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Au Togo, les opposants à la nouvelle Constitution accentuent la pression contre le pouvoir
Plusieurs partis politiques togolais et groupes de la société civile ont réitéré jeudi leur appel à protester les 12 et 13 avril contre la nouvelle Constitution. Depuis son adoption fin mars, ce texte supprimant le régime présidentiel au profit d’un régime parlementaire suscite une vive controverse que le gouvernement peine à éteindre. Décryptage.

La pression monte au Togo. Plusieurs partis politiques et organisations de la société civile ont renouvelé, jeudi 11 avril, leur appel à manifester, les 12 et 13 avril, contre la nouvelle Constitution qui fait passer le pays d’un régime présidentiel à un régime parlementaire.

Depuis son adoption fin mars, ce texte fait couler beaucoup d’encre. Présenté par ses soutiens comme nécessaire pour aboutir à un meilleur équilibre des pouvoirs, ce changement de système est considéré par ses détracteurs comme une manœuvre pour permettre au président Faure Gnassingbé, actuellement dans son quatrième mandat, de se maintenir au pouvoir sans limitation de temps.

Mandat illimité

Introduite par le parti présidentiel, largement majoritaire, puis adoptée au parlement le 25 mars, la réforme constitutionnelle abolit l’élection du président au suffrage universel direct. Elle prévoit que le chef de l’État soit désormais élu par les deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat, réunies en congrès, pour un mandat de 6 ans non renouvelable. Pour la majorité, ce changement marque la fin de l’hyperprésidentialisme au Togo, car le président voit ses prérogatives réduites. Il est garant de l’unité nationale et de la continuité de l’État mais c’est le chef du parti majoritaire à l’Assemblée, de facto élu président du Conseil, qui conduit la politique de la nation.

L’opposition y voit quant à elle un grossier subterfuge orchestré par le président Faure Gnassingbé pour se maintenir au pouvoir. Car en cas de victoire de son parti aux législatives d’avril, il deviendrait dès 2025 président du Conseil. Une fonction, qui, contrairement à celle de président, n’est soumise à aucune limitation de mandat.

À la tête du pays depuis 2005, Faure Gnassingbé a succédé à son père, Gnassingbé Eyadéma, à la mort de celui-ci, après 38 ans de règne. En 2017 et 2018, le pays a traversé une importante crise politique ; des milliers de togolais sont descendus dans la rue pour exiger le départ du président. Une mobilisation qui a conduit à l’adoption d’une nouvelle constitution en 2019, limitant le nombre de mandats présidentiels à deux, mais sans rétroactivité. Aux commandes depuis 19 ans, le chef de l’État est donc en droit de briguer un ultime mandat en 2025, son cinquième au total. Avec la nouvelle réforme constitutionnelle, ses opposants l’accusent désormais de vouloir se maintenir au pouvoir "à vie".

"Faure Gnassingbé voit bien que le vent tourne, que ce soit dans la sous-région ou dans le pays même. Il va avoir bien du mal à justifier sa candidature à un cinquième mandat et cherche par le biais de la nouvelle réforme constitutionnelle à échapper à l’épreuve des urnes en 2025", dénonce Nathaniel Olympio, porte-parole du mouvement "Touche pas à ma Constitution".

Réforme illégale ?

Certains observateurs questionnent également la légalité de cette réforme constitutionnelle, adoptée à peine quelques semaines avant les élections législatives. Ses opposants affirment que l’adoption du texte constitue une violation de la Constitution, car il a été voté après l’expiration des mandats des députés, qui ont pris fin le 31 décembre. Alors que les législatives devaient initialement se tenir en décembre 2023, les autorités ont décidé en novembre dernier de les repousser au premier trimestre 2024.

Pour Gilbert Bawara, ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social, le débat sur la légalité de la réforme constitutionnelle n’a pas lieu d’être. "Les députés et l’Assemblée exercent la plénitude de leur pouvoir et de leurs attributions jusqu’à l’entrée en fonction effective de leurs successeurs" affirme-t-il. "Cette réforme constitutionnelle était nécessaire avant les législatives par souci de transparence, pour que les électeurs connaissent les nouvelles règles du jeu", justifie le membre du gouvernement. 

Pourtant, l’article 144 de la Constitution du Togo stipule qu’aucune procédure de révision de celle-ci "ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim".

Appel à manifester

Face aux nombreuses critiques, le gouvernement togolais a demandé aux parlementaires de mener une seconde lecture du texte à l’Assemblée nationale, annonçant du même coup un nouveau report des législatives, du 20 au 29 avril.

Pour ce faire, un groupe d'élus a été chargé de mener des concertations à travers le pays.

"Cette initiative du président de la République doit permettre aux députés d’écouter, d’échanger avec les forces vives et les citoyens afin que chacun puisse exprimer son avis" explique Gilbert Bawara.

"La relecture sera fondée sur cette mission de terrain. Le processus ira à son terme en prenant en compte les opinions exprimées" souligne-t-il.

Les opposants à la réforme, de leur côté, dénoncent une supercherie. "Les législatives ont été décalées de neuf jours supplémentaires pour que les députés aillent mener ces consultations. Mais en réalité il ne s’agit que d’une campagne d’information et non de remettre en cause le texte" déplore Michel N’buéké Adovi Goeh-Akue, historien et chercheur togolais, proche de l’opposition. 

"Ce n’est pas une concertation car il n’y a pas eu de débat. On nous parle d’améliorations, ce qui veut bien dire que tout ce qui vient en opposition au projet ne sera pas pris en compte" renchérit Nathaniel Olympio.

Mardi, les autorités togolaises ont interdit les trois jours de manifestation organisés par les opposants au texte, affirmant que la mobilisation n’avait pas été déclarée suffisamment en amont et faisant valoir des risques de troubles sécuritaires. 

Des arguments non valables visant à ’"étouffer" la contestation selon les organisateurs, qui ont maintenu leur appel à manifester pour réclamer le retrait pur et simple de la réforme constitutionnelle.

Au Togo, les opposants à la nouvelle Constitution accentuent la pression contre le pouvoir