La répression semble franchir un nouveau cap en Iran après l'exécution de Majid Reza Rahnavard. Le jeune homme de 23 ans est le deuxième mis à mort après le début des manifestations qui ébranlent le pays depuis trois mois, et le premier publiquement. Selon Amnesty International, vingt-huit autres personnes dont trois mineurs, risquent le même sort.
"Le régime s'est rendu compte que tuer les manifestants dans la rue ne suffisait pas à étouffer la contestation. Donc maintenant, il les tue dans un tribunal", dénonce Hirbod Dehghani-Azar. Cet avocat franco-iranien répertorie depuis Paris les exactions commises par les autorités iraniennes dans la répression des manifestations qui secouent le pays depuis trois mois [et la mort de Mahsa Amini, arrêtée puis tuée par la police des mœurs]. "Nous avions déjà les arrestations arbitraires, les violences, la torture… La peine de mort n'est qu'un outil de plus dans leur arsenal pour faire régner la terreur."
Les autorités judiciaires iraniennes ont annoncé lundi 12 décembre la deuxième exécution d'un manifestant depuis les débuts du mouvement de contestation provoqué par la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, jeune Kurde iranienne de 22 ans, après son arrestation par la police des mœurs pour avoir, d'après celle-ci, enfreint le code vestimentaire strict de la République islamique. Après Mohsen Shekari, reconnu coupable d'avoir attaqué et blessé un paramilitaire, Majid Reza Rahnavard, 23 ans, a été pendu à l'aube, 23 jours seulement après son arrestation. D'après les médias officiels, il était accusé d'avoir tué à l'arme blanche deux membres des forces de sécurité et d'avoir blessé quatre autres personnes.
Première exécution publique
Contrairement à Mohsen Shekari, exécuté jeudi dans le secret le plus complet, Majid Reza Rahnavard a été mis à mort publiquement. Dans les heures qui suivaient, les médias d'État diffusaient des images montrant le jeune homme, les mains liées derrière le dos, suspendu à une corde attachée à une grue sur une place de la ville de Machhad, dans le nord-est de l'Iran. "Cette mise à mort se veut une illustration brutale que le régime est prêt à tuer et il veut le faire savoir", confie à France 24 Mahmood Amiry-Moghaddam, directeur de l'ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo, en Norvège.
"D'autant plus que le choix de Majid Reza Rahnavard paraît symbolique", abonde l'avocat Hirbod Dehghani-Azar. "Il était jeune et pratiquait la lutte – un sport sacré en Iran. En le condamnant à mort, le message était clair : 'peu importe votre âge, peu importe qui vous êtes, vous pourriez être le prochain.'" De quoi faire écho, peut-être, jusqu'au Qatar où certains joueurs iraniens ont profité de la tribune offerte par la Coupe du monde de football pour adresser un soutien implicite aux manifestants..
L'Iran, champion des condamnations à mort
Ce recours à la peine capitale n'a rien de surprenant, rappelle l'avocat, alors que l'Iran détient, avec la Chine, "le sombre record du nombre de condamnations à mort par habitant dans le monde". "Y sont passibles : les meurtres, le trafic de drogue, les crimes contre l'État, mais aussi le blasphème, l'adultère ou la sodomie – considérés comme des atteintes à la religion", souligne-t-il.
Le pays comptabilisait ainsi 333 personnes exécutées en 2021 et 267 en 2020, selon le décompte effectué chaque année par Iran human rights. La République islamique est par ailleurs le pire bourreau des femmes, avec 185 pendaisons depuis 2010, et concentre à lui seul 73 % des exécutions de mineurs dans le monde, selon la même source.
"Et chaque fois que le pays est le théâtre de mouvements de protestation, le pouvoir répond avec une violence inouïe, en recourant notamment à la peine de mort. ll n'a jamais hésité à l'utiliser comme un outil d'instrumentalisation ou de répression politique", rappelle Mahmood Amiry-Moghaddam, le directeur de l'ONG IHR. Ce dernier évoque par exemple "des centaines" de condamnés à la peine capitale en 2009, face au mouvement "vert" contre la fraude électorale, ou lors des gigantesques manifestations antigouvernementales en 2017 et 2019.
Ainsi, "dès que les autorités sentent un mouvement de contestation émerger, le nombre de condamnations à mort augmente de façon dramatique", poursuit-il. "Avant même septembre, l'année 2022 avait été riche en protestations. Résultat : on compte au total 510 exécutions depuis janvier."
