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"Ce n’est plus un centre de soins, c’est une fosse commune", affirme le directeur de l'hôpital al-Chifa à Gaza
Le Hamas a annoncé lundi que tous les hôpitaux du nord de la bande de Gaza, où se concentrent les frappes aériennes et les combats avec l’armée israélienne, étaient désormais "hors service". France 24 a joint au téléphone Mohammed Abou Salmiya, directeur de l'hôpital al-Chifa, le plus grand centre hospitalier de l’enclave palestinienne, pour faire le point sur la situation.

Alors que les combats entre l'armée israélienne et le Hamas, déclenchés après les attaques terroristes du 7 octobre en Israël, se concentrent dans le nord de la bande de Gaza, les hôpitaux situés dans le secteur sont désormais, selon le mouvement palestinien, "hors service".

MSF a prévenu dimanche 12 novembre que les hôpitaux de Gaza-ville pourraient devenir "une morgue", tandis que l'ONU a indiqué que ses opérations humanitaires "cesseraient sous 48 heures", faute de carburant.

La situation est notamment particulièrement catastrophique à l'hôpital al-Chifa, le plus grand complexe hospitalier du territoire palestinien, désormais assiégé par les chars israéliens.

L'antenne arabophone de France 24 a joint par téléphone Mohammed Abou Salmiya, le directeur de l'hôpital, pour faire le point sur la situation au sein de son centre hospitalier qui abrite des milliers de civils ayant fui les bombardements aériens.

France 24 - Le Hamas a annoncé, ce lundi, que tous les hôpitaux du nord de la bande de Gaza étaient "hors service". Quelle est la situation dans votre centre hospitalier ?

Mohammed Abou Salmiya : Désormais, alors que tout est tombé en panne, on ne peut plus parler de centre hospitalier. Ce ne sont plus que des murs à l’intérieur desquels les gens meurent, faute de soins. Ce n’est plus un hôpital, c’est une fosse commune. Depuis ce matin, à cause du manque d'oxygène, sept personnes sont décédées : trois d’entre elles étaient en soins intensifs, et une autre en salle d'opération. Chaque instant, chaque minute, risque d'augmenter le nombre de décès. Notre personnel médical est désormais totalement incapable de fournir le moindre soin aux patients, à aucun blessé, à aucun enfant, pour quoi que ce soit. L'hôpital al-Chifa est maintenant sans électricité, sans eau et sans oxygène. Actuellement, une fillette souffrant d’une maladie cardiaque lutte chaque instant contre la mort parce que nous n’avons plus de quoi lui assurer de l'oxygène. Je l’ai vue de mes propres yeux, si nous avions encore Internet, j'aurais envoyé les vidéos de cette fillette au monde entier. Tout est à l’arrêt, même la banque de sang de l’hôpital ne fonctionne plus. Aucun blessé ou malade ayant besoin de sang ne peut plus en recevoir. 

Quelle est la situation sécuritaire actuelle autour de l’hôpital ? Est-il la cible de bombardements ?

Il n'y a pas eu de bombardement direct sur l'hôpital ce matin. Hier, le service de cardiologie a été touché. Les jours précédents, c’était le tour des soins intensifs et du service d'obstétrique et de gynécologie. Il y a aujourd’hui des bombardements massifs à côté de l'hôpital qui est encerclé de toutes parts par des chars. Personne ne peut quitter ou entrer dans le centre hospitalier. Certains déplacés ont tenté leur chance, mais ils ont essuyé des tirs. Il y a près de 5 000 personnes et peut-être plus ici. Des familles entières sont venues s’abriter dans les couloirs de l'établissement, et elles se retrouvent assiégées comme nous. Elles sont dans une situation très critique, sans nourriture, ni rien à boire. Certains ont contracté des maladies, des enfants souffrent de maladies gastro-intestinales et sont déshydratés, des personnes âgées sont privées de médicaments contre l'hypertension. Certains en sont morts.

L'armée israélienne a accusé le Hamas d'empêcher l'hôpital al-Chifa de récupérer 300 litres de carburants. Qu’en est-il de ces accusations ?

Le monde entier parle de ces 300 litres de carburant qui ne suffiraient que pour une demi-heure de fonctionnement des générateurs. Le monde a oublié les près de 12 000 morts, les 30 000 blessés, et les crimes commis contre l’hôpital Al-Chifa, et ses patients qui risquent de mourir. Nous n'avons pas refusé ces 300 litres de carburant, nous avons proposé dans la matinée de les faire passer par la Croix-Rouge internationale ou par n'importe quel organisme international. Nous sommes prêts à accepter toute aide qui passerait par l'intermédiaire de la Croix-Rouge internationale ou alors placée en lieu sûr par les forces d’occupation [l’armée israélienne déployée à l’intérieur de la bande de Gaza, NDLR]. Je ne peux pas, moi, sortir et aller en ambulance à deux heures du matin, au milieu des bombardements aériens et de 300 chars, et donc risquer la vie de mon ambulancier, pour aller chercher du carburant qui ne suffira que pour une demi-heure seulement et qui ne soulagera pas la faim.

Vous venez d’évoquer la Croix-Rouge internationale. Dans quelles mesures vous coordonnez-vous avec les organisations humanitaires ?

Il y a de la coordination, mais très franchement, pas sur cette question des 300 litres de carburant. Par exemple, nous sommes en communication avec la Croix-Rouge internationale pour enterrer les victimes. Plus de cent cinquante corps sont actuellement conservés dans l’hôpital d'al-Chifa. Nous avons contacté la Croix-Rouge internationale hier à ce propos. Elle nous a donné aujourd’hui son feu vert, mais une heure après, elle nous a rappelé pour nous dire de ne pas bouger car nous allions nous exposer à des bombardements. L'opération a donc été annulée et les corps sont toujours présents dans la cour de l'hôpital. L’odeur de mort a commencé à se répandre au milieu des blessés et des déplacés.

Depuis plusieurs jours, l'armée israélienne assure avoir ouvert des couloirs sécurisés pour permettre aux déplacés de quitter les hôpitaux. Pourquoi ne pas les utiliser ?

C'est un mensonge. J'aimerais qu'il y ait un Internet pour vous envoyer des vidéos de ce couloir sécurisé qui est rempli de cadavres. Nous voulons sortir d’ici, les blessés et les familles déplacées veulent sortir aussi. Mais nous voulons que cela se fasse en toute sécurité, via des couloirs sécurisés vers un endroit sûr où les blessés pourront recevoir des soins médicaux. Nous ne voulons pas que nos malades et nos blessés soient abandonnés sur la route. La plupart des patients ont subi des opérations à ventre ouvert, des opérations à la tête et des opérations cardiaques, d’autres ont été amputés. Nous exigeons des couloirs sûrs et des ambulances pour les patients, car près de 400 d’entre eux, sur les 650 présents à l'hôpital, ne peuvent pas se déplacer. C'est ce que nous demandons.