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Russie : la très encombrante sépulture d’Alexeï Navalny pour le Kremlin
Les funérailles du célèbre opposant russe Alexeï Navalny se sont déroulées, vendredi, dans le sud de Moscou en présence de milliers de Russes. Les autorités ont restitué le plus tard possible la dépouille à la famille. Elles ont également tenté de dissuader ses sympathisants d'assister aux funérailles et redoutent que sa tombe devienne un important symbole politique.

Un peu moins de deux heures avant le début officiel de la cérémonie funéraire d’Alexeï Navalny, vendredi 1er mars à 14 h 30 (heure de Moscou), personne ne savait si le corps du célèbre opposant au président russe Vladimir Poutine serait dans le cercueil ou non.

Toute la matinée, les entreprises de pompes funèbres de Moscou ont fait savoir qu’elles refusaient de transporter la dépouille du défunt, mort en prison le 16 février. “Ils ont tous reçu des appels d’individus non identifiés qui les menaçaient afin de les dissuader de nous amener le corps”, a affirmé Kira Yarmysh, porte-parole d’Alexeï Navalny, interrogée par le quotidien anglophone Moscow Times.

Un mort qui hante le pouvoir

Finalement, la famille s'est vu remettre la dépouille une heure seulement avant le début de la cérémonie. Les funérailles ont ensuite pu avoir lieu au cimetière de Borissovo, situé dans le sud-est de la capitale, avec des milliers de personnes venues témoigner de leur respect à l'homme qui défiait depuis plusieurs années le maître du Kremlin.

Ces dernières mésaventures funéraires pour les proches du plus célèbre des opposants russes démontrent à quel point il continue à hanter le pouvoir même après sa mort. Le Kremlin a, en effet, multiplié les tracasseries administratives autour du corps d’Alexeï Navalny.

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— Команда Навального (@teamnavalny) March 1, 2024

La famille a ainsi dû attendre huit jours avant d’avoir ne serait-ce que le droit de voir la dépouille. Lyudmila Navalnaya, la mère d’Alexei Navalny, avait enregistré une vidéo adressée directement à Vladimir Poutine le suppliant de lui remettre le corps. Elle expliquait que l’administration pénitentiaire refusait même de lui dire où était la dépouille de son fils et quand et si elle pourrait un jour la voir.

Le Kremlin a ensuite fait pression pour organiser un enterrement en catimini. “Ils m’ont dit que si je n’acceptais pas de l’enterrer en secret, ils feraient quelque chose avec le corps de mon fils”, a affirmé Lyudmila Navalnaya, dans une autre vidéo. Les autorités auraient menacé de l’enterrer directement dans la colonie pénitentiaire en Arctique où il est mort, a ensuite précisé sur Telegram Ivan Zhdanov, l’un des principaux conseillers d’Alexeï Navalny.

Ioulia Navalnaïa, la veuve de l’opposant, s’est aussi plainte des traces de maltraitance que présentait la dépouille de son mari. Elle a même accusé Vladimir Poutine d’avoir fait “torturer” le corps de son défunt époux, qualifiant le comportement du président russe de “démoniaque”.

Le mystère autour de sa mort reste entier

Ces lenteurs et hésitations à faire parvenir le corps à la famille “peuvent donner l’impression que le Kremlin a quelque chose à cacher”, reconnaît Oleg Kozlovsky, spécialiste de la Russie à Amnesty International. Il faut dire que le mystère qui entoure la mort d’Alexeï Navalny demeure entier. “La mention officielle de ‘causes naturelles’ du décès est peu crédible et ne nous apprend rien de concret sur les circonstances du décès”, ajoute cet expert.

Ces tracasseries administratives peuvent aussi être perçues comme un avant-goût de ce qui attend la famille, qui voudrait une enquête approfondie sur ce qui s’est passé dans la très lointaine colonie pénitentiaire. Ce serait une manière de suggérer que s’il était déjà compliqué de récupérer le corps, obtenir des réponses sera encore plus difficile.

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Cette bataille autour de la dépouille jusqu’à sa mise en terre s'inscrit aussi dans “la continuité du harcèlement administratif systématique dont Navalny a été victime de son vivant”, constate Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics. “C’est comme s’il y avait un réflexe dans l’administration russe dès qu’il s’agit de Navalny. Il faut poser des problèmes à ses proches, qu’il soit en vie ou mort”, constate pour sa part Oleg Kozlovsky.

C’est d’autant plus important que “l’inhumation des restes physiques du défunt représente un aspect crucial dans la religion orthodoxe”, souligne Jeff Hawn. C’est pourquoi le cercueil reste ouvert durant la cérémonie afin de permettre aux vivants de voir et rendre un dernier hommage au défunt.

La dépouille d’Alexeï Navalny peut ainsi “devenir un symbole politique important pour l’opposition en Russie et sa tombe peut servir de lieu de pèlerinage”, ajoute Jeff Hawn.

Navalny est plus difficile à dénigrer mort que vivant

Par certains aspects, le corps peut devenir une épine dans le pied de Poutine encore plus douloureuse que lorsqu’Alexeï Navalny était vivant. Le pouvoir craint que les funérailles auxquelles ont assisté des milliers de Russes - tenus à distance par les forces de l’ordre - participent à “créer un martyre politique à quelques semaines de la présidentielle”, souligne Joanna Szostek, spécialiste de la propagande russe à l’université de Glasgow. Et un martyr “n’a pas les défauts que pouvait avoir la personne vivante. Autrement dit, le Kremlin peut beaucoup plus difficilement dénigrer le souvenir d’un Alexeï Navalny idéalisé”, souligne Jeff Hawn. Le corps de l’ex-activiste peut incarner cette version “martyre” de l’opposant.

Mais tous ces efforts pour cacher ce corps que le Kremlin ne veut pas voir ‘“représente au final un cas classique d’effet Streisand”, estime Jeff Hawn. C’est un phénomène médiatique  - du nom de la célèbre chanteuse Barbra Streisand - qui se produit lorsque les efforts pour dissimuler une information produisent l’effet inverse et ne font qu’amplifier les révélations.

Dans le cas d’Alexeï Navalny, les obstacles mis sur la route de la famille pour récupérer le corps et organiser un enterrement digne de ce nom ont permis à la mère et l'épouse de diffuser des messages très critique envers le pouvoir qui ont fait grand bruit. “Tous les médias internationaux les ont repris et largement diffusés”, note Oleg Kozlovsky.

Seul point positif pour le Kremlin : le cimetière Borisovo est à plus d’une heure du centre de Moscou. C’est certes un choix logique puisqu’il se trouve dans le quartier où Alexeï Navalny a vécu, mais pour le pouvoir “si la tombe devient un lieu de pèlerinage, il vaut mieux qu’elle se trouve en périphérie plutôt qu’en plein cœur de la capitale”, conclut Oleg Kozlovsky. Reste que les nombreuses images et vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux de la foule présente sont d’autant plus impressionnantes lorsqu’on sait à quel point le cimetière est excentré.