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"1 % des émissions de CO2" : la France est-elle vraiment un petit pollueur à l'échelle mondiale ?

"La France ne 'pèse rien' dans les émissions mondiales de CO2, 'c'est à la Chine d'agir'…" Alors que la COP27 bat son plein en Égypte, en France, des voix se font entendre, exposant ces propos comme des arguments pour s'exonérer de lutter contre le dérèglement climatique. Si la France n'est effectivement responsable que de 1 % du  dioxyde de carbone mondial, cela omet une partie des émissions et minimise la responsabilité historique du pays.  

"L'humanité a un choix, coopérer ou périr. C'est soit un pacte de solidarité climatique, soit un pacte de suicide collectif". Face à la centaine de chefs d'État et de gouvernement réunis à Charm-el-Cheikh, en Égypte, pour le début de la COP27, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a de nouveau tiré la sonnette d'alarme lundi 7 novembre insistant sur l'urgence à agir de façon coordonnée contre le dérèglement climatique. 

À ces appels, certains, en France, brandissent régulièrement le même argument : le pays n'est responsable que d'un peu moins de 1 % des émissions de CO2 mondiales, donc tout effort qu'il ferait pour limiter les rejets de gaz à effet de serre serait inutile. Il faudrait plutôt se concentrer sur les plus gros pollueurs – avec en première ligne, la Chine et l'Inde. Un raisonnement relayé sans cesse sur les réseaux sociaux, mais qui pénètre aussi le discours politique. "Nous n'avons pas à sacrifier l'industrie française sur l'autel de la lutte contre le réchauffement climatique. Que les Américains et les Chinois commencent", avait ainsi lancé le polémiste d'extrême droite Éric Zemmour, en février 2022, au micro de France Inter, alors qu'il était candidat à la présidentielle française. "Effectivement, nous ferions décroître la France jusqu'à l'effacer du globe, l'effet serait nul", assurait aussi, sur Twitter, le 28 octobre, Dominique Reynié, professeur à Sciences-Po Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

"Cet argument, on le connaît par cœur. C'est un raisonnement égoïste, qui revient à attendre que les autres fassent les choses pour nous", déplore le climatologue Jean Jouzel. Dans une étude publiée par l'université de Cambridge en juillet 2020, une équipe de climatologues, psychologues et sociologues classait ainsi cet "àquoibonisme" comme ils le nomment, dans la liste des "douze excuses sur l'inaction climatique", aux côtés d'autres refrains bien connus comme "il est déjà trop tard", ou "si nous baissons nos émissions en premier, d'autres pays vont en profiter".

"Ce 1 % ne représente pas notre empreinte carbone réelle"

Sur le papier, l'argument s'appuie sur une vérité. En 2020, selon les données du Global Carbon Project, un consortium international de scientifiques, la France était en effet responsable de 0,9 % des émissions mondiales de CO2. Le pays se plaçait au 21e rang des pays émetteurs avec 277 millions de tonnes de CO2. La Chine et les États-Unis se plaçaient en tête du classement, avec, respectivement, 27 % et 14 % des émissions mondiales. 

"Mais ce chiffre doit être nuancé", martèle Jean Jouzel. D'abord, car ce 1 % ne représente pas notre empreinte carbone réelle. Ce chiffre ne prend en compte que les émissions territoriales, c'est-à-dire le CO2 relâché uniquement sur notre territoire."

Pour avoir une vision plus juste, il faut ajouter toutes les émissions liées à l'importation de biens ou de services produits à l'étranger, comme, par exemple, les objets électroniques.

Or sur cette question, la France est loin d'être un élève modèle. Désindustrialisation et mondialisation obligent, les émissions importées y ont augmenté de 78 % depuis 1995, selon un rapport du Haut Conseil pour le climat (HCC) rendu en octobre 2020. En prenant cette donnée en compte, l'institution estime, pour l'année 2019, la part des émissions de CO2 réelles de la France non pas à 0,9 % mais à 1,5 %. "Pour l'année 2020, le chiffre est plus difficile à estimer en raison de la pandémie de Covid-19", note Corinne Le Quérré, présidente du HCC.

