logo

Le Festival de Cannes et le climat : science-fiction, actions coup de poing et polémiques

De notre envoyé spécial sur la Croisette – La crise climatique est abordée cette année au Festival de Cannes à travers deux films français : "Acide", qui explore un monde en proie à des pluies toxiques et "Le règne animal" dans lequel une mystérieuse épidémie provoque la dégénérescence de l’espèce humaine. En parallèle, des militants ont mené plusieurs actions pour dénoncer la pollution des avions privés et mega-yachts, utilisés en masse durant la quinzaine. 

Alors qu’ils s’apprêtaient à décoller de l’aéroport de Cannes-Mandelieu, samedi 20 mai, les passagers d’un avion privé ont fait une bien curieuse rencontre. Sur la piste, une voiture télécommandée leur barre le chemin, dégageant un nuage de fumigènes verts, empêchant tout départ. Cette action pour le moins originale a été revendiquée par le groupe militant écologiste Extinction Rébellion pour "mettre en lumière l’absurdité du mode de vie des ultra-riches". 

"Est-ce bien l’heure de brûler ces litres de kérosène pour fouler quelques secondes un Tapis rouge ? Stop aux jets privés, les projecteurs sont ailleurs" s’est insurgé sur Twitter le collectif postant les photos de son action.

En plein #FestivaldeCannes2023, les activistes de #ExtinctionRebellion @AnvCop21 @attac_fr ont introduit sur le tarmac de l'aéroport de #Cannes-Mandelieu des voitures télécommandées munies de fumigènes barrant ainsi la route à un jet privé s'apprêtant à décoller 🛬#Cannes2023 pic.twitter.com/7T9RISbtfw

— Extinction Rebellion France 🐝🌺 (@xrFrance) May 20, 2023

Si de prime abord cet évènement peut paraître quelque peu anecdotique, il n’est pas le seul du genre à avoir eu lieu durant le Festival de Cannes. Le même jour, une quinzaine de militants d’Attac ont déployé une longue banderole avec inscrit "Ne laissons pas les ultra-riches détruire la planète", devant quatre énormes yachts à Port Canto, dans le vieux port de la ville.  

"Alors que nous devons collectivement et individuellement réduire nos émissions de gaz à effets de serre, le Festival de Cannes est un spectacle indécent, avec ses stars arrivant en jet privé avant d’aller prendre l’apéro sur un yacht" a dénoncé le groupe dans un communiqué, fustigeant le deux poids, deux mesures entre les "classes populaires et moyennes à qui l’on demande des efforts de sobriété" et "les stars et les milliardaires qui s’exonèrent des efforts collectifs".  

15 activistes d'@attac_fr ont déployé une banderole « Ne laissons pas les ultra-riches détruire la planète » devant les méga-yachts de Cannes pour dénoncer le mode de vie des ultra-riches, irresponsable et déconnecté des enjeux du dérèglement climatique 👇https://t.co/W7AuHcvCAN

— Attac France (@attac_fr) May 20, 2023

Selon les estimations du compte "Méga yacht CO2 tracker", qui surveille de près l’activité de ces embarcations de luxes sur la Croisette, une heure d’utilisation génère environ 2 tonnes d’émissions de Co2, soit près d’un quart de l'empreinte carbone moyenne annuelle d’un français. 

Les stars d’Hollywood dans le viseur 

Pour faire entendre leur voix durant le Festival de Cannes, les activistes écolos impliqués sur ces actions n’hésitent pas à utiliser la technique du "name and shame" pour faire pression sur les gros pollueurs en s’attaquant à leur image. Après les critiques visant la visite de Tom Cruise en 2022, avec arrivée en hélicoptère et survol de la patrouille de France, ce sont désormais les hobbies d’une autre superstar d’Hollywood qui créent la controverse : Harrison Ford, reçu en grande pompe sur la Croisette pour présenter “Indiana Jones et le Cadran de la Destinée”.  

Dimanche, lors d’une interview sur France 2, l’acteur s’est lancé dans un véritable plaidoyer en faveur de la cause climatique. "Si on ne se bouge pas le cul maintenant, on va perdre cette planète !" a-t-il martelé avec ferveur, accusant les climatosceptiques d’avoir engendré cette situation par leur déni.

