Selon le bureau des droits de l'Homme des Nations unies, au moins 726 civils ont été tués en Ukraine depuis le début de l'invasion russe. Au-delà des chiffres, France 24 revient sur le nom, le visage et le parcours de plusieurs jeunes Ukrainiens emportés par la guerre alors qu’ils tentaient de fuir, d’aider, d’informer ou de combattre. Portraits.
Trois semaines après le début de l’invasion russe en Ukraine, il reste encore impossible de recenser précisément le nombre de victimes. Au moins 726 civils - dont 52 enfants - ont été tués en Ukraine et plus de 1 250 blessés, selon le dernier décompte de l’ONU du 17 mars. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme (HCDH) prend soin de souligner que ce décompte est probablement très inférieur à la réalité. Derrière ces chiffres accablants et le flot incessants d’images des combats, nous nous sommes arrêtés sur le parcours de plusieurs Ukrainiens, victimes de cette guerre.
Tetiana, 43 ans, Mykyta, 18 ans, et Alisa, 9 ans
The Story Behind a Defining War Photo - The New York Times https://t.co/dUpneR0d91
— lynsey addario (@lynseyaddario) March 16, 2022Originaires de Donetsk, la famille Perebyinis avait déménagé dans la région de Kiev, en 2014, pour échapper aux combats dans la région séparatiste de l’est du pays. Tetiana Perebyinis et ses deux enfants ont été tués par un tir de mortier en tentant de traverser le pont d’Irpin pour rejoindre la capitale Kiev, le 6 mars.
Leur mort a été documentée par une photographe du New York Times, Lynsey Addario, qui se trouvait à proximité lorsque l'obus de mortier a frappé. Le quotidien américain a retrouvé le mari de Tetiana : Serhiy Perebyinis. En voyage dans l’est de l’Ukraine, celui-ci s’est retrouvé coincé là-bas, loin de ses proches. Il avait dû quitter Irpin en urgence pour aller soigner sa mère atteinte du Covid-19 à l’autre bout du pays. Lorsqu’il a vu les clichés du New York Time circuler sur Twitter, il a immédiatement reconnu Tetiana et les enfants, les valises verte et bleu, et les sacs à dos des petits jonchant le sol. En géolocalisation permanente avec son épouse, il avait perdu sa trace quelques heures auparavant.
Pour retrouver la dépouille des siens et retourner à Kiev depuis l'est de l'Ukraine, contrôlé par les séparatistes, Serhiy a dû faire un détour par la Russie, afin de traverser une frontière terrestre vers la Pologne. Lorsque des gardes-frontières russes l’ont interrogé avant son passage en Pologne, il leur a dit qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient de lui. "Toute ma famille est morte dans ce que vous appelez une opération spéciale et que nous appelons une guerre. Je n'ai plus rien à perdre", raconte le père meurtri au New York Times.
Les jours précédant sa mort, Tetiana plaisantait encore en ligne avec ses collègues anglo-saxons de SE Ranking, une société californienne spécialisée dans le numérique et pour laquelle elle travaillait en tant que chef comptable. "Elle était optimiste et plaisantait en disant que l'entreprise devrait maintenant faire une opération spéciale pour les faire sortir, comme 'Sauver le soldat Ryan'", rapporte une collègue. Tatiana leur donnait des nouvelles très régulièrement depuis la cave de sa barre d’immeubles située dans une cité-dortoir, à l'extérieur de Kiev. Elle avait préféré rester le temps de trouver une solution pour sa propre mère souffrant de la maladie d'Alzheimer. Tatiana et son époux, originaires de Donetsk, avaient déménagé à Kiev pour échapper aux combats en 2014. Ils avaient commencé à y reconstruire une vie meilleure. Mais Tatiana a fini par quitter les lieux avec toute la famille, à cause des bombardements incessants et du stress causé sur les enfants.
Lors de l’explosion qui a coûté la vie à la famille Perebyinis, un bénévole de l'église d’Irpin est décédé à leurs côtés. Anatoly Berezhnyi, 26 ans, était venu aider les civils à fuir les zones de combats, après avoir mis sa famille à l’abri dans l’ouest. Un homme "calme et généreux", a décrit le prêtre de l’église locale au New York Times.
Yulia Zdanowska, 21 ans, championne de Mathématiques
II y a quelques jours, une bombe russe a tué à #Kharkiv Yulia Zdanowska : mathématicienne ukrainienne de 21 ans, parmi les plus douées du monde, passionnée par la transmission de sa passion aux écoliers, tuée alors qu'elle oeuvrait à l'aide humanitaire pour son pays. #Ukraine pic.twitter.com/fncx5D8Eha
— Cédric Villani (@VillaniCedric) March 14, 2022Cette jeune mathématicienne ukrainienne a perdu la vie à Kharkiv, le 8 mars, dès les premiers jours de la guerre. Yulia Zdanowska s’était portée volontaire pour distribuer l’aide humanitaire. La jeune femme, originaire de cette ville du nord, était une figure connue dans le monde des mathématiques en Ukraine. Prodige, elle avait décroché une médaille d’argent aux Olympiades européennes de mathématiques pour filles en 2017. Pourtant, la championne avait préféré délaisser la recherche pour enseigner dans son domaine aux enfants des villages les plus démunis du pays.
