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Brésil : des "Trumpistes" pour sauver le soldat Bolsonaro

Le président brésilen, Jair Bolsonaro, à la traîne dans les sondages, prépare le terrain pour contester une éventuelle défaite lors de la présidentielle d’octobre 2022. Il s’inspire des techniques utilisées aux États-Unis par le camp pro-Trump, avec le soutien de plus en plus pressant de l’entourage de l'ex-président des États-Unis.

La galaxie Trump à la rescousse. Face à un avenir politique de plus en plus incertain, le président brésilien, Jair Bolsonaro, compte de plus en plus sur les alliés de l'ex-président américain Donald Trump pour l'aider à être réélu dans un an, raconte le New York Times, jeudi 11 novembre. 

Depuis début septembre, Steve Bannon, l'ancien stratège en chef de Donald Trump, Steven Miller, un autre conseiller de l'ex-président américain, le fils de ce dernier, Donald Trump Jr, ainsi que plusieurs élus américains ultra-conservateurs sont venus prêcher la bonne parole complotiste aux côtés de Jair Bolsonaro.

Version brésilienne de "Stop the steal"

Il faut dire que l'homme fort du Brésil a des soucis politiques à se faire. Sa cote de popularité est passée pour la première fois sous la barre des 20 % dans un sondage publié mercredi 10 novembre. Et toutes les projections électorales publiées ces derniers mois le donnent perdant face à son principal rival, l'ancien président Luiz Inácio Lula da Silva.

Jair Bolsonaro a aussi des ennuis sur le front judiciaire. Une commission d'enquête parlementaire a recommandé, fin octobre, que le président brésilien soit inculpé de "crimes contre l'humanité" pour sa gestion très controversée de la crise du Covid-19. Le rapport final du Sénat estime que sa politique sanitaire est responsable de près de 100 000 décès sur les 610 000 enregistrés depuis le début de la pandémie. Un procès en destitution contre le président brésilien pourrait s'ouvrir avant la prochaine élection présidentielle d'octobre 2022.

Face à cette pression, Jair Bolsonaro a commencé à suivre les préceptes "trumpiens" de contestation du pouvoir judiciaire et du système électoral. Depuis début septembre, il est parti en guerre contre la Cour suprême brésilienne et l'opposition politique qu'il accuse, par anticipation, de fraude aux prochaines élections. "Seul Dieu peut me faire partir du pouvoir", a-t-il déclaré devant ses partisans le 7 septembre, jour de la fête de l'indépendance brésilienne. 

Une version locale de la campagne "Stop the steal" [mouvement de contestation aux États-Unis de la victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine de novembre 2020], à laquelle les stratèges du camps pro-Trump participent très activement.

Donald Trump Jr a ainsi été la star d'un grand raout des conservateurs américains organisé au Brésil début septembre. Il a profité de l'occasion pour disserter pendant 45 minutes sur le danger du vote électronique – utilisé au Brésil depuis 1996 – et le risque de voir la Chine "voler" l'élection en aidant le candidat Lula, qualifié de "plus dangereux gauchiste au monde" et de "criminel marxiste".

Le fils de l'ex-président américain n'a pas été le seul représentant de la galaxie "Maga" à cette réunion brésilienne des conservateurs du nord et du sud du continent. Mark Green, un élu conservateur pro-Trump du Tennessee, a profité de l'occasion pour discuter avec des proches de Jair Bolsonaro de la meilleure manière de se protéger contre la "fraude électorale" en changeant les lois électorales, a appris le New York Times. 

L'axe Eduardo Bolsonaro-Steve Bannon

Les dirigeants de Project Veritas, une association ultra-conservatrice américaine qui tente de piéger les "libéraux" (terme anglo-saxon pour désigner la gauche) en se faisant passer pour des journalistes d'investigation, ont annoncé, fin septembre, leur intention d'étendre leurs activités au Brésil pour aider Jair Bolsonaro.

Le fils du président brésilien, Eduardo Bolsonaro, a d'ailleurs été aperçu à plusieurs reprises avec un T-shirt à la gloire de Project Veritas, raconte sur Twitter la journaliste brésilienne et activiste d'extrême gauche Nathalia Urban. C'est lui qui aurait convaincu ces militants pro-Trump d'étendre le domaine de leur lutte au Brésil.

