À l’approche des élections européennes (du 6 au 9 juin), l’immigration s’invite une fois de plus dans le débat public en France. Le Rassemblement national (RN) en a fait son cheval de bataille, organisant le 26 mars ses "États généraux de l’immigration" à Paris. Inspirés par Jacques Chirac, qui avait organisé en 1990 deux jours de débats sur le même thème, des membres du RN, menés par le député Franck Allisio (ex-UMP et acquéreur du nom RPR), se sont réunis pour débattre de ce sujet.
Alors que les ambitions affichées étaient élevées, l'événement s'est plutôt soldé par des constats alarmants, des phrases chocs et des accusations de "submersion migratoire", selon l'Humanité. Dans l'Hexagone, où l'immigration est un sujet sensible, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, n’ont eu de cesse de légiférer pour tenter de réduire les flux migratoires. Mais quelle est la réalité de la situation en France par rapport aux autres pays européens ? France 24 fait le point.
L’Allemagne, destination principale
Les seules données disponibles à l’échelle de l’Union européenne concernent les immigrants (personnes venues s’installer dans un pays depuis l’étranger, qu’elles soient de nationalité étrangère ou pas), et non uniquement les immigrés (nés étrangers). En 2022, la France était le troisième pays d'accueil de l'UE avec 431 000 arrivées de nouveaux immigrants, derrière l'Allemagne (2 millions) et l'Espagne (1,3 million), selon l’agence européenne des statistiques, Eurostat. En rapportant ce chiffre à la population, la France se retrouve en bas du classement avec six nouveaux immigrants pour 1 000 habitants, contre 24 en Allemagne et 27 en Espagne.
L’un des autres moyens de comparer le nombre d'arrivées dans les pays de l’UE est l’asile. Fuyant la persécution, un demandeur d'asile est un étranger qui recherche la protection d’un autre pays. La Déclaration universelle des droits de l'homme reconnaît ce statut : "Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays."
En 2023, l'Union européenne et ses pays associés ont connu une affluence record de demandes d'asile, qui ont atteint 1,14 million, selon l’Agence de l’UE pour l’asile (EUAA). L'Allemagne s'est imposée comme la destination principale, avec 334 000 demandes, soit près d'un tiers du total enregistré. À lui seul, le pays a reçu sur la même période plus de demandes que la France (167 000) et l'Espagne (162 000) cumulées durant la même période.
"Si l’Allemagne concentre toujours la majorité des demandes d’asile, cela s’explique par plusieurs facteurs comme la présence de diasporas bien établies et la perception d'un marché du travail plus favorable", explique Camille Le Coz, analyste à l'Institut des politiques migratoires. "On pourrait s’attendre à ce que les chiffres soient plus élevées pour l'Italie, l'Espagne, Chypre ou la Grèce, qui sont des pays aux portes de l’Europe par lesquels entrent les demandeurs d’asile, mais beaucoup continuent leur route jusqu’en Allemagne ou en France".
En France, comme dans le reste de l’Europe, le nombre de démarches pour obtenir l'asile a encore augmenté en 2023. "La crise sanitaire a aggravé les difficultés économiques dans certains pays d'Afrique, poussant les populations à migrer", analyse Camille Le Coz. "Le manque de confiance dans l'économie, la persistance de conflits, mais aussi les possibilités de passage de plus en plus nombreuses grâce aux réseaux de passeurs incitent les gens à quitter leur pays d'origine."
La France en bas du classement
S'il est important de connaître la répartition des demandes d'asile entre les pays de l'UE, ce nombre ne suffit pas à évaluer la pression réelle sur les systèmes d'accueil nationaux, car la capacité d'accueil et les procédures d'asile varient considérablement d'un pays à l'autre.
En théorie, le règlement de Dublin impose que la demande d'asile soit déposée dans le pays d'entrée sur le territoire de l'UE. Parmi les pays d'arrivée, Chypre, avec une population de 921 000 habitants, a reçu 13 demandes pour 1 000 habitants. La France, avec une population beaucoup plus importante (68 millions), a reçu 2,1 demandes pour 1 000 habitants, représentant l'un des pays de l'UE où ce chiffre est le plus faible.
Cependant, l'acceptation d'une demande d'asile n'est pas garantie dans le pays où elle est formulée. Avec seulement un quart des dossiers acceptés en 2023, la France est en queue de peloton, derrière l’Allemagne (34 %), l’Autriche et la Grèce (39 %).
Le délai de traitement d'une demande d'asile en France est passé de 5,2 mois en 2022 à 4,2 mois en 2023. En cas de rejet de la demande d'asile, un recours est possible devant la Cour nationale du droit d'asile. "L’attente d'une réponse après avoir fait appel peut durer des mois, privant les demandeurs d'accès à l'hébergement et aux aides", rappelle Camille Le Coz. "L'augmentation des demandes d'asile inquiète les gouvernements européens. C'est pourquoi la Commission européenne s'active pour conclure des accords avec des pays d'origine afin de limiter les arrivées."
