Nouvelle décision alarmante pour les droits des femmes. Le Parlement italien a voté une loi qui autorise les organisations anti-avortement à accéder aux consultori, ces cliniques de consultation publiques par lesquels les femmes doivent passer pour accéder à une IVG (interruption volontaire de grossesse). Cette mesure a été introduite par un amendement de Fratelli d’Italia, le parti d'extrême droite de la présidente du Conseil, Giorgia Meloni
Cette disposition, adoptée mardi 23 avril, permet aux régions d’accorder l'accès aux groupes "ayant une expérience qualifiée dans le soutien à la maternité". Pour le gouvernement, la mesure ne fait que répondre à l'objectif initial de la loi de 1978 légalisant l'avortement - connue sous le nom de loi 194 - et vise à donner aux femmes la possibilité de réfléchir avant de prendre une décision définitive sur leur grossesse.
Pour le Parti démocrate et le Mouvement 5 étoiles, les principaux partis d'opposition italiens, la mesure constitue une première étape vers la remise en cause du droit à l’avortement, comme ils l'avaient redouté lors de l’élection de Giorgia Meloni en 2022. “La loi 194 faisant l'objet d'un large consensus, [le gouvernement] la contourne, la boycotte, la vide de sa substance et rend sa mise en œuvre difficile", écrit Cecilia D'Elia, sénatrice du Parti démocrate (centre gauche), dans une tribune publiée sur le site d'informations L'Unità.
Une décision “profondément regrettable”
“La loi de 1978 était une avancée majeure en matière de droits des femmes”, se remémore Silvana Agatone, gynécologue et présidente de l’association Laiga pour l’application du droit à l’avortement. “Elle plaçait la femme au centre du processus de décision, lui permettant de faire un choix librement et en toute conscience.”
Selon le texte de loi, l'avortement est autorisé jusqu’à 12 semaines de grossesse, ou plus tard si la santé ou la vie de la femme est en danger. Elle contient le financement public des consultori qui permettent aux femmes d’obtenir le certificat nécessaire à une IVG, mais également de s’informer en matière de santé sexuelle et de contraception – qui n’est pas sans rappeler le planning familial en France.
“En imposant la présence de personnes [anti-avortement, NDLR] non-qualifiées dans les consultori, le gouvernement porte atteinte à cette loi”, dénonce Silvana Agatone qui déplore "le gaspillage de ressources publiques qui auraient pu être allouées à des services d'accompagnement à la maternité, de soutien social, de gynécologie et de pédiatrie.”.
“Ces individus, dont les motivations et les compétences restent floues, pourront désormais s'immiscer dans l'espace privé des femmes et les influencer négativement. Ils risquent de diffuser des informations erronées et de culpabiliser les femmes. Cette décision gouvernementale est profondément regrettable.”
“Satisfaire une frange de la classe politique et religieuse”
Farouchement opposée à l’avortement, Giorgia Meloni s’est pourtant engagée à plusieurs reprises à respecter la loi de 1978 sans la modifier, tout en promettant qu'elle veillerait à son application complète.
La présidente du Conseil a également souligné l'importance d'encourager les femmes à avoir des enfants pour inverser la crise démographique en Italie, où le taux de natalité est très bas et diminue depuis 15 ans. Les partisans conservateurs de Giorgia Meloni, soutenus par le Vatican, ont lancé une campagne pour augmenter le nombre de naissances à au moins 500 000 par an d'ici 2033, contre 379 000 naissances l’année dernière.
"Cet amendement vise avant tout à satisfaire une frange de la classe politique et religieuse italienne, en feignant de résoudre un problème”, analyse Ludmila Acone, historienne spécialiste de l'Italie. “En réalité, elle introduit des éléments qui s'écartent du champ du droit. En effet, faire intervenir des associations, notamment de type religieux, n'a que peu de rapport avec la question du droit des femmes à disposer de leur corps.”
En Italie, l’accès à des avortements sécurisés est déjà difficile, car la loi de 1978 autorise les professionnels de santé à se déclarer objecteur de conscience et à refuser de pratiquer des avortements. Selon le dernier décompte du ministère de la Santé, 63,6% des gynécologues refusaient de pratiquer l’intervention en 2021, un chiffre atteignant 80 % dans plusieurs régions selon un rapport de l'association Luca Coscioni.
“Cette clause de conscience a été détournée de son objectif initial, et a conduit à une pénurie de praticiens disponibles pour effectuer des IVG dans les hôpitaux publics”, explique Ludmila Acone. “Profitant de cette situation, de nombreux médecins objecteurs de conscience pratiquent désormais des avortements dans leur cabinet privé, générant ainsi des revenus supplémentaires.”
“Des mots sur le papier”
Dans plusieurs régions dirigées par la droite, des groupes "pro-vie" ont déjà accès aux consultori, dont l’ONG Pro Vita e Famiglia (“Pro-vie et famille”, en français), qui milite pour modifier la loi italienne afin d'imposer l'écoute du "battement de cœur fœtal" aux femmes désirant avorter. Ils ont déjà collecté plus de 100 000 signatures pour soutenir leur initiative.
“Cette situation nous ramène en 2009, lors de la légalisation de la pilule abortive Ru486 en Italie", raconte la gynécologue Silvana Agatone. “Des campagnes de désinformation, utilisant l'image de Blanche-Neige prétendument empoisonnée par le médicament, étaient placardées dans les rues. Ces informations mensongères provoquent une peur injustifiée chez les femmes et visent à les culpabiliser psychologiquement.”
Alors que l'Italie se mobilise face à de nouvelles menaces sur le droit à l'avortement, d'autres pays européens empruntent un chemin diamétralement opposé. Sa voisine, la France, a inscrit la liberté de recourir à l'IVG dans sa Constitution, le 8 mars dernier.
Un an auparavant, Malte, pays à forte tradition catholique, a également franchi un cap en assouplissant ses lois sur l'avortement qui figuraient parmi les plus restrictives de l'Union européenne. En Pologne, des voix s'élèvent au sein du corps législatif pour contester l'interdiction quasi-totale de l'acte imposée par le précédent gouvernement de droite.
De son côté, la gauche italienne redoute que la décision de la Cour suprême américaine d’annuler l’arrêt Roe vs Wade en juin 2022, n'inspire des initiatives similaires en Italie. Lors d’une conférence sur les femmes, mardi, Elly Schlein, présidente du Parti démocrate italien, a insisté sur la nécessité pour le pays de fixer un quota obligatoire de médecins prêts à effectuer des avortements dans les hôpitaux publics, “sinon ces droits ne resteront que des mots sur le papier”.