Après 12 jours d'affrontements entre les forces de police et les manifestants qui ont fait au moins 26 morts et 1 500 blessés, de nouveaux heurts ont eu lieu à Cali dimanche. Le pays reste paralysé, tandis que le gouvernement tente d’amorcer un timide dialogue. France 24, qui diffuse également en espagnol, fait le point sur la situation avec sa rédaction à Bogota.
Après la violente répression des manifestations contre l'augmentation de la TVA et une réforme fiscale contestée, la sortie de crise peine à se dessiner en Colombie. En dépit du retrait du projet de réforme le 2 mai, les manifestations et les violences se sont poursuivies.
Ce weekend de nouveaux affrontements se sont produits à Cali, la troisième ville du pays, qui est devenue l'épicentre de la confrontation entre une population appauvrie par la crise du Covid et un gouvernement décidé à rétablir l'ordre à tout prix.
Dimanche 9 mai, des civils circulant à bord de 4x4 de luxe ont ouvert le feu sur des manifestants qui participaient à un rassemblement des communautés indigènes contre le gouvernement colombien. Le "Conseil régional des indigènes du Cauca" (Cric) a fait état de neuf blessés, dont un dans état critique, selon le sénateur Feliciano Valencia, interrogé par France 24 en espagnol.
Ce nouvel épisode de violence est intervenu à Ciudad Jardin, un quartier aisé de Cali, où des habitants dénoncent l'implication des organisations indigènes dans les barrages et les manifestations qui paralysent la troisième ville du pays. Des accusations que rejette le sénateur Valencia. "Les routes qui mènent à Buenaventure, Popayan et Bogota sont bloquées par les camionneurs qui se sont joints à la grève générale. Notre organisation (Cric) soutient les points de résistance à Cali, mais dans la ville, la circulation est normale".
Dans un communiqué, la police métropolitaine affirme que des manifestants ont attaqués des zones résidentielles, ce que démentent les organisations indigènes qui ont la réputation de mener des actions pacifiques, armés seulement de bâtons et jamais d'armes à feu.
Des pénuries de carburants ou de médicaments
Depuis le 28 avril, début du mouvement social en Colombie, le gouvernement a fait état de 16 morts à Cali sur les 26 qu'il décompte dans tout le pays. Mais l'ONG locale Temblores en a dénoncé 47 au total, dont 35 dans cette seule ville du sud-ouest de la Colombie. Face à ce climat de violence, le président Ivan Duque a de nouveau refusé dimanche d'effectuer un déplacement à Cali, annoncé l'arrivée de policiers et de militaires en renfort et a exigé que les indigènes qui manifestent dans la ville retournent dans leurs réserves.
À Cali, les principales revendications des organisations indigènes sont le respect des accords de paix de 2016, la protection des anciens guérilleros des Farc démobilisés et l'abandon par le gouvernement de ses projets d'épandage de glyphosate par voie aérienne pour lutter contre la culture de la coca.
Toujours retranché derrière la rhétorique du vandalisme, de l'infiltration du mouvement par des guérilleros et des gangs de narco-trafiquants, le président colombien Ivan Duque exige également la levée des barrages routiers qui commencent à créer des situations de pénuries dans tout le pays, notamment pour les combustibles, les médicaments et les denrées alimentaires.
Le président colombien demande un "retour à la normale" et la levée de plus de 700 barrages routiers afin de permettre la poursuite de la campagne de vaccination anti-Covid. Depuis jeudi, son gouvernement a mis en place 60 "couloirs humanitaires" dans 17 départements du pays (qui en compte 32) afin de permettre notamment la circulation des personnels de santé et le transport des blessés.
À Cali comme à Bogota, les reporters de la rédaction de France 24 en Colombie ont constaté de longues files d'attentes devant les stations-service et l'envolée des prix des denrées alimentaires sur les marchés de la ville.
Le reportage de France 24 à Cali
Dialogue et sortie de crise ?
Pour tenter de mettre fin à l'agitation sociale, le gouvernement d'Ivan Duque doit entamer le dialogue ce lundi avec les gouverneurs et les autorités locales. Samedi, il s'est déclaré également ouvert à "écouter" le "Comité national de grève" à l'origine de la contestation sociale.
Celui-ci s'est déclaré favorable à un dialogue si le gouvernement s'engage à une réforme de la police, à l'allocation mensuelle d'une aide de 250 dollars pour les plus pauvres, la suspension des opérations de fumigation au glyphosate pour lutter contre les narco-cultures et la "démilitarisation" des villes et des régions des régions du pays où des soldats ont été envoyés en renfort.
Cependant, de nombreuses voix critiquent les promesses non tenues du gouvernement lors de la précédente crise sociale de 2019 et doutent d'une issue négociée au conflit. Après des décennies de stigmatisation de la protestation sociale, associée aux rébellions de gauche, les jeunes, qui n'ont pas connu les années noires du conflit armé, ainsi que les syndicats et les indigènes, ont montré ces derniers jours qu'il n'ont plus peur de revendiquer de meilleures conditions de vie.
De fait, le mouvement de contestation ne porte plus sur la réforme fiscale qui avait mis le feu au poudre le 28 avril, il s'est désormais largement étendu, réclamant une amélioration des politique de santé, d'éducation et surtout une réforme en profondeur des politiques sécuritaires du gouvernement Duque.
Dimanche à Bogota, ce sont les mères des "faux positifs" qui sont descendues dans la rue. Elles accusent les forces armées d'avoir exécuté au moins 6 400 civils innocents entre 2002 et 2008 en les faisant passer pour des victimes des combats avec les guérillas.
Le reportage de France 24 en espagnol avec les mères des "faux positifs"
Suivez les derniers développements de la crise en Colombie en espagnol avec la rédaction de France 24 à Bogota : #ProtestasEnColombia