En France, 10 tonnes de CO2 par habitant

Ensuite, si cette part semble encore faible en comparaison des mastodontes chinois ou américain, "il ne faut pas oublier les différences majeures d'échelle en termes de population", poursuit Jean Jouzel. "Pour bien se rendre compte de la situation, il faut impérativement regarder à l'échelle d'un habitant", insiste le climatologue. La Chine est certes le premier pays émetteur, mais c'est aussi le plus peuplé, avec 1,4 milliard d'habitants, soit 18 % de la population de la Terre. 

Ainsi, si on se focalise uniquement sur les émissions territoriales, la France peut se vanter de ne dépenser que 4,4 tonnes de CO2 par habitant, au même niveau que la moyenne mondiale. Le pays est ainsi 78e du classement des pays les plus émetteurs de CO2. En tête, le Qatar, avec 41 tonnes de CO2 par habitant. Les États-Unis se classent au 11e rang (avec 16 tonnes par habitant). La Chine descend, elle, au 50e rang mondial, avec 7,3 tonnes de CO2 par habitant. 

Mais le constat s'assombrit pour la France si l'on ajoute les autres gaz à effet de serre, notamment le méthane, responsable d'un tiers du réchauffement depuis l'ère préindustrielle. Le pays passe alors à 6,5 tonnes d'émissions par habitant en 2019, note le HCC. Et si l'on ajoute les émissions importées, l'empreinte carbone française grimpe alors à 10 tonnes de CO2 par habitant. "La France reste ainsi loin de son objectif affiché de passer sous la barre de 2 tonnes par habitant d'ici à 2050", affirme Corrine Le Quéré.

Plus parlant encore, selon un calcul du think tank Global Footprint Network, si toute l'humanité consommait autant de ressources qu'un Français, il faudrait 2,7 planètes comme la Terre pour subvenir à nos besoins, contre 2,2 planètes pour un Chinois et 5 pour un Américain.

"Un phénomène cumulatif"

"Mais surtout, le dérèglement climatique est un problème cumulatif", rappelle la présidente du HCC. "Les émissions accumulées dans le passé comptent tout autant que celles d'aujourd'hui et que celles du futur". Depuis 1750, la France a rejeté environ 38 milliards de tonnes de CO2, la rendant responsable de 2,38 % du cumul des émissions mondiales. Les États-Unis sont le pays qui en a cumulé le plus (25,29 %) suivi de la Chine (14 %). L'Afrique du Sud ou le Brésil, par exemple, ne cumulent qu'à peine 1 %. 

"Cela nous donne donc une responsabilité historique", plaide la climatologue franco-canadienne. "D'autant plus que ce n'est pas que la France, mais toute l'Europe qui est concernée". L'Allemagne, qui a rejeté 92 milliards de tonnes de CO2 depuis 1750 se classe au 4e rang des plus gros pollueurs historiques, suivie par le  Royaume-Uni. 

"Sur cette responsabilité historique, certains plaident parfois qu'il est injuste que les jeunes paient pour les erreurs du passé. Certes, mais il n'y a pas d'autre solution", martèle Jean Jouzel. "Le dérèglement climatique est désormais inéluctable. Les émissions passées ne sont pas rattrapables. La seule chose qu'il est possible de faire, c'est de limiter les futures."

"Et la France est un pays riche et développé qui a plus de capacités à agir que d'autres, poursuit Corinne Le Quéré. Alors qu'elle était à l'initiative des Accords de Paris, elle doit aujourd'hui montrer l'exemple dans l'action climatique."

"Mais, malgré des efforts depuis plusieurs années, le pays paraît encore loin d'atteindre ce but", déplore la climatologue. Ses émissions n'ont décru que de 1 % en moyenne entre 2015 et 2018, moins vite que ses voisins allemands ou anglais, par exemple. En cause, notamment, un mix énergétique encore trop dépendant des énergies fossiles et un développement des énergies renouvelables à la traîne.

"1 % des émissions de CO2" : la France est-elle vraiment un petit pollueur à l'échelle mondiale ?

Enfin, dernier argument brandi par les deux climatologues : la France a tout simplement intérêt à agir puisqu'elle est elle-même confrontée aux effets du dérèglement climatique, comme sont venues le rappeler les vagues de chaleur successives qui ont touché le pays cet été entraînant des incendies ravageurs et une sécheresse historique.