
La vérification en bref
- Plusieurs comptes pro-israéliens partagent une photo de l'ambassade d'Iran à Damas, en Syrie, après le bombardement israélien du 1er avril. Selon eux, l'ambassade aurait été épargnée par le bombardement, tandis que l'immeuble détruit appartiendrait aux Gardiens de la Révolution et serait situé en dehors de l'enceinte diplomatique.
- Or, une analyse d'images montre que le bâtiment touché par l'armée israélienne appartenait au consulat d'Iran, qui fait bien partie de l’ambassade.
La vérification en détail
Depuis le 16 avril, une photo est partagée par des comptes pro-israéliens sur X et sur Facebook, pour, selon eux, "rétablir la vérité" sur le bombardement israélien du 1er avril de l'ambassade d'Iran à Damas, en Syrie. Image à l'appui, ces comptes affirment que l'immeuble de l'ambassade n'a pas été touché. Ils assurent que le bâtiment détruit est situé en dehors de l'enceinte diplomatique et qu’il s’agirait du quartier général des gardiens de la révolution.
Un bâtiment appartenant au consulat iranien
L'image d'origine, que l'on peut retrouver avec une recherche d'image inversée (voir ici comment procéder), a été prise le 2 avril par un photographe de Reuters, Firak Madesi, comme l'a également indiqué Libération. Elle montre des membres de la défense civile iranienne en train de déblayer les décombres du bâtiment détruit, à la suite du raid du 1er avril. La légende de la photo de Reuters indique que le bâtiment détruit appartenait au consulat d'Iran à Damas, qui est bien rattaché à l’ambassade, contrairement à ce qu’affirment certains comptes.
Une autre photo prise par Firak Madesi montre d’ailleurs une plaque située devant l'immeuble détruit, indiquant que celui-ci appartenait à la "section consulaire de l'ambassade d'Iran". D'autres médias, comme la chaîne de télévision Iran International, ont également publié une photo de la plaque devant les ruines du bâtiment.

L'inviolabilité des locaux diplomatiques
La diffusion de cette photo sur les réseaux sociaux visant à démentir la frappe israélienne sur l'ambassade iranienne se déroule alors que Téhéran dénonce le caractère illégal de l’attaque, puisque les locaux diplomatiques sont théoriquement protégés dans le droit international. Dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères iranien dénonce ainsi "une attaque [...] qui viole l'immunité des personnes et des lieux diplomatiques [...] et constitue une violation manifeste des règles internationales, en particulier la Convention de Vienne de 1961".
L’inviolabilité des locaux diplomatiques a été définie, dans la Convention de Vienne, par l'article 22, pour les ambassades, et par l'article 31, pour les consulats.
Ces textes consacrent cette inviolabilité pour "l'État d'accueil", précise cependant François Dubuisson, professeur de droit à l'Université Libre de Belgique, contacté par notre rédaction. Dans le cas de l'ambassade d'Iran à Damas, l’État d'accueil est donc la Syrie.
Pour autant, insiste le professeur :
l'inviolabilité des locaux diplomatiques doit être respectée par l'ensemble des États au nom du principe coutumier en droit international, c'est-à-dire la série de principes et de droits non écrits qui découlent de la pratique des États selon laquelle les ambassades et consulats sont considérés comme spécialement protégés et qu'ils ne doivent pas être attaqués, même en cas de conflit armé avec un autre État
La question de la légitime défense
L'utilisation de la force armée, y compris contre des locaux diplomatiques peut être cependant justifiée, selon le droit international, dans le cadre de "la légitime défense, c'est-à-dire un recours à la force en cas d'agression", concède François Dubuisson.
Or, ce lundi 15 avril, Daniel Hagaris, porte-parole de l'armée israélienne, a déclaré que les victimes de la frappe israélienne à Damas étaient des "membres de la force Qods". Il s’agit d’une unité paramilitaire d'élite des gardiens de la révolution, chargée des relations avec les gouvernements et les groupes alliés de Téhéran. Avant le 13 avril, l'Iran soutenait ainsi déjà des mouvements tels que les Houthis au Yémen ou le Hezbollah au Liban pour attaquer le territoire et les intérêts israéliens. “Il s'agit de personnes engagées dans le terrorisme contre l'État d'Israël”, a précisé le porte-parole.
Le Corps des gardiens de la révolution a ainsi confirmé la mort de sept de ses membres lors du raid israélien, y compris deux généraux de la Force al-Qods, Mohammad Reza Zahedi et Mohammad Hadi Haji Rahimi, attestant donc de la présence de militaires iraniens dans le consulat.
Mais ces éléments sont-ils suffisants pour invoquer la légitime défense et ainsi justifier l'attaque israélienne sur l'enceinte diplomatique ? Les experts en droit international sont partagés.
"Si la frappe a ciblé des individus engagés dans des opérations militaires contre Israël, cela signifierait que le bâtiment était une cible militaire légitime", avance le New York Times, citant Yuval Shany, professeur en droit international à l'université Hébraïque de Jérusalem.
"Le seuil exigé pour la jurisprudence [de la légitime défense] est extrêmement élevé", prévient néanmoins François Dubuisson : "Il faudrait prouver que l'Iran ait ordonné par exemple au Hezbollah de mener une frappe, ce qu’Israël n'a pas démontré.” Si le pays n'apporte pas de preuves suffisantes fondant une légitime défense, l'attaque israélienne serait alors, selon le professeur, "illégale" contre l'Iran, mais aussi "vis-à-vis de la Syrie parce qu’Israël intervient militairement en territoire syrien sans prétendre répondre à une quelconque agression syrienne".