
De notre envoyée spéciale en Turquie – Trois jours après les séismes qui ont fait plus de 20 000 morts dans le sud de la Turquie et en Syrie, les enterrements s'enchaînent. À la mosquée Bahaeddin Nakiboglu de Gaziantep, l'attente est parfois très longue pour les proches des défunts. Reportage.
Dans la cour de la mosquée Bahaeddin Nakiboglu de Gaziantep, dans le sud de la Turquie, les hommes font face aux cercueils. Six. Tous installés sur un autel en marbre d'un blanc immaculé. Certains sont en métal vert. D’autres en bois. Parfaitement alignés.
L’imam, casque-micro vissé sur la tête, récite la salât al-janaza ou prière des défunts. Derrière lui, les hommes debout, alignés, les mains ouvertes vers le ciel. "Allahou Akbar ! [Allah est le plus grand, NDLR]", puis la sourate est prononcée à voix basse. Entre les quatre takbir, pas d’inclinaison ni de prosternation.
Avec @juliettemntlly nous sommes allées dans l’une des mosquées de #gaziantep pour assister aux funérailles des victimes des #seismes en #Turquie #TurkeyQuake pic.twitter.com/rSBYD7PXSJ
— Assiya Hamza (@Missiya) February 9, 2023Le tout en quelques minutes. La prière est brève car les défunts sont trop nombreux. Islahiye, Nurdagi… les victimes proviennent toutes des localités les plus touchées par les deux violents séismes qui ont frappé le sud de la Turquie, le 6 février.
Les femmes, restées derrière ou sur les côtés comme le veut le rite funéraire musulman, pleurent, serrées les unes contre les autres. Parfois, un sanglot s’échappe.
Les enterrements s’enchaînent à vive allure car les victimes des #seismes en #turquie sont bien trop nombreuses #earthquakeinturkey @France24 pic.twitter.com/Fnx3FCVtEs
— Assiya Hamza (@Missiya) February 9, 2023À peine la récitation de l’imam terminée, il faut soulever les cercueils, les uns après les autres, pour les déposer dans des fourgons blancs. Les mêmes qui les avaient déposés plus tôt. Chaque minute compte. D’autres familles attendent parfois depuis des heures. On enterre à la chaîne depuis le tremblement de terre.
Les fourgons déposent les cercueils afin que les dépouilles reçoivent la toilette funéraire. L’imam prononce la prière des défunts dans la cour de la mosquée avant le départ pour le cimetière @FRANCE24 #seismes #Turquie #earthquakeinturkey pic.twitter.com/T9Cyo3jHd6
— Assiya Hamza (@Missiya) February 9, 2023"Il ne pouvait pas me répondre"
Çan vit à Londres. C’est son père qu’il s’apprête à enterrer aujourd'hui. Il patiente devant le bâtiment où se déroule la toilette rituelle des défunts. Les traits tirés, le jeune homme semble anesthésié par la douleur. Il travaillait lorsqu’il a appris qu’un tremblement de terre avait secoué sa terre natale. "Au début, j’ai essayé de joindre mon père. J’ai appelé encore et encore mais il ne répondait pas, raconte-t-il doucement. Il ne pouvait pas me répondre."

Le jeune homme a pris le premier vol pour Istanbul. Le lendemain, lorsqu’il arrive enfin à Nurdagi, c’est un spectacle de désolation qui s’offre à lui. "Tout s’est effondré. Tous les immeubles, toutes les maisons, se souvient-il les yeux hagards. Je n’ai pas de mots..."
Çan se tait. Quelques secondes. "J’ai perdu mon père, mon oncle et ma grand-mère. Ils ont essayé d’aller dehors mais…" Le jeune homme s’interrompt une nouvelle fois.
Il est resté trois jours sur place. "Les recherches se poursuivent. Tout le monde travaille encore. D’autres bâtiments s’effondrent. Les gens vivent dans la rue. Il n’y a d’eau, pas de pain, pas de nourriture. Rien. Les habitants attendent juste l’aide. C’est tout."
Le rite funéraire musulman est respecté tant bien que mal malgré le nombre de victimes à enterrer à #Gaziantep #seismes #Turquie #earthquakeinturkey @FRANCE24 pic.twitter.com/CvlhqdoipS
— Assiya Hamza (@Missiya) February 9, 2023Le bal macabre des fourgons se poursuit. Ils déposent les cercueils, rangés sur les étagères en métal, les uns après les autres. Les brancards verts s’engouffrent dans le bâtiment où les défunts recevront la toilette rituelle mortuaire. Comme des dizaines d'autres avant lui, Çan attend patiemment la dépouille de son père. Ce n'est qu'une fois leurs corps purifiés (pour favoriser leur passage vers l’au-delà selon la religion musulmane), qu'ils rejoindront la cour de la mosquée, puis le cimetière d’Asri, à quelques encablures.
Le cimetière d’Asri à #Gaziantep est immense #seismes #Turquie #earthquakeinturkey @FRANCE24 pic.twitter.com/NqL7x9uFiD
— Assiya Hamza (@Missiya) February 9, 2023Des tombes à perte de vue. Une ville dans la ville avec ses collines et ses pins. C’est l’heure de la mise en terre pour une autre famille. Le cercueil est déposé sur le sol, juste à côté de la tombe. L’imam prononce une dernière prière. Le linceul blanc apparaît alors pour retourner à la terre.