Une partie du sud de l’Éthiopie s'est rendue aux urnes lundi pour se prononcer pour ou contre la création d’un nouvel État régional. Un référendum en accord avec la Constitution fédérale mais à rebours du discours unificateur du Premier ministre, Abiy Ahmed.
Quelque 19 000 agents ont été déployés dans le sud de l’Éthiopie pour assurer le bon suivi du référendum. Lundi 6 février, plus de trois millions de citoyens du sud de l'Éthiopie, sur les 108 millions que compte le pays, ont été appelés aux urnes après une pétition lancée dans six zones et cinq districts appartenant actuellement à l'État régional des Nations, Nationalités et Peuples du Sud (SNNPR). Il s'agit de l'un des 13 États régionaux du pays qui est visé par la subdivision. L’enjeu est de taille : si le "oui" l’emporte, l’Éthiopie se dotera d’un quatorzième État régional, si l'on inclut les deux "villes régions" d'Addis-Abeba et de Dire Dawa. Et d’une nouvelle fragmentation au sein d’un pays déjà miné par les luttes interethniques.
Le scrutin, approuvé en août par la Chambre de la Fédération, chambre haute du Parlement éthiopien, a été rendu possible en vertu de l’article 47 de la Constitution de 1994 qui donne à "chaque nation, nationalité et peuple", "le droit d’établir leur propre État, à tout moment". C'est sur ce fondement juridique que la principale ethnie de la région concernée, l’ethnie Wolayta, s’est basée pour obtenir davantage d’autonomie.
Un vote sans suspense
Les territoires Wolaytas ont été ralliés à l'Éthiopie au début des années 1890 sous le règne de Ménélik II, après avoir opposé une constante résistance. Depuis le début des années 2000, les membres de l’ethnie réclamaient en vain la création d'un État régional spécifique. "Après avoir été fortement mobilisés ces dernières années en s’opposant au gouvernement, ils ont obtenu par ce vote une partie de ce qu’ils réclament", explique Sabine Planel, chercheuse à l’Institut de Recherche pour le développement (IRD) et spécialiste de l’Éthiopie.
L’issue du scrutin ne fait aucun mystère. "Si le vote a lieu, c’est qu’il y a une entente au préalable à ce sujet, assène Gérard Prunier, historien et spécialiste de la Corne de l’Afrique. Le vote sera favorable à 80 ou 90 %, comme cela a été le cas pour les autres référendums".
Car ce n’est pas la première fois que des référendums de ce type se tiennent dans cette région du sud de l’Éthiopie. Depuis l'arrivée au pouvoir en 2018 de l'actuel Premier ministre Abiy Ahmed, deux nouveaux États régionaux ont vu le jour après des consultations similaires. La région de Sidama en 2019 puis celle du Sud-Ouest en mars 2022 se sont elles aussi séparées du SNNPR auxquelles elles appartenaient. Avec ce nouveau référendum, cette région du Sud composée de 56 ethnies, sera à nouveau morcelée, cette fois-çi en trois régions. "Et ce n’est pas fini car on attend un autre référendum toujours dans l'État régional du SNNPR, poursuit Sabine Planel. À terme, on va créer quatre ou même cinq nouveaux États au lieu de solutionner les nombreux problèmes qui agitent cette région fédérale de 20 millions d’habitants régulièrement en proie aux conflits ethniques. Un tel scénario va à l’encontre du crédo porté par le gouvernement qui veut unifier pour mieux gérer. Mais on a pu voir, depuis qu'il a pris les commandes, que l’exécutif est extrêmement fort pour dire une chose et faire l’exact contraire."
Des velléités ethniques exacerbées par Addis-Abeba
Pour de nombreux observateurs, la politique d’Abiy Ahmed est directement responsable de l’embrasement des revendications ethniques auquel on assiste. Cette situation "est le fruit d’une politique de libéralisation en trompe-l’œil menée par le Premier ministre dès son arrivée au pouvoir : il n’a cessé de soutenir les revendications d’ethnies à travers ses nombreuses tournées, notamment dans le sud du pays, pour ensuite s’opposer à leur reconnaissance politique. Ce faisant, il n’a fait qu’exacerber les velléités revendicatrices des groupes ethniques."
Autre problème, les créations de ces nouvelles régions interethniques risquent d’entrainer de nouveaux sujets de discorde, ouvrir de nouvelles brèches. "Le choix de la capitale, celui du portefeuille ou celui des ethnies pour représenter les élus, risque d’alimenter les revendications déjà nombreuses. Les attentes de chacune des ethnies vont être extrêmement difficiles à satisfaire et amener une conflictualité locale renforcée. La seule question de la capitale est à ce point cruciale que certains votants de cette région ont d’ores et déjà annoncé que si leur ville n’était pas choisie comme capitale, ils descendraient dans la rue".
Reste une question : pourquoi le Premier ministre, qui se pose en unificateur du pays, ne fait-il pas changer la Constitution pour mettre fin à ces référendums ? "Parce que cette constitution l’arrange, conclut sans ambages Sabine Planel. Elle lui permet de continuer un mode de gouvernement extrêmement autoritaire au sein duquel il joue le jeu des alliances nouées les unes contre les autres, comme le faisait le régime précédent. Il en est d’ailleurs un digne héritier. Il joue constamment sur des alliances et des coalitions pour se maintenir au pouvoir." En somme, il s’agit de diviser pour mieux régner.
Selon la Commission électorale nationale d'Éthiopie (NEBE), les résultats seront publiés le 15 février 2023.