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Ioannis Kasoulides, MAE de Chypre : "la solution turque de deux pays ne sera jamais acceptable"
Audio 17:07

Nous partons vers un petit pays d’1,3 million d’habitants : la République de Chypre. Membre de l’Union européenne depuis dix-huit ans, ce pays stratégique en Méditerranée reste enfermé dans le passé, avec l'occupation du nord de l’île par l’armée turque. Son ministre des Affaires étrangères (MAE), Ioannis Kasoulides, qui occupe ce poste pour la 3ᵉ fois, se bat pour l'intégrité du territoire de l'île depuis qu'il est entré en politique. Nous parlons également avec lui de migration, crise énergétique et vision du futur, des sujets qui divisent les Européens.

La République de Chypre fait face à une augmentation du nombre de migrants arrivant sur son sol. Selon Ioannis Kasoulides, ces migrants, venant de l’Afrique subsaharienne, "voyagent officiellement de leur pays d’origine à Istanbul, d'Istanbul à l'aéroport occupé de Chypre d’où ils sont guidés vers les régions libres de la République". À ceux-ci s’ajoutent les réfugiés qui arrivent par bateau à travers la Méditerranée.

Le ministre de l’Intérieur chypriote a d’ailleurs signé avec ses homologues italien et maltais, ainsi que le ministre grec des Migrations, un texte dénonçant un système migratoire qui pèse trop lourdement sur ces pays de première arrivée. Il réclame que chaque État qui accorde un pavillon à un bateau humanitaire, se charge des migrants secourus par cette ONG. Le ministre des Affaires étrangères s’en désolidarise, affirmant ne pas être certain que "la position officielle de Chypre qui a été exprimée par le ministre de l’Intérieur soit la politique officielle de mon gouvernement".

Il salue d’ailleurs les efforts de la France, lors de sa présidence du Conseil de l’Union Européenne (UE), pour avancer "vers la solidarité des pays européens concernant ces arrivées", ainsi que "la décision de relocaliser un certain nombre de migrants" et les positions de la France et de l’Allemagne, chacune "prêtes à accueillir 1 000 ou 1 500 de ces migrants".

Gaz russe : l'espoir d'un changement de position hongrois

Pour assécher le financement de la guerre russe en Ukraine, l’UE a prévu d’interdire la quasi-totalité des importations de pétrole russe le 5 décembre. Les tankers qui transportent du pétrole brut russe vers les pays tiers ne pourront plus être financés ni assurés. Ioannis Kasoulides se veut confiant sur l’unanimité des 27 sur cette question. Il rappelle que "Chypre, la Grèce et Malte sont des forces maritimes. À nous trois, nous représentons 17 % du commerce maritime de l’UE. Ce qui nous manque, c’est la coopération des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne, comme les Îles Marshall, le Panama ou le Libéria, parce que s’ils ne s’associent pas avec l’UE, toutes ces mesures ne pourront pas prendre effet, et n’auront pas le poids que l’on espère".

Il souhaite par ailleurs insister sur le fait que son pays s’approvisionne en gaz et en pétrole "par le marché international en général. Donc, nous ne dépendons ni du pétrole ni du gaz en provenance de Russie", précise-t-il. Contrairement à la Hongrie, qui dépend à 80 % du gaz russe et est très ambiguë sur sa relation à Moscou, bloquant les négociations et toute solution depuis neuf mois sur le plafonnement des prix du gaz. Ioannis Kasoulides refuse de "condamner" Viktor Orban et reste sûr "que ce problème sera résolu, et résolu veut dire à l’unanimité, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen", insiste-t-il. Il espère que la Hongrie, qui fait face au gel de ses financements de l’UE pour manquement à l’État de droit, "aura un changement de position d'ici à la prise de décision" sur cette question.

Un différend historique, politique et territorial

Lors de forages au large des côtes chypriotes, un très important gisement de gaz a été découvert par les compagnies Total et Eni. Les pays voisins sont favorables à une exploitation commune, sauf la Turquie, qui occupe la partie nord de l’île et envoie des frégates en Méditerranée pour contester les eaux territoriales. Ioannis Kasoulides "espère que les pays membres de l’UE encourageront ces deux compagnies à commencer toutes les infrastructures pour faire transférer du gaz en Europe le plus tôt possible – et le plus tôt possible, à mon avis, ça peut être d'ici à deux ans", précise-t-il, en parlant "d’une manière déterminée avec la Turquie pour lui faire comprendre que la priorité, ce ne sont pas les différends politiques qui existent entre la Turquie et Chypre, mais c’est la nécessité de l’Union européenne de s’approvisionner en gaz."

Concernant justement ces différends politiques avec la Turquie, Ioannis Kasoulides exprime de fort regrets : "j’ai essayé de trouver des moyens pour une solution politique de l’occupation d’une partie de mon pays par la Turquie. Je suis parmi les modérés qui essayent de trouver une solution. Cela n’a pas été le cas. Vous constatez maintenant quelle est la position turque exprimée par le président Erdogan : il parle d’une solution de deux pays, deux parties, avec une souveraineté séparée, avant que cela ne soit à la table d’une quelconque négociation. Ceci n’est pas acceptable et ne sera jamais acceptable. Et c’est moi qui le dis, un modéré qui désire une solution."

"Il n’y a plus d’oligarque russe à Chypre"

Chypre a longtemps été un havre bienveillant pour les oligarques russes, qui pouvaient bénéficier des passeports dorés jusqu’en 2020. Sous la pression de Bruxelles, Chypre a abandonné ces pratiques. Mais la Cour des comptes accuse le ministre de l’Intérieur d’avoir fermé les yeux sur les abus, et l’Europe prévoit de sanctionner le contournement des sanctions financières prises à l’encontre des oligarques russes. Ioannis Kasoulides assure que "toute histoire avec les passeports dorés est terminée. Il n’y a plus d’oligarque russe à Chypre. Chypre est maintenant un partenaire européen crédible et solide" car "les événements de l’invasion de l'Ukraine par la Russie nous ont offert cette possibilité – que nous avons appliquée à l’unanimité avec nos partenaires – de tourner la page des relations avec la Russie, quelles qu’elles soient. Nous participons aux sanctions décidées par l’UE, nous avons interdit à des navires de guerre russes d’approcher nos ports et nous sommes déclarés par la Russie comme un pays non amical." 

Il réaffirme le soutien de son pays à l’Ukraine, en raison de la "sensibilité particulière sur les questions de l’atteinte à l'intégrité territoriale, la souveraineté, la non-violation des frontières et bien sûr l’annexion" de la République de Chypre.

Émission préparée par Sophie Samaille, Perrine Desplats et Isabelle Romero.