Opposition bâillonnée, absence d'observateurs indépendants, médias internationaux interdits d'accès au territoire : le président Daniel Ortega a totalement verrouillé le scrutin qui a eu lieu dimanche au Nicaragua.
Gardés par environ 30 000 soldats et militaires, les bureaux de vote avaient ouvert dimanche 7 novembre au Nicaragua pour un scrutin sans surprise : le président Daniel Ortega est assuré d'être élu pour la quatrième fois consécutive, puisque tous ses rivaux sérieux ont été placés en détention.
Les bureaux de vote ont fermé à 18 h 00 locale et les premiers résultats officiels étaient attendus vers minuit, selon le tribunal électoral. Seul le taux de participation pourrait donner une idée de l'adhésion réelle des Nicaraguayens au "ticket" formé par Daniel Ortega, 76 ans et son épouse Rosario Murillo, 70 ans, vice-présidente depuis 2017.
Les États-Unis ont vigoureusement dénoncé le scrutin. "Ce que le président du Nicaragua et son épouse, la vice-présidente Rosario Murillo, ont orchestré aujourd'hui est une élection pantomime qui n'était ni libre, ni juste, et certainement pas démocratique", a déclaré le président américain Joe Biden, cité dans un communiqué de la Maison Blanche sur "les élections-comédie au Nicaragua".
Les journalistes de plusieurs médias internationaux se sont par ailleurs vus interdire l'accès au territoire, et le gouvernement a refusé la présence d'observateurs indépendants. Le dernier quotidien d'opposition du pays qui paraissait encore, La Prensa, a été investi à la mi-août par la police et son directeur jeté en prison.
Une semaine avant le scrutin, Meta, la maison-mère de Facebook, a annoncé avoir démantelé un millier de comptes Facebook et Instagram gérés par une "usine à trolls" du gouvernement du Nicaragua pour manipuler l'opinion.
Le mot d'ordre de l'opposition pour les électeurs : "Dimanche, restez à la maison"
Décapitée, avec ses leaders en détention ou en exil, l'opposition a organisé une manifestation d'environ un millier de personnes à San José, la capitale du Costa Rica, où se sont réfugiés plus de 100 000 Nicaraguayens fuyant la répression. Les opposants n'ont eu qu'un seul mot d'ordre pour les électeurs : "restez à la maison".
Craignant une faible participation, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN, ex-guérilla au pouvoir) a organisé des tournées de porte-à-porte pour mobiliser les électeurs.
Comparés à Frank et Claire Underwood, duo impitoyable de la série "House of Cards", ou surnommés "Lord et Lady Macbeth", Daniel Ortega, bientôt 76 ans, et sa femme, Rosaria Murillo, 70 ans, forment un couple fusionnel prêt à tout pour conserver un pouvoir absolu qu'ils exercent d'une main de fer.
Selon un sondage Cid-Gallup, s'ils avaient le choix, 65 % des 4,4 millions d'électeurs inscrits voteraient pour un candidat de l'opposition, contre 19 % pour le président sortant. En revanche, pour l'institut de sondage M&R, proche du gouvernement, Daniel Ortega et les 90 candidats au Parlement présentés par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN, au pouvoir) recueillent 70 % des intentions de vote.
Chasse aux opposants
Trois ans après la répression qui a fait plus de 300 morts parmi les manifestants qui exigeaient au printemps 2018 la démission de Daniel Ortega, et six mois avant le scrutin, la chasse aux opposants fait rage : 39 personnalités politiques, hommes d'affaires, paysans, étudiants et journalistes ont été arrêtés depuis juin. Parmi eux, les sept candidats potentiels susceptibles de constituer une menace pour le président sortant.
Favorite de l'opposition dans les sondages, Cristiana Chamorro, 67 ans, fille de l'ex-présidente Violeta Chamorro (1990-1997), a été la première arrêtée, le 2 juin, et placée en détention à domicile.
Les opposants sont accusés, pêle-mêle, d'atteinte à la souveraineté nationale, de soutenir les sanctions internationales contre le Nicaragua, de "trahison à la patrie" ou de "blanchiment d'argent", en vertu de loi votées fin 2020 par le Parlement, acquis au pouvoir, tout comme le pouvoir judiciaire et le tribunal électoral.
La peur court dans le petit pays d'Amérique centrale de 6,5 millions d'habitants, le plus pauvre de la région et qui est en proie depuis les troubles de 2018 à l'inflation, au chômage et à la pandémie de Covid-19, dont l'ampleur est niée par le pouvoir.
Depuis les manifestations du printemps 2018, plus de 100 000 Nicaraguayens ont pris le chemin de l'exil tandis que 150 opposants sont toujours derrière les barreaux, qualifiés par Daniel Ortega de "criminels" et de "fauteurs de coup d'État" à la solde de Washington.
Héros de la révolution, l'ancien guérillero Daniel Ortega est aujourd'hui accusé par ses opposants d'agir de la même façon que le dictateur Anastasio Somoza qu'il a contribué à renverser en 1979.
Pour l'analyste nicaraguayenne Elvira Cuadra, exilée, l'isolement du pays affectera les investissements et les financements internationaux, avec des conséquences sociales et une émigration croissante.
D'autant que, outre les nouvelles sanctions adoptées par les États-Unis et l'Union européenne, les relations se sont même tendues avec des alliés historiques comme le Mexique et l'Argentine. Restent Cuba, le Vénézuéla et la Russie comme soutiens du gouvernement de Daniel Ortega et Rosario Murillo.
"Aucune puissance" ne va "nous intimider" avec des sanctions, a claironné le ministre nicaraguayen des Affaires étrangers Denis Moncada au moment de voter.
Avec AFP