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Les jihadistes de l’EI "peuvent encore frapper aux quatre coins de la Syrie"

Malgré sa défaite territoriale en Syrie en mars 2019, l’organisation jihadiste État islamique continue, comme elle l’a démontré à la fin de la semaine dernière, de mener des attaques meurtrières dans plusieurs régions du pays. À la fois contre les forces du régime de Bachar al-Assad et contre d’autres acteurs du conflit syrien. Décryptage avec Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24. 

Le week-end dernier a été particulièrement meurtrier pour l’armée et le régime syriens dans la province de Deir Ezzor, dans l'est de la Syrie. Un général et quatre soldats ont été tués dimanche dans l'explosion d'une bombe lors du passage de leur véhicule, au lendemain de la mort de 13 combattants pro-régime dans une embuscade tendue par des jihadistes l'organisation État islamique (EI) dans la zone désertique de Masrib.

La multiplication de ce type d’attaques pourrait faire croire à une résurgence de l’organisation en Syrie, plus de deux ans après sa défaite territoriale en mars 2019. Mais selon Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24, un tel constat serait erroné.

"Il ne s’agit pas d’une résurgence, car le groupe n’a jamais cessé ses activités en Syrie, où ses actions vont crescendo depuis plusieurs mois, notamment dans la province de Deir Ezzor", explique-t-il. "L’organisation a réussi à se restructurer dans le désert de la Badiya, à l’ouest de l’Euphrate, qui s’étend de la province de Homs jusqu’à celle de Deir Ezzor, à la frontière avec l’Irak, et jusqu’à celle de Deraa dans le sud, faisant de cet immense territoire non pas une zone de contrôle, mais une zone d’activité très meurtrière pour l’armée syrienne."

Mais c'est aussi un terrain de repli, ajoute-t-il, spécialement après la défaite territoriale de 2019. "En cela, ce fief, qui génère des revenus grâce par exemple au racket, est comparable à celui qu’elle avait dans la région d’al-Anbar en Irak, entre 2009 et 2011."

Des attaques quasi quotidiennes

Signe que l’EI n’a en réalité jamais vraiment disparu de l’équation syrienne malgré la chute de son "califat", l’organisation a causé depuis mars 2019 d’énormes pertes au régime du président Bachar al-Assad. Selon un décompte de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), une ONG basée au Royaume-Uni qui dispose d’un vaste réseau de sources en Syrie, près de 1 600 membres des forces de Damas ou des groupes alliés ont été tués, lors de diverses attaques, bombardements et embuscades revendiqués ou attribués à l'EI.

#Syrie l’#EI revendique un guet-apens contre les milices pro régime du clan sunnite des Chouaïtat dans la badiya de #Deïrezzore pic.twitter.com/sxuPqU3jwg

— Wassim Nasr (@SimNasr) November 17, 2021

"Il y a quasiment tous les jours au moins une attaque, une explosion, un guet-apens contre l’armée syrienne, des groupes affiliés au régime ou des soldats russes", insiste Wassim Nasr, "même s’il est très rare que ces actions, menées dans ce qui est devenu leur base arrière, soient revendiquées par l’EI qui veut éviter de trop attirer l'attention."

Le groupe a même perpétré, le 8 novembre, un attentat dans la province de Deraa, dans le sud de la Syrie, alors qu’il n’y avait pas mené d’action notable depuis 2019. "L’EI a fait sauter un véhicule de l’armée syrienne, précisément de la 5e brigade qui est entraînée par les Russes, qui circulait sur une route entre Cheikh Maskin et Izra, et a filmé l’attentat pour des fins de propagande", note Wassim Nasr. "Ce qui démontre la singularité et l’importance de cet attentat aux yeux de l’organisation, qui l’a revendiqué le 14 novembre et qui envoie ainsi un message sur ses capacités à frapper à proximité de la route entre Deraa et Damas."

Une capacité de coordination et d’organisation d’attaques complexes

Pour réaffirmer sa présence, l'EI profite grandement du fait que le pays reste fragmenté malgré la reprise en main de la majeure partie du territoire par le régime, grâce à ses alliés russes et iraniens. En plus des troupes syriennes, le groupe a ainsi également dans son viseur les forces kurdes qui contrôlent le nord-est du pays, avec, selon le Washington Post, l'appui de 900 soldats américains maintenus dans cette zone par l'administration Biden.

"Même s’ils ne peuvent pas mener dans la zone située à l’est de l’Euphrate, tenue par les forces kurdes, le même type d’actions que celles visant les troupes syriennes dans la Badiya, notamment en raison des moyens à disposition des Américains en termes de drones et de renseignements qui sont incomparables avec les capacités russes, les jihadistes de l’EI mènent dans ce territoire des opérations de plus en plus complexes", souligne Wassim Nasr.

"Il y a quelques jours, ils ont mené neuf attaques coordonnées contre des postes kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) dans la province de Deir Ezzor, c’est un indicateur important d’une capacité de coordination et d’organisation d’attaques complexes. Cela veut dire qu’ils disposent de la logistique et des hommes pour le faire et rentrer ensuite en clandestinité, ce qui est différent de poser une bombe et d’évacuer les lieux d’un attentat", ajoute-t-il. 

Outre les Kurdes, l’EI s’en prend également à des groupes islamistes dans la région d’Idleb, le dernier bastion rebelle contrôlé par Hayat Tahrir al-Cham (HTS, Organisation de libération du Levant). "Ce qui est intéressant dans cette région c’est que l'EI, qui s’adapte au terrain et à ses cibles selon les zones en Syrie, dispose encore de cellules qui s’attaquent en priorité et durement à HTS", décrypte Wassim Nasr. "Son objectif est de déstabiliser cet ennemi juré qu’il accuse d’apostasie et d’essayer de recruter les déçus dans les rangs d’HTS, notamment ses combattants étrangers."

De Deraa à Deir Ezzor en passant par les zones sous contrôle kurde et le bastion rebelle d’Idleb, les jihadistes de l’EI, qui sont par ailleurs toujours présents et actifs en Irak, démontrent semaine après semaine leur capacité à frapper en profondeur sur plusieurs points du territoire syrien.

"Ils peuvent toujours frapper aux quatre coins de la Syrie, où ils ont réussi à recréer la toile qu’ils avaient tissée en Irak et qui leur a permis de survivre jusqu’ici", conclut Wassim Nasr. "Leur objectif est de survivre à la pression militaire qui est exercée sur l’EI, pour pouvoir, une fois que cette pression faiblit ou baisse, par exemple en cas de départ des Américains, revenir en force."