Des simulacres de procès
En théorie, le pouvoir ne peut pas légalement condamner un manifestant pour être simplement descendu dans la rue, rappelle de son côté l'avocat franco-iranien Hirbod Dehghani-Azar. Pour contourner cela, les autorités créent de fausses accusations et s'appuient, selon les experts, sur un système judiciaire totalement à leur service.
"On force les accusés, sous la torture, à avouer des faits qu'ils n'ont pas commis et qui permettent de les juger pour 'inimitié à l'égard de Dieu ou corruption sur la Terre'", explique-t-il. "Ces deux concepts, très vagues, laissent une très grande marge de manœuvre aux juges. Considérés comme des lois d'exception, ils permettent de condamner à mort dans des procès expéditifs à huis clos, en privant les accusés d'avocat ou de témoins."
Dans les jours qui ont précédé son exécution, des vidéos montrant Majid Reza Rahnavard, hématomes sur le visage et bras dans le plâtre, avouant ses crimes, ont circulé sur les réseaux sociaux. "Une preuve de torture mais pas de son crime", selon l'avocat.
"Le système judiciaire est au service de l'État, pas de la protection du peuple", déplore Mahmood Amiry-Moghaddam d'IHR. "Et les avocats qui, courageusement, continuent de défendre les accusés risquent la même peine qu'eux. En plaidant pour eux, ils se rendent coupables des mêmes crimes."
La crainte d'exécutions de masse
Au total, Amnesty international a identifié 27 autres manifestants condamnés à la peine capitale. "Un chiffre que nous savons sous-estimé. Mohsen Shekari, par exemple, n'était pas dans notre liste", explique Fanny Gallois, responsable du programme Libertés à Amnesty France.
"Des milliers de personnes ont été emprisonnés depuis le début des manifestations. Si rien n'est fait, la liste des condamnés à mort va s'allonger de jour en jour", alerte-t-elle, appelant à la mise en place d'une enquête indépendante pour enquêter sur les violations des droits humains dans le pays. "Sans compter qu'à cette liste doivent aussi s'ajouter les quelque 500 personnes ont été tuées dans la répression des manifestations."
Parmi les personnes identifiées par l'ONG, Mahan Sadrat, accusé d'avoir brandi un couteau dans les manifestations – ce qu'il nie – a été condamné à mort le 3 novembre et transféré samedi à la prison de Rajai Shahr de Karaj, près de Téhéran, "faisant craindre une exécution imminente".
URGENT: His name is #MahanSedrat, 23, a protester on death row.Mahan's father says that his son's death sentence has been confirmed by the Supreme Court & he could be executed at any moment. No due process, no justice! #StopExecutionsInIran
#MehsaAmini #مهسا_امینی #ماهان_صدرات pic.twitter.com/EYIjijCIjI
Se trouvent aussi dans le liste le champion de karaté Mohammad Mahdi Karami, le rappeur kurde Saman Yasin visé après avoir publié des messages de soutien aux manifestants sur les réseaux sociaux, ou encore un médecin radiologue Hamid Ghare-Hasanlou dont la femme, a déjà été condamnée à vingt-cinq ans de prison dans le sud du pays.
Selon Amnesty, le couple avait assisté début novembre à une cérémonie pour le quarantième jour de la mort de Hadith Nadjafi, tué lors d'une manifestation. En rentrant chez eux, ils se seraient retrouvés bloqués près d'un endroit où un milicien venait d'être tué. "Trois mineurs de 17 ans se trouvent aussi dans la liste des condamnés", termine Fanny Gallois d'Amnesty international. De son côté, la justice iranienne assure avoir prononcé des condamnations à mort contre onze personnes en lien avec les "émeutes".
"Aujourd'hui, je crains le pire. Car si le régime utilise la peine capitale pour provoquer la terreur de la population, cela semble avoir l'effet inverse : elle attise sa colère et la mobilisation ne faiblit pas", conclut de son côté l'avocat Hirbod Dehghani-Azar. "La communauté internationale doit répondre de façon beaucoup plus plus sévère. Si elle ne le fait pas, les exécutions vont se poursuivre, quotidiennement."
Lundi, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a annoncé que l'UE allait approuver "un ensemble de sanctions très, très dures" contre Téhéran, ciblant selon Berlin les responsables des exécutions et de la répression.