”, avait déclaré Jonathan Lavine, alors président du conseil d’administration de l’université. Née de parents égyptiens ayant fui les nationalisations du président Gamal Abdel Nasser dans les années 1960, elle est arrivée aux États-Unis à l'âge de quatre ans. Après des études prestigieuses à la fois aux États-Unis et en Angleterre, elle va entamer une ascension rapide dans le milieu très fermé des grandes institutions internationales.
À 36 ans, elle devient la plus jeune vice-présidente de la Banque mondiale. Après un passage dans l’administration britannique comme conseillère à l’aide au développement, elle devient aussi directrice adjointe du Fonds monétaire international (FMI) entre 2011 et 2014.
"Baronne de Camden et d'Alexandrie en République arabe d'Égypte"
Retour, ensuite, au Royaume-Uni où Minouche Shafik occupe le poste de vice-gouverneure de la Banque d’Angleterre jusqu’en 2016. Un an plus tard, cette femme qui détient aussi bien les nationalité britannique, égyptienne, qu'américaine prend la tête de la London School of Economics. La reine d’Angleterre décide, en 2020, de l’anoblir pour services rendus à la Couronne et la nomme “baronne de Camden et d'Alexandrie en République arabe d'Égypte”.
Après son parcours professionnel britannique, le rôle de présidente de l’université de Columbia devait lui permettre d’ajouter un poste prestigieux aux États-Unis à un CV sans faute.
Mais quatre mois seulement après sa nomination, la guerre éclate au Moyen-Orient. Très vite, les premières manifestations de solidarité au peuple palestinien agitent les campus nord-américains. Minouche Shafik semble, tout d’abord, mieux s’en tirer que ses collègues de Harvard et de l’université de Pennsylvanie qui ont dû démissionner fin 2023-début 2024.
La raison : Minouche Shafik avait refusé de se rendre à une audition du Congrès, au sujet de l’antisémitisme sur les campus, qui s’était transformée en chambre d’accusation pour les présidents d’université.
Mais le 17 avril, elle a finalement accepté une deuxième invitation du Congrès. Évitant les erreurs de ses collègues, elle s’est montrée très conciliante avec les députés les plus conservateurs, s’excusant à plusieurs reprises de ne pas avoir fait plus pour lutter contre l’antisémitisme.
Cette déférence lui vaudra en revanche de vives critiques de la part des étudiants et des enseignants. “Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de personnes pro-Minouche sur le campus actuellement”, a affirmé un étudiant interrogé par le Washington Post. “Elle a perdu le privilège de diriger l'une des grandes universités au monde, en ne se battant pas pour nos valeurs”, a ajouté Christopher Brown, un professeur d’histoire à Columbia.
Elle va encore aggraver son cas en décidant, un jour plus tard, de faire venir la police pour disperser un rassemblement pro-palestinien. Plus de 100 personnes seront interpellées ce jour-là.
Les images de l’intervention n’ont pas manqué de rappeler la répression des manifestations contre la guerre du Vietnam en 1968… sur le campus de l’université de Columbia. “Appeler la police sur le campus constitue une violation flagrante de la culture [de liberté d’expression] des universités américaines”, a résumé Donna Lieberman, directrice de l’Union des libertés civiles de New York, interrogée par le site Vox.
Pour sa défense, Minouche Shafik a affirmé dans un communiqué que des “circonstances extraordinaires avaient nécessité la prise de mesures extraordinaires”.