KNU: Yula Zdanovska, a talented young mathematician, died during the bombing of Kharkiv. She was a member of the Ukraine EGMO team in 2016 and in 2017, when she was awarded a silver medal. Yula was doing volunteer work, helping people in the hardest days for Kharkiv. pic.twitter.com/oePwMQtbu0
— Ukrainian Mathematicians (@UkrainianMath) March 10, 2022Depuis la cave d’un immeuble, où ils ont trouvé refuge, ses parents, interrogés par la chaine britannique ITV News une semaine après sa mort, ont exprimé leur profonde tristesse, décrivant une Yulia "aimée de tous", "talentueuse" et "très brillante". "J’ai entendu une grosse explosion. Et d’habitude après ce genre de situation, Yulia nous envoyait un message pour nous rassurer, en disant ‘Je vais bien’, mais elle ne l’a pas fait cette fois-ci", raconte en anglais son père, qui dispose de très peu de détails sur la mort de sa fille. Au Canada et en France, la communauté des mathématiciens a rendu hommage à Yulia sur les réseaux sociaux.
Yevhen Malyshev, 19 ans, ex-biathlète
Yevhen Malyshev, ancien biathlète ukrainien, est mort ????????????????
Terrible nouvelle. La Fédération ukrainienne de biathlon a annoncé le décès de Yevhen Malyshev, ancien biathlète ukrainien âgé de seulement 19 ans.https://t.co/AFf6DJpFsd
Yevhen est mort lui aussi à Kharkiv, où il effectuait son service militaire obligatoire. Le jeune homme, originaire de la ville, a été tué au cours d’un assaut russe, a-t-on appris le 2 mars par la fédération ukrainienne de biathlon. Ce sportif de haut-niveau était connu dans son pays pour avoir intégré l’équipe junior olympique de biathlon entre 2018 et 2010, sport dans lequel excellent plusieurs athlètes ukrainiens, dont Dmytro Pidruchnyi, lui aussi enrôlé dans l’armée ukrainienne pour défendre son pays.
La Fédération internationale de biathlon et de nombreux champions de la discipline, comme la norvégienne Tiril Eckhoff, gagnante de la Coupe du monde l’année dernière, ont exprimé leur colère après la nouvelle de sa mort brutale à quelques jours de son anniversaire. Yevhen Malyshev devait fêter ses 20 ans le 10 mars prochain.
D’autres jeunes sportifs ukrainiens ont perdu la vie dans les combats. Les joueurs de football, Vitalii Sapylo, 21 ans, espoir du club du Karpaty Lviv, est décédé au volant d’un char ukrainien, le 25 février, en périphérie de Kiev. Dmytro Martynenko, 25 ans, était un joueur du FC Hostomel, une équipe d’une ligue amateur dans la région de Kiev. Il était considéré comme le meilleur buteur de la Ligue. Il a péri aux côtés de sa mère dans un bombardement visant son immeuble dans la nuit du 27 février.
Our thoughts are with the families, friends, and teammates of young Ukrainian footballers Vitalii Sapylo (21) and Dmytro Martynenko (25), football’s first reported losses in this war.
May they both rest in peace. pic.twitter.com/f6l9oHHRMr
Oleksandra Kuvshynova, 24 ans, journaliste
Cette journaliste ukrainienne a été tuée dans une fusillade alors qu’elle couvrait le conflit. Le véhicule dans lequel elle se trouvait avec son équipe de tournage de Fox News a été pris pour cible, le 15 mars, près de Kiev. Son collègue, le caméraman franco-irlandais, Pierre Zakrzewski est mort dans cette même attaque, et le reporter Benjamin Hall a été gravement blessé.
RIP Pierre and Sasha. From our last correspondence:
I will effort to get as much of this on TV to help Ukrainians in every way possible. Keep Smiling.
Pierre pic.twitter.com/StinVdSfFK
Plusieurs reporters de Fox News ont salué la mémoire d’Oleksandra Kuvshynova, qui effectuait un courageux travail pour aider ces étrangers venus informer de la guerre en Ukraine. Elle "était notre consultante (...). Elle aidait nos équipes à circuler dans la ville, rassembler des informations et parler avec des sources", a expliqué Suzanne Scott, PDG de Fox News Media dans un communiqué.
"Sasha [Oleksandra Kuvshynova] a été tuée aux côtés de Pierre. Elle était talentueuse, bien sourcée et pleine d’esprit. Elle aimait la photographie, la poésie et la musique. Nous sommes devenus rapidement amis grâce à un amour partagé du café. Elle avait 24 ans", a ainsi tweeté le reporter de Fox News Trey Yingst, qui a travaillé aux côtés d’Oleksandra, qu'il surnomme "Sacha".
Sasha was killed alongside Pierre. She was talented, well-sourced and witty. She liked photography, poetry and music. We became fast friends over a shared love of coffee. She was 24 years old. pic.twitter.com/5iVcUwZgpu
— Trey Yingst (@TreyYingst) March 15, 2022Au moins cinq journalistes, dont trois Ukrainiens, ont perdu la vie depuis le début du conflit. Le journaliste ukrainien Evgueni Sakoun a été tué le 1er mars dans le bombardement de la tour de télévision à Kiev, et son confrère Viktor Doudar a péri pendant des combats près de Mykolaïv, selon les autorités ukrainiennes. Le journaliste américain Brent Renaud a, lui, été tué le 13 mars.