
L’Université de Chicago tire la sonnette d’alarme. Le trafic d’antiquités en Afghanistan a pris une tournure encore plus inquiétante depuis quelques années. "Nous avons identifié une nouvelle forme de pillage où des bulldozers ont été utilisés pour fouiller 162 sites archéologiques entre 2018 et 2021, avant l’arrivée des Taliban au pouvoir, et jusqu’à aujourd’hui sous le nouveau régime", peut-on lire dans un rapport.
Pour établir ce constat, les chercheurs du centre pour la préservation de l’héritage culturel (C3HP) de l’Université de Chicago ont étudié des milliers d’images satellite. "Entre 2020 et 2022, nous avons développé un système d’intelligence artificielle pour permettre à l’ordinateur d’identifier des sites archéologiques sur des images satellite. Ces identifications étaient ensuite vérifiées par nos analystes", explique ainsi le professeur Gil Stein. "Cette méthode nous a permis de mettre au jour 29 000 sites dans tout l’Afghanistan".

Des pillages industriels
À partir de 2018, ces chercheurs ont pu constater que 162 de ces sites avaient été pillés à l’aide de bulldozers, puis fouillés systématiquement. "Nous pouvons effectivement voir des engins de terrassement sur les lieux. Une fois qu'une zone a été aplatie et dégagée au bulldozer, nous voyons ensuite dans des images ultérieures de nombreuses fosses rondes creusées à la main par les pilleurs dans les zones rasées au bulldozer", décrit Gil Stein.

Ces sites se trouvent principalement dans la province de Balkh, dans le nord du pays, près de la grande ville de Mazar-i-Charif. Cette zone est particulièrement importante pour le patrimoine culturel afghan car elle est le cœur de l’ancienne région historique de la Bactriane sur la route de la soie, l’une des régions les plus riches et les plus peuplées à l’époque de l’Empire perse et des conquêtes d’Alexandre le Grand.
Selon les chercheurs de l’Université de Chicago, ces pillages ont continué depuis la prise de pouvoir des Taliban en août 2021. Alors qu’ils avaient choqué le monde entier en détruisant à coups d’explosif, en mars 2001, les célèbres bouddhas de Bâmiyân, ces derniers avaient pourtant promis de lutter contre le vol des trésors archéologiques depuis leur retour à la tête du pays.
Interrogé par la BBC, ils ont campé sur leur position en affirmant qu'une unité de 800 hommes a été affectée à la surveillance des sites historiques et en rejetant les conclusions du rapport des chercheurs américains. "Nous avons envoyé plusieurs équipes pour vérifier les sites et je peux vous assurer qu’il n’y a eu aucun incident", a ainsi déclaré Atiqullah Azizi, le vice-ministre de l’Information et de la Culture. Ce dernier a toutefois démenti ses propres propos en ajoutant que trois personnes avaient été arrêtées en septembre pour un trafic d’antiquités évalué à 27 millions de dollars.
Le fait d’hommes locaux puissants
Pour Gil Stein, ces pillages ne font aucun doute. Mais il concède qu’il est difficile d'en déterminer les auteurs : "ces activités sont par définition très secrètes". Dans son rapport, l’Université de Chicago note ainsi que si certains spécialistes ou médias ont tendance à accuser les Taliban ou l’organisation État islamique, "un examen plus approfondi du timing, du lieu, de la méthode et de la continuité du pillage au bulldozer suggère qu’un autre groupe de coupables pourrait être responsable. Les preuves disponibles tendent à montrer que ce pillage est l’œuvre d’hommes forts locaux riches et puissants dans la province de Balkh et dans le centre nord du pays".
Les antiquités qui sont dérobées sont en tout cas bel et bien perdues pour le pays. Ces trésors passent par l’Iran, le Pakistan ou les pays du Golfe avant de se retrouver dans les mains de marchands d’art ou de maisons de ventes aux enchères en Europe et en Amérique du Nord où elles sont achetées par des collectionneurs. "Des tonnes d’objets de contrebande ont été découvertes et confisquées par les agents des douanes britanniques à l’aéroport d’Heathrow à Londres, mais cela ne représente que la pointe de l’iceberg de l’énorme volume d’antiquités illicite introduit chaque année", précise Gil Stein.

Pour ce professeur américain, ce pillage à grande échelle prive les Afghans de leur passé, mais concerne toute la planète : "C’est une ressource irremplaçable et non renouvelable qui appartient à la fois à l’Afghanistan et au reste du monde. Une fois que cette partie du patrimoine mondial est détruite par les pilleurs et les contrebandiers, elle disparaît à jamais".