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Sur les retraites, la stratégie du double jeu du Rassemblement national

S’opposer à la réforme des retraites du bout des lèvres tout en apparaissant comme le parti de l’ordre pour mieux discréditer la Nupes, c’est le double jeu mené par le Rassemblement national depuis le début de l’année et dont Marine Le Pen espère récolter les fruits dans les urnes.

Dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, mardi 28 mars. Les renseignements généraux craignent de nouveaux débordements, semblables à ceux du 23 mars, journée lors de laquelle le commissariat de Lorient et le porche de l’hôtel de ville de Bordeaux ont brûlé. Des actes que n’ont pas manqué de condamner Marine Le Pen et le Rassemblement national (RN), tout en accusant Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité d’en écrire le scénario à dessein.

Pourtant, comme lors des neuf précédentes journées de mobilisation, ni Marine Le Pen, ni Jordan Bardella, ni Laure Lavalette, ni Sébastien Chenu, ni aucune figure notable du Rassemblement national ne sera présente mardi dans les cortèges. Car la stratégie du RN relève du double jeu : s’opposer à la réforme des retraites du bout des lèvres tout en apparaissant comme le parti de l’ordre aux yeux des Français.

"Le Rassemblement national a parfaitement compris qu’en restant modéré dans sa communication, cela suffisait pour engranger les profits", analyse Sylvain Crépon, maître de conférences à l’Université de Tours, spécialiste de l’extrême droite française. "C’est une stratégie du contraste vis-à-vis de la Nupes, qui a mené la charge à l’Assemblée nationale contre le gouvernement et dont les excès ont été critiqués. Le RN vise à apparaître comme un parti responsable tout en s’opposant à la réforme."

C’est ainsi qu’après avoir longtemps réclamé un référendum sur la réforme des retraites, Marine Le Pen a appelé à la dissolution de l’Assemblée nationale après l'utilisation du 49.3 et le rejet des motions de censure. Emmanuel Macron a "fait le choix de donner une seconde gifle au peuple français en disant : 'Écoutez, voilà, tout ce qui s'est passé va entraîner rien. Rien. Ni dissolution, ni remaniement, ni retrait de la loi, rien, on va continuer comme si de rien n’était", a-t-elle fustigé le 21 mars dans un entretien à l’AFP.

Marine Le Pen opposée aux blocages

Mais à côté de ce discours très critique vis-à-vis de l’exécutif, Marine Le Pen n’appelle pas à la grève, ne participe pas aux manifestations et condamne les blocages. "À partir du moment où les grèves [des éboueurs] entraînent des difficultés sanitaires pour la population française, je pense que le ministre de l’Intérieur doit intervenir pour qu’il n’y ait pas de difficulté sanitaire. Ce n’est pas possible. Sur les raffineries, c’est pareil. Il ne faut pas admettre les blocages. La grève est constitutionnelle, le blocage ne l’est pas. Je suis pour le respect de la loi, je leur dis d’exprimer leur désaccord en respectant la loi", a-t-elle affirmé le 20 mars sur BFMTV.

La stratégie du Rassemblement national dans la rue est en tout point semblable à celle employée à l’Assemblée nationale lors des débats sur la réforme des retraites et, plus largement, depuis le début de la législature à l’été 2022. Avec le dépôt de quelque 200 amendements seulement, les 88 députés RN sont apparus en retrait des débats qui ont fait rage dans l’hémicycle. Même la majorité, avec près de 600 amendements, a davantage voulu modifier le texte du gouvernement que les élus d’extrême droite.

"Rester calme, tout en laissant les députés insoumis multiplier les outrances, cela donne au RN une sorte de légitimité gestionnaire sans même avoir à avancer des positions, souligne Sylvain Crépon. Il ne restait plus, pour Marine Le Pen, qu’à critiquer l’obstruction de La France insoumise tout en en bénéficiant."

Car il était évidemment dans l’intérêt du Rassemblement national de pouvoir regretter l’absence d’un vote sur la réforme et, en particulier, sur le fameux article 7 qui repousse l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans. De cette manière, les députés d’extrême droite ont pu apparaître comme des élus attachés à la démocratie et au respect de la représentation nationale.

Le Rassemblement national bien aidé par la majorité

Cette stratégie est visiblement payante. Les dirigeants du RN apparaissent désormais "crédibles" lorsqu'ils s'expriment sur le sujet des retraites pour 40 % des Français, le meilleur score pour une formation politique, selon un sondage Harris Interactive pour Challenges publié le 22 mars.

Le Rassemblement national bénéficie également des choix de la majorité qui, trop occupée à vouloir décrédibiliser la Nupes, contribue à poursuivre la normalisation du parti fondé par Jean-Marie Le Pen. C’est ainsi que le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a jugé, dans Le Monde, Marine Le Pen "bien plus républicaine" que les élus de la Nupes après que celle-ci lui a apporté son soutien au moment où le député LFI Aurélien Saintoul l’avait traité d'"assassin".

"Si on pouvait se rappeler juste une chose : c'est qu'en politique on n'a pas d'ennemis, on a des adversaires, on éviterait d'en arriver à de telles extrémités" dit @MLP_officiel, qui apporte au nom du groupe Rassemblement national son soutien à @olivierdussopt. #DirectAN pic.twitter.com/tU3o7Usfj0

— LCP (@LCP) February 13, 2023

De même, quand le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, accuse la gauche de vouloir "bordéliser" l’Assemblée nationale ou que le président de la République, Emmanuel Macron, estime que La France insoumise souhaite "délégitimer" les institutions, c'est le RN qui en profite en apparaissant comme le parti de l’ordre.

Résultat : les sondages indiquent que le Rassemblement national est la force politique qui profite le mieux de la crise politique et sociale. Le dernier en date est tout à fait parlant : si des élections législatives anticipées devaient se tenir, les candidats de Marine Le Pen arriveraient en tête avec 26 % des voix, selon un sondage Ifop publié le 26 mars dans le Journal du Dimanche – soit un bond de sept points par rapport au premier tour des législatives du 12 juin 2022, quand les candidats de la Nupes ne progresseraient que d’un point (26 %) et que ceux de la majorité présidentielle en perdraient cinq (22 %).

"La véritable alternance, c'est le Rassemblement national. Après Emmanuel Macron, ce sera nous !", répète depuis plusieurs semaines Marine Le Pen.