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LDH menacée, adversaires disqualifiés, contre-vérités : Darmanin accusé "d'abîmer" la démocratie

En menaçant à demi-mot de couper les subventions de la Ligue des droits de l’Homme, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a franchi mercredi une nouvelle étape dans la lutte qu’il mène à ses opposants. Retour sur plusieurs semaines d’une séquence qui "abîme la démocratie", selon l'historienne Mathilde Larrère.

"Un ministre en roue libre", "ça dépasse les bornes", "extrêmement grave" : la gauche était unanime, mercredi 5 avril, pour condamner les propos du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui venait de menacer de baisser les subventions de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), lors d’une audition au Sénat sur sa gestion du maintien de l’ordre.

Une menace perçue comme une attaque de plus contre une voix discordante au ministre de l'Intérieur – la LDH ayant ouvertement contredit Gérald Darmanin après les violences lors des manifestations à Sainte-Soline – et qui vient s’ajouter, selon ses opposants, à des termes disqualifiants et à des contre-vérité utilisés depuis plusieurs semaines.

"On est dans une accélération du délitement de nos règles démocratiques et de notre État de droit. C’est une dérive autoritaire claire", juge sévèrement l’historienne Mathilde Larrère, spécialiste des révolutions du XIXe siècle en France et de la citoyenneté, par ailleurs militante engagée avec la Nupes lors de la campagne des législatives 2022.

  • La Ligue des droits de l’Homme menacée

En réponse à une intervention du sénateur Les Républicains François Bonhomme, qui appelait à "cesser de financer des associations qui mettent en cause gravement l’État", Gérald Darmanin a évoqué, mercredi 5 avril, lors de son audition au Sénat sur sa gestion du maintien de l’ordre, la Ligue des droits de l’Homme.

Cette association fondée en 1898 au moment de l’affaire Dreyfus a l'habitude de déployer des observateurs citoyens lors des manifestations pour, entre autres, documenter le dispositif de maintien de l'ordre. Une action vivement critiquée par Gérald Darmanin, qui a ainsi déclaré que la subvention donnée par l’État "mérite d'être regardée dans le cadre des actions qui ont pu être menées" et a souligné que les collectivités locales finançaient elles aussi la LDH.

. @LDH_Fr : "Je ne connais pas la subvention donnée par l'Etat, mais ça mérite d'être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées." @GDarmanin pic.twitter.com/Ij28AAUzrN

— Public Sénat (@publicsenat) April 5, 2023

"Depuis cent vingt ans, la LDH défend les droits et les libertés pour tous en contrepoids des pouvoirs qui ont toujours tendance à abuser, même en démocratie", répond son président, Patrick Baudouin, dans un entretien à Libération.

"La seule période où ça a été vraiment contesté, c’est une sombre période de notre histoire, puisque c’était sous Vichy où nous avons été totalement remis en cause et qu’il n’était plus question de nous remettre des subventions, poursuit-il. Alors est-ce que Gérald Darmanin voudrait revenir à une période semblable ? Je ne peux pas l’imaginer. Mais de laisser planer une telle menace, c’est extrêmement inquiétant sur l’état de notre démocratie."

  • Des adversaires "disqualifiés"

"Je refuse de céder au terrorisme intellectuel de l'extrême gauche qui consiste à renverser les valeurs : les casseurs deviendraient les agressés et les policiers les agresseurs", avait précédemment affirmé Gérald Darmanin, dimanche 2 avril, dans un entretien au Journal du Dimanche.

Une déclaration qui a scandalisé ses adversaires politiques qui dénoncent une longue liste de propos visant à les disqualifier en les caricaturant. "Lorsque l’extrême gauche et l’ultragauche se sont mêlées depuis le 16 mars aux manifestations sauvages non déclarées (…), alors oui, le chaos cherche à s’installer, déclarait ainsi déjà Gérald Darmanin le 28 mars à l’Assemblée nationale, en réponse à une question du député LR Éric Ciotti. Ce que je regrette comme vous, c’est qu’il n’y ait pas unanimité dans la classe politique pour dénoncer ces groupes factieux qui veulent mettre à bas la République. L’ultragauche ne veut pas attaquer la réforme des retraites. Elle veut attaquer la République. L’ultragauche ne veut pas attaquer le gouvernement. Elle veut attaquer les policiers."

"Oui, le chaos cherche à s'installer", déclare @GDarmanin. "Ce que je regrette comme vous Monsieur Ciotti, c'est qu'il n'y ait pas unanimité dans la classe politique, pour dénoncer ces groupes factieux qui veulent mettre à bas la République". #DirectAN #QAG pic.twitter.com/ueeqPKxhqG

— LCP (@LCP) March 28, 2023

"C’est un processus déjà vu à l’œuvre dans notre Histoire qui vise à criminaliser une opposition politique et sociale par le détournement de mots, analyse l’historienne Mathilde Larrère. Ce sont des discours assez proches de ceux que pouvaient tenir le gouvernement de François Guizot [président du Conseil des ministres de Louis-Philippe de 1847 à 1848, NDLR] lors des émeutes de la monarchie de Juillet. On parlait déjà alors de factieux et de casseurs. Quant au terme de terroriste, rappelons qu’il est habituellement utilisé par des autocrates. Vladimir Poutine, notamment, appelle tous ses ennemis des 'terroristes'."

  • Des contre-vérités répétées

Gérald Darmanin s’est aussi rendu coupable à plusieurs reprises ces dernières semaines de pratiquer les vérités alternatives. Entre autres exemples, le ministre de l’Intérieur a ainsi affirmé le 27 mars que les gendarmes présents à Sainte-Soline n’avaient "pas lancé de LBD en quad" sur les manifestants. Des vidéos ont montré le contraire.

"Aucune arme de guerre n’a été utilisé par les forces de l’ordre à Sainte-Soline", a-t-il déclaré le même jour. Des propos de nouveau réfutés : des grenades GM2L et des lanceurs de balles de défense (LBD), deux types d’armes classés comme "matériels de guerre" selon le Code de la sécurité intérieure, ont bien été utilisés à Sainte-Soline, a montré Libération.

Quelques jours plus tôt, Gérald Darmanin s’en prenait au droit à manifester. "Être dans une manifestation non déclarée, c'est un délit, qui mérite une interpellation", affirmait-il le 21 mars au micro de BFMTV. Là aussi, une contre-vérité : le Conseil d'État a même déploré, dans une ordonnance publiée le 29 mars, le "caractère erroné" de cette déclaration.

"Le mensonge est désormais un grand classique, regrette Mathilde Larrère. C’est le signe d’une démocratie qui meurt lentement car il n’y a même plus de réaction sur les plateaux TV alors qu’un membre du gouvernement ne devrait pas pouvoir mentir comme ça."