Reconnaissant pour la première fois l'ampleur de la répression dans le cadre des manifestations antigouvernementales, le guide suprême iranien a ordonné dimanche une amnistie ou une réduction des peines de prison pour des "dizaines de milliers" de personnes détenues.
L'annonce a été faite via un communiqué, et la mesure prévue à l'occasion du 44e anniversaire de la victoire de la révolution islamique, le 11 février prochain.
Le guide suprême de l'Iran a ordonné, dimanche 5 février, une amnistie ou une réduction des peines de prison pour des "dizaines de milliers" de personnes détenues dans le cadre des manifestations antigouvernementales qui secouent le pays.
Le décret de l'ayatollah Ali Khamenei, qui s'inscrit dans le cadre de la grâce que le guide suprême accorde chaque année avant l'anniversaire de la révolution islamique de 1979 en Iran, intervient alors que les autorités n'ont pas encore précisé le nombre de personnes détenues lors des manifestations.
Ali Khamenei "a accepté d'offrir l'amnistie et de réduire les peines de dizaines de milliers de personnes accusées et condamnées lors des récents incidents", a déclaré l'agence de presse publique Irna en farsi. Une dépêche ultérieure de l'Irna, diffusée par son service en langue anglaise, a déclaré que les grâces et les peines commuées concernaient "des dizaines de milliers de condamnés, y compris les personnes arrêtées lors des récentes émeutes en Iran".
Les autorités n'ont pas immédiatement reconnu la divergence entre les rapports, et le communiqué ne précise pas le nombre des personnes concernées par cette mesure. "Des dizaines de milliers" de détenus sont susceptibles d'en bénéficier, selon des médias.
Libération en échange d'une "déclaration de remords"
Les médias d'État ont également publié une liste de réserves sur l'ordonnance qui disqualifierait de ces amnisties les personnes ayant des liens avec l'étranger ou faisant l'objet d'accusations d'espionnage – des allégations qui ont suscité de nombreuses critiques internationales.
Sont exclus de l'amnistie les "accusés d'espionnage, de meurtres et de blessures intentionnelles, de destruction et d'incendie contre des installations gouvernementales, militaires et publiques", précise le communiqué.
Sur son site Mizan Online, l'autorité judiciaire iranienne ajoute quant à elle que les individus arrêtés en lien avec le mouvement de protestation ne seront relâchés que s'ils signent une "déclaration de remords et un engagement écrit de ne pas répéter un crime intentionnel similaire".
Prisons surpeuplées, "grâce hypocrite"
Les dépêches sur le décret ne donnaient aucune explication sur la décision de Khamenei, qui a le dernier mot sur toutes les questions d'État en Iran. Cependant, les prisons et les centres de détention étaient déjà surpeuplés dans le pays, après des années de protestations, sur des questions économiques notamment.
Les militants ont immédiatement rejeté le décret de Khamenei.
"La grâce hypocrite de Khamenei ne change rien", a écrit Mahmood Amiry-Moghaddam, du groupe Iran Human Rights, basé à Oslo. "Non seulement tous les manifestants doivent être libérés sans condition, mais c'est aussi un droit public que ceux qui ont ordonné la répression sanglante et leurs agents soient tenus responsables."
Les autorités n'ont pas non plus cité le nom des personnes qui ont été graciées ou qui ont bénéficié de peines plus courtes. Au lieu de cela, la télévision d'État a continué à parler des manifestations comme d'une "émeute soutenue par l'étranger", et non comme d'une colère d'origine nationale provoquée par la mort, en septembre, de Mahsa Amini.
La colère s'est également répandue à la suite de l'effondrement du rial iranien par rapport au dollar américain, ainsi que de l'armement par Téhéran de la Russie en drones porteurs de bombes dans sa guerre contre l'Ukraine.
Plus de 19 600 personnes ont été arrêtées pendant les manifestations, selon Human Rights Activists in Iran. Au moins 527 personnes ont été tuées lors de la répression violente des manifestations par les autorités, selon ce groupe qui suit la répression. L'Iran n'a pas communiqué de bilan depuis des mois. Au moins quatre personnes ont été exécutées dans le cadre des manifestations à l'issue de procès critiqués par la communauté internationale.
Journaliste arrêtée
Dimanche, la cheffe du service société du quotidien Ham Mihan, Elnaz Mohammadi, "a été arrêtée à Téhéran après sa convocation", a indiqué le journal réformateur Shargh sur son site, sans plus de précision.
Elle est la sœur de la journaliste Elaheh Mohammadi, détenue depuis septembre dans la prison d'Évine à Téhéran. L'Autorité judiciaire l'a inculpée en novembre des chefs de "propagande contre le système" et "complot contre la sécurité nationale" pour avoir couvert l'affaire Mahsa Amini.
La justice a par ailleurs condamné à un an de prison le journaliste Hossein Yazdi, incarcéré depuis le 5 décembre à Ispahan (centre), a indiqué Shargh. Celui-ci était le directeur du site d'actualité politique Mobin 24, basé dans cette ville.
L'Association des journalistes de Téhéran a indiqué début janvier que plus de 30 journalistes iraniens étaient toujours incarcérés en lien avec les manifestations.
Fin octobre, plus de 300 journalistes et photojournalistes iraniens avaient critiqué dans une lettre ouverte les autorités pour avoir "arrêté (leurs) confrères et pour les avoir privés de leurs droits", notamment l'"accès à leurs avocats".
Avec AFP et AP