
Champions du monde en titre, les Sud-Africains font partie des équipes favorites pour remporter la prochaine Coupe du monde de rugby en France. Une équipe dont les résultats dépassent largement le cadre sportif, les Springboks étant un facteur d’unité dans ce pays très éprouvé.
Quinze jours avant le début de la Coupe du monde 2019 organisée au Japon, l’Afrique du Sud apprenait une terrible nouvelle : le décès de l’ancien Springboks Chester Williams, à l’âge de 49 ans. Il était le seul joueur noir présent dans l’équipe nationale sud-africaine qui avait décroché en 1995 le premier titre mondial de l’Afrique du Sud, quatre ans après la fin de l’Apartheid.
Chester Williams était devenu un symbole en Afrique du Sud, celui d’une équipe nationale de rugby capable de mieux représenter la population composée à 80 % de Noirs et de métis, selon le recensement de 2011. Il avait souvent raconté les difficultés qu’il avait dû affronter pour parvenir à devenir titulaire dans cette sélection longtemps réservée aux Blancs. Pour lui, la politique de quotas mise en place au cours des années 2000 s’imposait pour permettre aux Springboks, à terme, de changer de visage. "En faisant cela, on voit que beaucoup d’enfants noirs peuvent avoir la chance de jouer pour les Springboks", expliquait-il ainsi à The Economist.
Ce système des quotas n’a jamais été retenu pour la sélection nationale, ne s’appliquant que pour le championnat local. Un débat oppose depuis plus de 25 ans les défenseurs et détracteurs de cette mesure. Peter de Villiers n’y a ainsi jamais été favorable. Il est pourtant devenu début 2008 le premier entraîneur noir des Springboks, avec pour mission d’engager une véritable transformation de l’équipe sud-africaine. Mais elle ne passait pas, selon lui, par un système de quotas qui ne constituait qu’une “perte de temps”.
Le "coup de maître" de Rassie
Pour Peter de Villiers, la sélection des joueurs en équipe nationale devait se faire sur des critères de mérite et la priorité était d’augmenter le vivier de joueurs sélectionnables. Une doctrine également suivie par l’actuel entraîneur Johan “Rassie” Erasmus, arrivé en mars 2018 à la tête des Springboks. Cet ancien troisième ligne a récupéré une équipe en perte de vitesse, qui venait de subir une série de lourdes défaites, dont une humiliation 57 à 0 en Nouvelle-Zélande en septembre 2016. À 18 mois de la Coupe du monde organisée au Japon, il avait pour mission de remettre les Springboks sur de bons rails.
Il a rapidement effectué un choix très fort en choisissant de nommer capitaine Siya Kolisi, premier joueur noir à se voir confier cet honneur. Une décision qui lui a alors valu de nombreuses critiques. “J'ai perdu beaucoup d'amis quand j'ai désigné Siya comme capitaine. Il y a eu beaucoup d'insultes. (...) Il a fallu batailler pour que les gens croient en Siya, j'ai dû lutter", a-t-il confié voilà un an au quotidien Daily Mail.
"La nomination de Siya comme capitaine a été un coup de maître de Rassie. À ce moment-là, notre rugby connaissait encore quelques débats autour de la question raciale. Ils ont été balayés et tout le pays s’est mis derrière Siya", explique le journaliste sud-africain Gavin Rich, auteur notamment de l’ouvrage “Notre sang est vert” qui retrace l’histoire des Springboks.
Siya Kolisi a soulevé la coupe Webb Ellis le 2 novembre 2019 à Yokohama, à la tête d’une équipe comptant sept joueurs de couleur sur les 23 qui ont battu l’Angleterre en finale de la Coupe du monde. Et ce joueur, qui a grandi dans le township de Zwide, près de Port Elizabeth, est logiquement devenu un symbole pour les 60 millions de Sud-Africains. "Il est l’une des plus grandes icônes sportives. Je dirais même qu’il est l'Icône sportive au vu du nombre d’affiches sur lesquelles il fait de la publicité pour différents produits à Johannesburg", raconte Gavin Rich à propos de ce joueur qui jouera pour le club français du Racing 92 la saison prochaine.
La solitude déchirante de Mapimpi
Avant de rejoindre l'Europe, Kolisi, qui aura 32 ans en juin, veut gagner l'automne prochain en France une quatrième Coupe du monde pour l'Afrique du Sud, soit une de plus que la Nouvelle-Zélande qui en compte également trois à son palmarès. Le capitaine sud-africain est souvent revenu sur l’importance de ces trophées pour la population sud-africaine dont une grande partie est confrontée à une situation socio-économique très difficile. "Pendant une Coupe du monde, les Springboks sont un moyen d’apporter de l’espoir pendant les périodes sombres. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas actuellement, tout comme en 2019. Mais lorsque les Boks ont joué la finale contre l’Angleterre, tout le pays était derrière eux", explique Gavin Rich.
Leur parcours lors de la dernière Coupe du monde était au cœur de la série documentaire “Chasing The Sun” qui a suivi la sélection sud-africaine pendant 18 mois, jusqu’à son sacre mondial. Ses cinq épisodes, qui ont connu un beau succès d’audience sur les plateformes de streaming, illustrent à la fois l'urgence sportive que connaissait Erasmus lors de sa nomination en tant que sélectionneur et le besoin d’une meilleure représentativité dans une équipe nationale longtemps réservée aux blancs.
Un moment poignant de ce documentaire montre un Rassie Erasmus très ému au moment d’évoquer la vie déchirante de l’ailier Makazole Mapimpi, né et élevé par sa grand-mère dans un village sud-africain très pauvre. Sur leurs maillots, les joueurs sud-africains arborent les portraits de leurs proches ou de leurs amis. Mapimpi n’a, lui, fourni qu’un seul cliché, une photo de lui, car tous les membres de sa famille sont morts. "On ne lutte pas dans la même catégorie. Les autres équipes n’ont pas des joueurs qui viennent de Zwete" ou d’autres zones très défavorisées, assène Erasmus, avant le quart de finale contre le Japon.
Kuna wale walimwita mapimbi.. You never know what people go through or have gone through. He played the Entire World Cup like a Champ! A big heart!#ChasingTheSun #TheMaverick pic.twitter.com/qD01iBvUS8
— Biggie (@theMrNjenga) November 4, 2020Le sélectionneur de l'époque, devenu aujourd'hui directeur du rugby au sein de la Fédération sud-africaine, confie dans “Chasing the Sun” qu’il a tenté de préserver en 2019 ces joueurs en leur demandant de ne se concentrer que sur le jeu. Mais la pression sur ses épaules était très forte et Rassie Erasmus a fini par leur demander de remporter la finale pour tous ceux qui croyaient en eux et avaient besoin d’un sacre.
Un discours qui résonne de la même manière quatre ans plus tard. "Pendant la Coupe du monde, les Springboks sont guidés par l’idée qu’ils jouent pour quelque chose qui les dépasse, afin d’unir la nation", résume Gavin Rich. Une motivation qui leur servira de nouveau dans quelques mois en France, alors que l’édition 2023 s’annonce très corsée pour eux puisqu'ils affronteront notamment en matches de poule l’Irlande, première nation au classement mondial, et l'Écosse.
La Coupe du monde 2023, qui se déroulera du 8 septembre au 28 octobre dans dix villes françaises, verra 20 sélections réparties en quatre groupes se disputer le titre mondial. France 24 vous propose, d’ici le coup d’envoi de cet événement sportif majeur, une série d’articles sur les équipes en lice. Avec une publication le "XV" de chaque mois.
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