logo

Corée du Sud : la guerre des genres
Publié le : 17/11/2023 - 18:23

La Corée du Sud, 13e puissance économique mondiale, est une société moderne qui projette une image de modernité et de liberté. Pourtant, ce pays est confronté à d'importantes inégalités de genre. L'écart de salaire entre les hommes et les femmes est le plus élevé de l'OCDE. De plus, le taux de fécondité est le plus bas au monde, avec seulement 0,78 enfant par femme en âge d'en avoir.

Samsung, Hyundai, Kia… la Corée du Sud est un pays où les empires économiques prospèrent. Cette société hyper compétitive, fondamentalement capitaliste et très dynamique est aussi profondément traditionnelle sur de nombreux aspects. Le pays a longtemps été imprégné de la culture confucianiste, une doctrine qui estime qu’on doit s’élever par le travail, qu'il faut respecter les aînés et que les hommes sont supérieurs aux femmes. Aujourd’hui, ce sont les tensions constantes avec la Corée du Nord et l'attitude belliqueuse du leader Kim Jong-un qui pèsent sur la société.

Les hommes sud-coréens ont des avantages sur le marché du travail, notamment des promotions plus rapides et des salaires plus élevés une fois leur service militaire de 18 mois effectués. Les femmes touchent 38 % de moins que les hommes à temps de travail égal. Avec cet épais plafond de verre, une employée sur six démissionne après s’être mariée ou avoir eu un enfant. Celles qui restent résistent aussi longtemps que possible, au point que la Corée du Sud détient depuis trois ans déjà le record du plus bas taux de fécondité au monde : 0,78 enfant par femme en âge d’en avoir.

Parallèlement, la méfiance grandit entre les deux sexes. Les "molkas" représentent un problème endémique. Ces caméras cachées, dissimulées dans les cabines d’essayage, chambre d’hôtel ou toilettes publiques captent illégalement des images de femmes dénudées qui sont ensuite diffusées sur les réseaux sociaux. Entre 2013 et 2018, quelques 30 000 personnes ont été arrêtées pour ces pratiques voyeuristes.

Certains hommes se méfient également des femmes, et surtout des féministes. Plutôt que de voir en elles des défenseuses des droits des femmes, ils les trouvent misandres et estiment qu’elles veulent en réalité rabaisser les hommes. Pour la professeure de philosophie Yoon Jisun, autrice d’un livre sur le backlash, la structure de la société coréenne explique ces crispations croissantes : la Corée du Sud "est une société très hiérarchisée, un pays hyper compétitif", explique-t-elle. "Beaucoup d’hommes s’inquiètent de ne pas pouvoir grimper les échelons (…) et pensent que la situation des femmes et des minorités s’est améliorée alors que celle des hommes a reculé."

Lors de la campagne pour la présidentielle de 2022, plusieurs candidats ont joué la carte de la culture "incel" (contraction de "célibataires involontaires") en condamnant par exemple la promotion de l’égalité des sexes ou les droits des minorités.

Yoon Suk-yeol, candidat conservateur désormais élu président, a notamment promis la suppression du ministère à l’Égalité femmes-hommes, estimant que le féminisme est la raison pour laquelle il ne naît pas assez d’enfants. Mais sa formation, le Parti du pouvoir au peuple (PPP) estime même que ce sont les féministes qui jettent de l’huile sur le feu. "Il existe des groupes féministes radicaux qui s'appuient sur des arguments scandaleux et ridicules, à l'instar des partis fascistes en Europe", assure Jang Ye-chan, conseiller jeunesse du PPP. "Par exemple, ils utilisent des discours de haine contre les figures paternelles et attisent les tensions entre les sexes."

Mais tous les hommes ne pensent pas la même chose. L’association Feminism with him ("le féminisme avec lui", en français) donne des formations dans les bases de l’armée et dans les écoles de garçons, pour démonter les argumentaires sexistes des jeunes. Lee Han a découvert l’ampleur des problèmes affrontés par les femmes lors du mouvement #MeToo en Corée en 2018. Devenu éducateur sur les questions de genre, il est le témoin de tout ce qu’il reste à faire. "Beaucoup d’adolescents utilisent des termes antiféministes, voire franchement misogynes, qu’ils entendent sur YouTube », explique-t-il.

Malgré tout, la notion d’égalité progresse chez certains. Les nouveaux pères sont plus investis que ceux de la génération précédente et les tensions d’aujourd’hui pourraient finir par s’apaiser grâce à l’approche progressiste de ces "nouveaux" hommes.