Eduardo Bolsonaro is wearing a T-shirt from Project Veritas, a far-right organization that defends the control of journalists through the use of hidden cameras. And it’s accused of twisting facts to spread fake news and conspiracy theories pic.twitter.com/1WVWSOQrD5

— Nathália Urban (@UrbanNathalia) September 7, 2021

C'est aussi Eduardo Bolsonaro qui a organisé une rencontre entre son père et Jason Miller, l'ex-conseiller politique de Donald Trump qui a fondé en juillet 2021 Gettr, un clône de Twitter très utilisé par les militants de l'extrême droite américaine. Jair Bolsonaro qui, comme les "trumpistes", se méfie des réseaux sociaux traditionnels tels que Twitter ou Facebook, voulait savoir "comment profiter au maximum de Gettr", raconte le New York Times. Ce jeune réseau social a déjà réussi à trouver son public au Brésil où il compte plus de 80 000 utilisateurs actifs, ce qui en fait son deuxième marché après les États-Unis, ont constaté des chercheurs de l'université de Stanford qui ont étudié le public de cette alternative à Twitter.

Ce n'est pas un hasard si le fils du président brésilien semble aussi présent quand il s'agit de cultiver les liens avec la galaxie Trump. "Il est avec Steve Bannon l'architecte du rapprochement stratégique entre le camp Bolsonaro et celui de Donald Trump", raconte Bloomberg.

En 2018, peu après l'élection de Jair Bolsonaro, le fiston s'est rendu à l'anniversaire de Steve Bannon où il était "l'invité d'honneur", rappelle le New York Times. Depuis lors, les deux hommes "se parlent beaucoup et de plus en plus", note un proche de Steve Bannon qui a préféré garder l'anonymat, interrogé par Bloomberg.

Eduardo Bolsonaro est même devenu en 2019 le représentant pour l'Amérique du Sud de "The Movement", l'organisation populiste internationale créée en 2017 par Steve Bannon.

Depuis août 2021, les deux hommes ont décidé de donner un coup d'accélérateur à leur collaboration, a constaté Veja, un hebdomadaire conservateur brésilien. Eduardo Bolsonaro a multiplié les visites aux États-Unis, en rencontrant notamment en août Mike Lindell, le très complotiste et pro-Trump homme d'affaires américain qui ressasse à longueur d'interviews ses thèses infondées sur la fraude électorale.

Le fils du président brésilien espère ainsi pouvoir mettre en place au plus vite une machine de guerre capable de contester efficacement une éventuelle défaite de son père en octobre 2022, estime Bloomberg. 

Dernière chance pour "l'internationale populiste" ?

Aux États-Unis, cette stratégie a échoué pour Donald Trump car les institutions démocratiques y "sont solides, mais c'est moins le cas au Brésil", assure au New York Times David Nemer, un spécialiste du Brésil à l'université de Virginie. "(Jair) Bolsonaro est déjà en train de préparer les esprits au fait qu'il n'acceptera pas les résultats des élections. Cela peut vite dégénérer au Brésil", ajoute-t-il.

Et pour Steve Bannon, le Brésil constitue le nouvel eldorado de son projet de populisme international. Après la défaite de Donald Trump en novembre 2020, il a essayé d'approcher "sans grand succès" les partis d'extrême droite en France, en Italie et en Espagne pour leur proposer son aide, rappelle l'hebdomadaire Veja.

Dorénavant, "l'élection présidentielle au Brésil est le deuxième scrutin le plus important au monde [après celui des États-Unis]", a déclaré Steve Bannon en août 2021, souligne le magazine progressiste américain The New Republic, dans une enquête consacrée aux efforts du stratège de l'extrême droite nord-américaine pour aider politiquement Jair Bolsonaro.

Pour l'ex-conseiller de Donald Trump, une réélection du président brésilien serait cruciale. Après la défaite des républicains aux États-Unis, son échec relatif à implanter "The Movement" en Europe, le Brésil constitue sa dernière chance pour valider sa théorie qu'il faut une "internationale populiste", note Bloomberg.