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Jeff Yass, le super-donateur américain ultra-riche et ultra à droite
Le milliardaire Jeff Yass est devenu le plus important donateur à titre individuel de la campagne présidentielle américaine de 2024. De son soutien boursier au réseau social de Donald Trump à son lobbying pro-TikTok, ce boursicoteur sait protéger ses intérêts financiers et idéologiques.

Il y a un peu plus d’un an, un collectif d’ONG de Pennsylvanie lançait un avertissement sur le site d’information Pennsylvania Capital-Star : Jeff Yass arrive sur la scène nationale, et c’est un problème pour la démocratie. Ils voulaient mettre en garde contre la manière dont ce multimilliardaire local utilisait sa vaste fortune, estimée entre 27 et 40 milliards de dollars – soit entre 25 et 37 milliards d'euros –, pour tenter d’influencer les politiques qui servent ses intérêts.

Un an plus tard, la première partie de leur prédiction s’est réalisée. Le nom de Jeff Yass apparaît de plus en plus dans les médias, souvent dans le giron de l’ex-président Donald Trump. Mais pas que. Quant à savoir s’il met en péril la démocratie, le jury n’a pas encore tranché.

Fan de TikTok et Truth Social

Ce milliardaire a, en tout cas, contribué à l’improbable retournement de fortune de Donald Trump qui est, potentiellement, plus riche de près de cinq milliards de dollars depuis l’introduction en Bourse de son réseau social Truth Social, mardi 26 mars. Jeff Yass a en effet été le plus important investisseur institutionnel dans Digital World Acquisition Corp., le véhicule financier qui, en fusionnant avec Truth Social, a permis la cotation du réseau social en Bourse. Son fonds d’investissement, Susquehanna International Group (SIG), détenait pour près de 22 millions de dollars de parts dans Digital World Acquisition Corp. en décembre 2023.

Une mise qui a fait grimper la valeur de cette société avant son mariage avec Truth Social. SIG se défend d’avoir fait un investissement à connotation politique, soulignant que le fonds cherche seulement à "profiter du marché". Mais pour Donald Trump, qui s’était souvent plaint ces dernières semaines d’avoir du mal à obtenir de l’argent pour régler ses amendes dans deux affaires judiciaires, le succès boursier de Truth Social est un sacré coup de pouce financier. Il détient environ 60 % des parts du réseau social qui vaut plus de 8 milliards de dollars.

Jeff Yass semble aussi associé à une autre surprise du chef "made in Donald Trump" : le candidat républicain à la présidentielle de 2024 s’est opposé, le 11 mars, à une loi visant à interdire TikTok aux États-Unis. Ce même Donald Trump avait pourtant tenté sans succès, en 2020, de bouter le réseau social d’origine chinoise hors du pays alors qu’il était président.

Ce virage à 180 degrés a plongé les commentateurs politiques dans la confusion. Donald Trump cherchait-il à se venger de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook soupçonné d’être hostile à l’ex-président et qui a tout à gagner à voir l’un de ses rivaux bannis des États-Unis ? Un autre élément a rapidement fait surface : quelques semaines avant sa volte-face, Donald Trump avait rencontré Jeff Yass lors d’une réunion organisée par le Club for Growth, l’une des plus influentes organisations conservatrices américaines. Précision : Susquehanna International Group est l’un des plus importants investisseurs américains dans ByteDance, la maison mère chinoise de TikTok.

Jeff Yass a même été le premier Américain, avec son fonds d’investissement, à parier sur le groupe chinois, dès 2012. À l’époque, TikTok n’existait même pas encore. Aujourd’hui, SIG détient 15 % des actions de ByteDance, et Jeff Yass en possède, à titre personnel, près de 7 %. Une loi interdisant TikTok aux États-Unis, où près de 150 millions de personnes l’utilisent, ferait probablement perdre des milliards à Jeff Yass, assure le Wall Street Journal.

L'homme qui murmure à l'oreille des chevaux de course

Donald Trump s’est défendu d’avoir évoqué la question de TikTok lors de sa rencontre avec Jeff Yass. Le multimilliardaire de Pennsylvanie a cependant une certaine tendance à faire bénéficier de ses largesses financières les politiciens qui se montrent le plus ouvertement opposés à l’interdiction de TikTok, comme l’a démontré le Wall Street Journal.

Cet activisme à l’échelle nationale – il est devenu le plus important donateur de l’élection présidentielle de 2024 d’après les calcul de Reuters – n’est pas sans rappeler ce qu’il a déjà fait en Pennsylvanie.

Dans cet État du nord-est, il a été accusé d’utiliser sa fortune pour empêcher les politiciens supposés favorable à une hausse de la fiscalité locale d’être élus. "Depuis des années, nous assistons en Pennsylvanie au spectacle de Jeff Yass profitant des lois très laxistes en matière de financement politique pour favoriser ses politiciens favoris", regrette le collectif d’ONG qui dénonce la "menace Yass" dans le Pennsylvania Capital-Star.

À 68 ans, Jeff Yass a bâti sa fortune en Pennsylvanie, État d’où est aussi originaire Joe Biden. Il a commencé par les chevaux dans les années 1980. Avec des amis, ils avaient mis au point un algorithme pour optimiser les paris. IIs ont ainsi réussi à remporter en une seule fois plus de 700 000 dollars, soit "le plus important gain de l’histoire des courses hippiques aux États-Unis", souligne le site de journalisme d’investigation ProPublica dans une enquête sur Jeff Yass publiée en juin 2022.

L’amateur de maths a ensuite utilisé la même approche pour fonder SIG, son fonds d’investissement spécialisé dans les paris boursiers dopés aux algorithmes. C’était l’un des premiers du genre, et il a fait mouche : il a été l’un des rares boursicoteurs à gagner de l’argent lors du krach boursier de 1987. Depuis lors, sa fortune n’a fait que croître.

Très à droite et très pro-Netanyahu

Jeff Yass n’utilise pas son argent seulement pour soutenir les politiciens capables de protéger ses intérêts financiers. C’est aussi pour lui une arme idéologique. Il se définit comme libertarien – pour un rôle minimal de l’État dans l’économie – mais ses donations électorales vont surtout à des politiciens très à droite, à l’instar de Donald Trump.

Le Club for Growth, dont il est l’un des principaux financiers, a ainsi soutenu 42 candidats républicains ayant remis en cause les résultats de l’élection présidentielle de 2020 ou ouvertement soutenu l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021, souligne le Guardian.

Mais Jeff Yass n’est pas pour autant un "trumpiste" de la première heure et n'a jamais officiellement déclaré son soutien au candidat républicain. Avant de chercher à remettre les pendules tiktokiennes de Donald Trump à l’heure, il avait financé plusieurs de ses rivaux lors de la primaire républicaine de 2024, à hauteur de 47 millions de dollars, souligne la chaîne américaine NBC.

Ce milliardaire ne s’intéresse d’ailleurs pas seulement à la politique américaine. De confession juive, il a aussi mis sa fortune au service du très droitier Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Plus précisément, il est l’un des principaux financiers du Kohelet Policy Forum, un cercle de réflexion israélien ultraconservateur, comme l’avait déjà raconté France 24 en février 2023. Ainsi, si Jeff Yass pouvait apparaître encore il y a quelques années comme un faiseur de roi en Pennsylvanie, il semble qu’il a décidé de voir beaucoup plus grand.