
Les droits des femmes continuent de reculer en Afghanistan : les Taliban leur interdisent désormais l'accès à l'université. Une décision dénoncée par la communauté internationale, qui menace le régime de sanctions. Des réactions hypocrites selon certains observateurs, qui estiment que l'Occident, notamment les États-Unis qui ont occupé le pays durant 20 ans, aurait pu avoir un réel impact dans la lutte contre le régime taliban.
En Afghanistan, les femmes ne peuvent plus aller à l'université. L'accès à ces lieux d'enseignement supérieur leur est désormais interdit, car ces dernières ne "respectaient pas le code vestimentaire", a expliqué, jeudi 22 décembre, le ministre taliban de l'Enseignement supérieur. De nouvelles mesures prises à l'encontre des femmes qui, selon le G7, peuvent constituer un "crime contre l'humanité".
Mardi soir, le ministre Neda Mohammad Nadeem a ordonné à toutes les universités publiques et privées d'empêcher les étudiantes de suivre des cours, pour une durée indéterminée.
Jeudi, il a dit avoir pris cette décision car les "étudiantes qui se rendaient à l'université (...) ne respectaient pas les instructions sur le hijab. Le hijab est obligatoire dans l'islam", a insisté le ministre de l'Enseignement supérieur, faisant référence à l'obligation faite aux femmes en Afghanistan de se couvrir le corps, entièrement, et le visage.
Selon lui, les filles qui étudiaient dans une province éloignée de leur domicile "ne voyageaient pas non plus avec un 'mahram', un accompagnateur masculin adulte".
"Notre honneur afghan ne permet pas qu'une jeune femme musulmane d'une province se retrouve dans une province éloignée sans que son père, son frère ou son mari ne l'accompagne", a ajouté Neda Mohammad Nadeem à la télévision d'État.
Les madrassas également fermées
Pour le responsable taliban, certaines matières n'étaient pas non plus adaptées : "L'ingénierie, l'agriculture et certains autres cours ne correspondent pas à la dignité et à l'honneur des étudiantes et aussi à la culture afghane."
Les madrassas (écoles coraniques) situées à l'intérieur des mosquées et qui accueillaient des étudiantes ont également été fermées, a-t-il précisé.
Après la prise du pouvoir par les Taliban en août 2021, les universités ont été contraintes d'adopter de nouvelles règles, notamment pour séparer filles et garçons pendant les heures de classe.
Les femmes n'étaient autorisées à se voir donner des cours que par des professeures du même sexe ou des hommes âgés.

"Crime contre l'humanité"
Cette nouvelle atteinte aux droits des femmes a été un choc pour de nombreuses jeunes Afghanes (déjà exclues des écoles secondaires), et a suscité des condamnations internationales.
Jeudi, les ministres des Affaires étrangères du G7 ont ainsi estimé que les mesures prises à l'encontre des femmes pouvaient équivaloir à un "crime contre l'humanité".
Le même jour, l'Unesco a "fermement" condamné l'interdiction faite aux femmes d'accéder aux universités, dénonçant une "profonde violation de la dignité humaine et du droit fondamental à l'éducation".
La veille, l'Organisation de la coopération islamique (OCI) avait jugé que cela "portait gravement atteinte à la crédibilité du gouvernement".
Dans son entretien télévisé, le ministre de l'Enseignement supérieur a quant à lui demandé à la communauté internationale de "ne pas s'immiscer" dans les affaires intérieures de son pays.
"Les 20 ans de présence américaine n'ont servi à rien"
Pour Gauthier Rybinski, chroniqueur international à France 24, les Occidentaux sont également à blâmer dans les reculs actuels. "Les 20 ans de présence américaine n'ont servi à rien : en continuant à jouer sur la politique habituelle des clans afghans, rien n'a été fondé. Les femmes ont pu sortir de leur enfermement, de leur prison familiale, elles ont pu faire des études mais tout cela reposait uniquement sur la présence des États-Unis et non sur un mouvement de construction de la société qui aurait permis la pérennité de la chose."

Alors que les femmes qui sont arrêtées dans la rue parce qu'elles n'ont pas de parent masculin pour les surveiller risquent coups de fouet voire lapidation, le chroniqueur international rappelle la terreur mise en place par les Taliban, et le déni de l'Occident.
"Aujourd'hui, l'Occident prétend vouloir corriger sa propre lâcheté en imposant des sanctions financières aux Taliban, mais les Taliban n'en ont rien à faire : ils ne sont pas là pour développer la richesse de l'Afghanistan, mais pour régner de manière totalitaire et s'en mettre plein les poches, donc les sanctions seront comme un coup d'épée dans l'eau."
Difficile contestation
Jeudi matin, une vingtaine d'Afghanes ont défié le régime en manifestant dans une rue de Kaboul pour défendre leur droit à étudier.
Certaines ont été arrêtées par des policières, a assuré à l'AFP une manifestante sous couvert d'anonymat. Deux ont été libérées dans la journée, mais plusieurs sont restées en détention, a-t-elle ajouté.
Initialement prévu devant le campus de la capitale afghane, le plus important et le plus prestigieux, le rassemblement a dû être déplacé en raison du déploiement de nombreux membres armés des forces de sécurité.

De telles manifestations sont de plus en plus rares en Afghanistan depuis l'arrestation de militantes de premier plan en début d'année, tandis que les journalistes sont empêchés de couvrir les rassemblements.
Dès le lendemain de l'annonce, des gardes armés avaient été déployés devant plusieurs universités pour empêcher les étudiantes de pénétrer sur les campus.
"Nous sommes condamnées, nous avons tout perdu", avait confié l'une d'elles, refusant d'être identifiée de peur de représailles de la part des Taliban qui patrouillaient autour de son établissement.
Selon notre correspondante au Pakistan, un début de mouvement de contestation est visible, plusieurs étudiantes assurant qu'elles ne baisseront pas les bras. "On peut s'attendre à des cours clandestins comme c'est déjà le cas pour les collégiennes et lycéennes, avec des enseignants qui sont devenus militants pour le droit à l'éducation des filles", développe Sonia Ghezali. "Il y a aussi les cours en ligne, mais la misère dans le pays est telle que beaucoup d'Afghanes ne peuvent se le permettre", ajoute la journaliste de France 24.

En dépit de leurs promesses de se montrer plus souples, les Taliban sont revenus à l'interprétation ultrarigoriste de l'islam qui avait marqué leur premier passage au pouvoir (1996-2001), et ils ont multiplié les mesures à l'encontre des femmes.
Le 23 mars, ils avaient ainsi fermé les écoles secondaires pour les filles.
Au cours des vingt ans d'occupation par les forces internationales, les différents gouvernements qui s'étaient succédé avec le soutien de l'Occident avaient permis aux filles d'aller à l'école et aux femmes de trouver un emploi, même si l'Afghanistan restait conservateur dans le domaine social.
Désormais, les femmes sont exclues de nombreux emplois publics ou payées une misère pour rester à la maison. Elles n'ont pas le droit non plus de voyager sans être accompagnées d'un parent masculin et doivent se couvrir d'une burqa ou d'un hijab lorsqu'elles sortent de chez elles.
En novembre, les Taliban leur ont également interdit d'entrer dans les parcs, jardins, salles de sport et bains publics.
Avec AFP