Les 9 et 10 avril dernier se sont tenus les quarts de finale de la plus grande compétition européenne de football, la Ligue des champions. Des matchs sous haute tension sportive, mais aussi sécuritaire : quelques jours auparavant a commencé à circuler en ligne un visuel, attribué par de nombreux observateurs à l'organisation État islamique (EI), et encourageant à commettre des attentats lors de ces différents matchs.
Sur l'image, un homme cagoulé et vêtu de noir tenant une kalachnikov se tient au centre du montage, accompagné du titre : "Tuez-les tous". Derrière lui, les quatre stades dans lesquels allaient se tenir les matchs sont présentés, dont le Parc des Princes à Paris.
Massivement partagé et commenté en ligne, ce visuel a même suscité les réactions du ministre de l'Intérieur français, Gérald Darmanin. Le 9 avril, le ministre a évoqué face aux médias "une menace caractérisée évoquée publiquement par l'État islamique". Ce dernier a déclaré avoir vu la "communication de l'État islamique qui vise particulièrement les stades", menace qui ne serait "pas nouvelle".
Le lendemain matin, l'inquiétude était malgré tout retombée d'un cran. La porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, a indiqué la 10 avril, le jour du match Paris Saint-Germain - FC Barcelone, qu'il n'y avait "pas de menace avérée" d'attentat sur la rencontre à Paris, appelant toutefois à une "prudence [...] de chaque instant".
Des affiches non-officielles de l'État Islamique
Comme ce visuel, plusieurs autres images similaires ont menacé directement des événements sportifs. Ces visuels, qui ont commencé à circuler depuis fin mars, ont encouragé, entre autres, à commettre des attaques au couteau, voire au drone, contre les enceintes sportives des différentes villes, à Londres comme à Madrid.
Fin mars, une autre affiche publiée en ligne appelait aussi des loups solitaires à attaquer durant les JO de Paris.
Mais que sait-on de l'origine de ces visuels ? "Ces affiches n'ont rien d'officiel et n'ont jamais été reprises par les canaux officiels de l'État Islamique", tempère le journaliste et spécialiste des mouvements jihadistes à France 24 Wassim Nasr.
Le 9 avril, le journaliste avait déjà indiqué sur X que ces images n'émanaient pas "directement" de l'EI et étaient plutôt créées par "des sympathisants anonymes du groupe sur Internet".
Avis aux amateurs, pour le moment l'#EI n'a jamais menacé nommément les JO 2024 de #Paris #France . Toutes les menaces qui circulent sont l’œuvre de sympathisants anonymes du groupe sur internet.
— Wassim Nasr (@SimNasr) April 8, 2024"Certaines de ces affiches sont le fait de soutiens de l'État islamique sur les réseaux sociaux, même s'il est difficile de retrouver la source précise", précise-t-il aux Observateurs. "Et d'autres sont le fait de médias parallèles et soutiens de l'État Islamique au Khorassan."
L'affiche diffusée quelques jours avant les quarts de finale de Ligue des champions n'a en effet pas été diffusée par les réseaux officiels de l'EI, mais par le média Al-Azaim Foundation, issu de l'État islamique au Khorassan en Afghanistan. Cette branche serait celle à l'origine des 145 morts de l'attentat du Crocus City Hall près de Moscou le 22 mars dernier.
"L'État islamique au Khorassan est une branche officielle de l'État islamique, mais la propagande qu'il diffuse n'est pas officielle et n'émane pas du commandement central de l'EI", précise Veryan Khan, présidente et directrice générale de l'organisme de veille sur les mouvements terroristes, Trac, interrogée par les Observateurs de France 24.
L'affiche mentionnant les Jeux olympiques était de son côté issue du "média non-officiel" affilié à l'EI Hadm Al Aswar, comme l'a indiqué Trac sur son site.
"La menace est concrète et constante"
Les deux spécialistes rappellent que l'EI ne communique jamais précisément sur ses attaques terroristes en amont. "Si l'État islamique préparait un grand coup contre les stades, il n'en parlerait pas en amont et ne publierait jamais d'affiches détaillées", souligne Wassim Nasr. "Avant l'attentat du Crocus City Hall, on n'entendait pas parler de Moscou dans leurs communications", indique de son côté Veryan Khan.
Cela ne signifie pas pour autant qu'aucune menace n'existe. "La menace d'attentat est concrète et constante", indique Wassim Nasr. "Mais s'il y a quelque chose à prendre au sérieux, ce ne sont pas ces affiches, mais les menaces proférées par le porte-parole de l'EI qui a appelé à des attentats."
Dans un message audio diffusé le 28 mars sur les canaux officiels de l'EI, le porte-parole de l’organisation, Aboe Hoedhayfah Al-Ansari, a appelé des "loups solitaires" à s’en prendre spécifiquement aux chrétiens et juifs en Europe et aux États-Unis.
Aucune menace officielle de l'EI visant explicitement des matchs de football ou les Jeux olympiques n'a toutefois été évoquée, ni dans le message audio du porte-parole, ni via d'autres canaux.
"Ce serait une erreur d'ignorer ces affiches"
D'où un appel à la précaution de la part de Wassim Nasr : "des menaces comme celles-ci, on en observe tous les jours, il faut savoir faire le tri. Mais le coup est réussi car l'effet recherché est atteint de part la reprise médiatique et institutionnelle mondiale de ces menaces", remarque-t-il.
Ces images ont par ailleurs été relayées par de nombreux canaux prorusses à des fins de déstabilisation. Le site Pravda-FR, identifié en février par le Service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) comme l'un des rouages d'un réseau de propagande prorusse dénommé Portal Kombat, a notamment diffusé plusieurs de ces visuels mettant en avant des menaces sur des matchs de football ou les JO de Paris.
Pour Veryan Khan, les affiches diffusées ces dernières semaines ne doivent toutefois pas être ignorées. "Même si ces affiches ne sont pas officielles, elles représentent aussi un moyen pour l'État islamique de maintenir la pression sur l'Europe", indique-t-elle, précisant qu'elles sont "soutenues officieusement" par le commandement central de l'EI.
"Il est logique de renforcer le niveau de sécurité et ce serait une erreur catégorique de les ignorer. Ces affiches peuvent provoquer d'autres types d'attaques, non pas lors de l'événement lui-même, mais lors d'événements similaires", conclut-t-elle.