Des politiques migratoires contradictoires
En janvier, l'agence européenne de surveillance des frontières Frontex a annoncé une augmentation de 17 % des entrées irrégulières dans l'Union européenne en 2023, par rapport à l'année précédente, relançant le débat sur les moyens de gérer l'immigration irrégulière.
En France, le Conseil constitutionnel a fini par retoquer la loi immigration qui, dans sa version adoptée par le Parlement le 19 décembre 2023, prévoyait des quotas migratoires, le durcissement du regroupement familial, un délai de carence pour l'ouverture des prestations sociales non contributives aux étrangers. Dénoncé par ses opposants comme restrictif et raciste, ce texte s’inscrit en réalité dans une tendance européenne marquée par des politiques migratoires répressives, non sans contradictions.
En Italie, le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni a mis en place une série de mesures pour restreindre l’accueil des migrants. Parmi celles-ci, un accord signé début novembre avec l’Albanie vise à expulser vers ce pays plus de 30 000 personnes secourues en mer par des navires italiens. Cet accord soulève des critiques de la part d'observateurs et d'associations.
"Il y a une volonté de contrôle et une logique d’évitement des obligations internationales", analyse Tania Racho, docteure en droit européen et spécialisée sur les questions d'asile. "Cet accord vise à empêcher les personnes en situation irrégulière de demander l'asile, ce qui implique des obligations d'accueil et de soutien. Cette approche stigmatise une population déjà vulnérable."
Élue sur un programme radicalement anti-immigration, la présidente du Conseil italien a dû se montrer plus souple face aux besoins en main-d’œuvre de son pays, où une offre sur deux est non pourvue. En effet le gouvernement Meloni a promis 450 000 titres de séjour pour les travailleurs étrangers dans les trois prochaines années. "L'Italie développe une immigration économique tout en validant totalement l'approche de fermeture des flux des frontières extérieures," poursuit l’experte. "Le discours n'est pas cohérent avec ce qui est fait en pratique."
De son côté, la Grèce s’efforce de simplifier les démarches administratives pour les demandeurs d’asile. Pourtant, la régularisation reste un processus long et complexe. En parallèle, les refoulements d’exilés, une pratique illégale et contraire au droit d’asile, se multiplient. Au total, plus de 2 000 refoulements d’embarcation par les garde-côtes grecs ont été comptabilités en mer Égée en trois ans, rapporte le média indépendant Solomon.
Mesures dissuasives
Le premier pays d’accueil, l’Allemagne, a opéré un changement radical dans sa politique migratoire pour dissuader les candidats à l’asile. Sous la pression de l’extrême droite, le gouvernement d’Olaf Scholz a abandonné les mesures d’accueil de l’ère Merkel, qui avait largement ouvert ses portes aux réfugiés syriens lors de la crise migratoire de 2015-2016. Le chancelier a mis en place une série de mesures restrictives : renforcement des contrôles aux frontières avec la Pologne, la Suisse et la République tchèque, mais aussi diminution des aides pour les demandeurs d'asile et obligation d’avoir une carte de paiement pour obtenir les aides sociales.
Seule exception où la politique ne semble pas se durcir, le gouvernement espagnol a mis en place en urgence de nouvelles capacités d'accueil, pour répondre à l'afflux continu de migrants sur les côtes des îles Canaries, notamment en provenance du Sénégal. Le nombre d’arrivants aux Canaries en 2023 a triplé par rapport à l'année précédente, atteignant un record de 39 910, mettant à rude épreuve les capacités d'accueil de l'archipel.
"L'incertitude politique au Sénégal, après l'élection d'un nouveau président, rend la situation encore plus complexe", analyse Tania Racho. "Il est difficile de savoir si le nouveau gouvernement sera prêt à coopérer avec l'Union européenne sur la question de la gestion des frontières et si cela se traduira par une diminution du nombre de candidats à l'immigration. En effet, la confiance des populations envers les autorités est un facteur important dans la décision de quitter son pays."
Après des années de difficiles discussions, les États de l’UE ont trouvé un accord en décembre dernier sur la réforme du système migratoire européen. Il prévoit notamment un contrôle renforcé des arrivées de migrants dans l'UE, des centres fermés près des frontières pour renvoyer plus rapidement ceux qui n'ont pas droit à l'asile, et un mécanisme de solidarité obligatoire entre pays membres au profit des "États sous pression migratoire".
"Avec ce pacte, les pays du sud de l'Europe, comme l'Italie, l'Espagne, Chypre, la Grèce et Malte, subiront une forte pression en raison de leur position géographique aux portes de l'Europe", explique Camille Le Coz. "Ils seront en première ligne pour traiter les demandes d'asile que l'UE leur demandera d’effectuer le plus rapidement possible. L'Allemagne et la France, quant à elles, se situent en retrait et auront pour objectif de limiter les mouvements secondaires." Les discussions sur l'immigration risquent de devenir de plus en plus houleuses à mesure que les élections européennes approchent.