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Il y a dix ans débutait l’opération militaire française Serval au Mali, destinée à repousser l’avancée jihadiste vers Bamako. Depuis, la présence militaire française, maintenue à travers l'opération Barkhane, a suscité bien des tensions entre Bamako et Paris, forcé à un retrait hâtif de ses troupes l'année dernière. 

"J’ai au nom de la France, répondu, à la demande d’aide du président du Mali". Le 11 janvier 2013, François Hollande annonçait le début de l’opération militaire Serval.

Déployés pour repousser l’avancée jihadiste vers Bamako, les militaires français avaient été accueillis en sauveurs par la population malienne. Pourtant, l’opération Barkhane, déclenchée en 2014 pour contenir la menace terroriste dans tout le Sahel, n’est cependant pas parvenue à endiguer la progression des groupes jihadistes.

Depuis, les relations entre Paris et les militaires putschistes au pouvoir depuis août 2020 se sont sévèrement dégradées, conduisant au retrait précipité des troupes françaises, courant 2022.

De la victoire à l’enlisement

Déclenchée en urgence le 10 janvier, l’opération Serval a permis de bloquer l’avancée d’une alliance de jihadistes et de rebelles touareg venus du nord vers Bamako.

Forte de cette victoire, la France souhaitait accompagner la montée en puissance des armées régionales fédérées sous la bannière du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), tout en empêchant la "reconstitution de zones refuges terroristes".

Une mission dès lors vouée à l’échec, selon le journaliste Rémi Carayol, auteur du livre "Le mirage sahélien - la France en guerre en Afrique. Serval, Barkhane et après ?". "Il faut décorréler l’opération Serval de l’opération Barkhane" explique-t-il. "L’opération Serval était une guerre gagnable et elle a été gagné. L’objectif était très clair : il s’agissait de repousser les groupes jihadistes qui contrôlaient une partie du Mali. L’erreur majeur de l’exécutif français à ce moment-là a été de poursuivre cette opération et de la transformer en 2014 en opération Barkhane, aux objectifs beaucoup plus flous. Le fait d’étendre l’intervention à cinq pays de la région, et non plus au seul Mali, rendait la mission quasiment impossible pour les militaires".

Déplacement de la menace

Lancée le 1er août 2014, l’opération Barkhane comprend 3 000 soldats déployés sur deux points d’appui permanents : Gao au Mali, et N’Djamena au Tchad. Ce dispositif, le plus important déploiement français en opération extérieure, s’étoffera avec une base supplémentaire à Niamey, au Niger, et un contingent atteignant 5 000 soldats. Mais le territoire à sécuriser est immense, il s’étend sur plus de 5 millions de km2, soit dix fois la France.

"Au fil des années, l’opération s’est dotée de moyens supplémentaires : plus d’hommes, plus de matériel avec notamment des drones puis des drones armés. Malgré tout, les jihadistes ont continué de gagner du terrain. Le contexte a évolué avec des conflits et des insurrections locales et l’intervention de la France est devenue problématique" analyse Rémi Carayol.  

Un temps concentrée dans le nord, la présence jihadiste s’est graduellement étendue à la région centre, dans la zone dite "des trois frontières" (Mali, Burkina Faso, Niger), théâtre, ces dernières années, d’une multiplication des attaques, menaçant la stabilité de la région.

"Le paysage conflictuel s’est déplacé et est devenu beaucoup plus complexe. Au problème touareg et à la menace jihadiste se sont ajoutés des guerres de territoires mais aussi des guerres de trafic" explique Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "La France ne combattait que sur un front, le jihadisme, et à ce titre ne pouvait avoir qu’un impact limité sur le contexte sécuritaire global."

Crise diplomatique aigue

Alors que la situation sécuritaire s’aggrave, la coopération entre le France et le Mali souffre en coulisse de divergences stratégiques. Depuis la libération de Kidal en 2013, certains reprochent à Paris d’avoir protégé les indépendantistes touareg en empêchant l’armée malienne d'entrer dans la ville.

La délicate question des négociations avec les groupes terroristes, souhaitée par Bamako mais catégoriquement rejetée par Paris, suscite elle aussi des frictions.   

Ces divergences vont éclater au grand jour après la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta et l’arrivée au pouvoir des militaires, en août 2020, lors d’un coup d’État condamné par Paris.

Alors que les nouveaux dirigeants maliens pointent du doigt l’incapacité de la France à endiguer le terrorisme, Paris, parvenu à éliminer plusieurs chefs jihadistes, accuse les autorités maliennes, censées capitaliser sur ces avancées pour restaurer l'autorité de l'État, de ne pas jouer leur rôle. L’arrivée sur le sol malien de la milice russe Wagner, jugée par Paris comme incompatible avec la présence française, marquera un point de bascule définitif.

Dans un climat politique de plus en plus hostile et alors que les manifestations anti-françaises se multiplient à Bamako, Emmanuel Macron annonce, le 9 novembre 2022, la fin officielle de l’opération Barkhane. Le 15 août, les derniers soldats français avaient quitté le pays, marquant la fin de neuf ans d’opérations militaires au Mali. La France conserve un effectif de 3 000 militaires encore déployés au Niger, au Tchad et au Burkina Faso.

Pour Rémi Carayol, la position de la France dans la région sahélienne est devenue intenable : "C’est l’ancienne puissance coloniale et nous sommes aujourd’hui dans une période de profonde remise en cause de ce qui a fait ces États post-coloniaux".

Si le journaliste considère que la France ne peut pas, à elle seule, être tenue responsable de la crise sécuritaire, il estime que la propagande russe ne peut pas non plus expliquer le sentiment anti-français qui gagne du terrain dans la région. "Il y a une colère contre la politique française qui s’exprime, parfois de manière outrancière. Le feu couvait depuis longtemps. Les russes n’ont fait qu’ajouter de l’huile".