"Si on ne se bouge pas le cul maintenant, on va perdre cette planète !"

Le coup de gueule d'Harrison Ford dans un entretien exclusif avec @LaurentDelahous, ce soir dans #20h30ledimanche et à revoir sur https://t.co/PaFR6Ej5Lf #Cannes2023 pic.twitter.com/SyP9sZYrAk

— France 2 (@France2tv) May 21, 2023

Impliqué dans de nombreuses causes humanitaires, Harrison Ford s’était déjà exprimé sur le sujet à la tribune de l’ONU.

Problème ? La star n’est pas tout à fait une blanche colombe en matière de sobriété énergétique. Accro au pilotage, il possède lui-même plusieurs avions privés et a déclaré par le passé "être tellement passionné par l’aviation" qu’il lui arrivait "souvent de remonter la côte pour aller manger un cheeseburger".  

Écologie en perte de vitesse ?  

Ces accusations de double discours sur la question climatique ne sont pas réservées aux superstars de la Croisette. En 2021, le secrétaire général du festival Thierry Frémaux ainsi que son ancien président Pierre Lescure avaient annoncé douze mesures écologiques, visant à réduire drastiquement les déchets plastiques, à passer aux véhicules électriques et à favoriser le recyclage des matériaux et notamment du célèbre tapis rouge.  

Pour compenser l'énorme pollution générée par les déplacements des stars en avion, le Festival de Cannes a également adopté une politique de financement de projets écologiques. Mais son projet phare, censé garantir la protection d’une forêt au Zimbabwe, a été vertement épinglé dans une enquête du site d’investigation Disclose, publiée quelques jours avant l’ouverture de cette 76e édition. Les organisateurs y sont accusés de s’adonner au "greenwashing".  

En 2021, une "sélection éphémère" spéciale climat avait également été mise en place par les organisateurs afin "d’incarner cinématographiquement" l’engagement pour l’environnement du festival. Celle-ci présentait notamment des films de Cyril Dion, Aïssa Maïga et Louis Garrel, sur l’extinction des espèces, la sécheresse au Niger ainsi que la prise de conscience écologique chez les plus jeunes.

"Nous sommes le premier festival à afficher des convictions environnementales" se félicitait alors Thierry Frémaux, estimant que "la prise de conscience et la défense de la planète se jouent aussi au cinéma". Force est de constater pourtant que ces deux dernières années les questions climatiques se sont faites plus discrètes au sein des films projetés à Cannes.  

Mutations et pluies acides 

Lors de l'édition 2023, deux longs métrages français abordent tout de même cette thématique par le biais de la science-fiction. Présenté en ouverture d’Un certain regard, "Le règne animal" de Thomas Cailley plonge Romain Duris et Adèle Exarchopoulos dans un monde en proie à une mystérieuse épidémie qui génère des mutations animales chez les humains. Mêlant échanges intimistes et scènes spectaculaires, ce long-métrage fantastique explore la relation de l’Homme à son environnement ainsi que la question de la transmission.  

"Acide", de Just Philippot avec Guillaume Canet, est un drame d’anticipation cauchemardesque, dans lequel des pluies toxiques, générées par la pollution, viennent rompre une période d’intense sécheresse. Présenté dans la section parallèle Acid, dédiée au cinéma novateur et expérimental, ce film se distingue par son mode de production vertueux qui lui a valu d’obtenir dimanche le prix Ecoprod, créé en 2022 pour récompenser, chaque année durant le Festival de Cannes, le film le plus éco-responsable. 

“Acide” est un ovni cinématographique profondément angoissant qui parvient à retranscrire avec une efficacité redoutable le climat d’anxiété qui monte et qui envahit l’espace médiatique jusqu’au point de bascule.   

Dans le film, tous les personnages ne perçoivent pas la menace climatique de la même manière. “C’est la fin du monde tous les deux jours” lance un soir Michael, interprété par Guillaume Canet, en éteignant les infos, suscitant une dispute avec sa fille, visiblement plus lucide sur les évènements à venir. Pourtant, à ce stade, les états d'âmes personnels importent peu. Car lorsque les pluies acides arrivent, elles n’épargnent personne. 

Le Festival de Cannes et le climat : science-fiction, actions coup de poing et polémiques