En Croatie, sur les rives du Danube, Vukovar est une ville martyre. À la frontière avec la Serbie, elle a été le théâtre de la première grande bataille des guerres qui ont ensanglanté les Balkans dans les années 1990. Quatre ans avant le génocide de Srebrenica et huit ans avant la guerre au Kosovo, Vukovar a été la première ville de l’ancienne Yougoslavie à subir un nettoyage ethnique, en 1991. Plus de trente ans après, entre les Serbes locaux et les Croates, la réconciliation se heurte à l'impunité des crimes de guerre, et aux dissensions enfouies du récit.
En 1990, la fédération yougoslave se disloque. La Croatie marche vers son indépendance ; le président serbe, Slobodan Milosevic, lui, rêve d'une "grande Serbie". Pour pousser les Serbes de Croatie à l'insurrection, sa propagande accuse tous les indépendantistes croates d'être des "Oustachis" – des héritiers idéologiques de l'État fasciste croate qui, entre 1941 et 1945, a perpétré des massacres de masse contre les Serbes et les juifs. À Vukovar, les Serbes se soulèvent et proclament la "Krajina" : une entité indépendante, sur près d'un tiers du territoire croate. Les Croates prennent aussi les armes pour défendre l'intégrité territoriale de la Croatie indépendante. L'indépendance est proclamée le 25 juin 1991.
Deux mois plus tard, Slobodan Milosevic lance l'armée yougoslave, passée sous ses ordres, à l’assaut de Vukovar. Le siège de la ville dure trois mois, du 25 août au 18 novembre. Vukovar est rasée, les combats font 2 000 morts, 2 500 invalides et 2 700 disparus. La prise de la ville s'accompagne de nombreuses exactions, perpétrées par l'armée et des milices serbes.
Voulant instaurer un territoire ethniquement serbe, Slobodan Milosevic fait déporter plus de 20 000 Croates. Nombre d’entre eux sont détenus et torturés dans des camps de concentration en Serbie. Les Croates ne pourront revenir à Vukovar qu'en 1996, en vertu d'un accord de réintégration pacifique de la région de Slavonie orientale à la Croatie.
À ce jour, d'innombrables crimes de guerre demeurent impunis. Piloté par l'ONU, le processus de réintégration, qui s'est déroulé pendant deux ans, entre 1996 et 1998, a permis de restaurer la paix. Mais à quel prix ?