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La pandémie de Covid-19 et ses origines, une histoire à tiroirs

Le rapport des experts indépendants mandatés par l’OMS pour enquêter sur les origines de la pandémie de Covid-19, publié mardi, a été vivement critiqué, y compris par son directeur. Mais au-delà des questions soulevées par les conclusions de la mission qui s’est rendue à Wuhan, ce travail est révélateur des limites du gendarme sanitaire mondial.

Et maintenant ? La présentation, mardi 30 mars, du rapport commandé à une équipe d’experts indépendants par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur les origines de la pandémie de Covid-19 et les déclarations subséquentes de Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de ladite institution internationale, ont semé la confusion. 

Les conclusions de l'enquête penchent en faveur d’une origine naturelle de l’épidémie et estiment très improbable la thèse d'un accident au laboratoire de virologie de Wuhan. Mais contre toute attente, Tedros Adhanom Ghebreyesus a aussitôt exigé une nouvelle enquête de terrain car, selon lui, la seconde piste devait être prise plus au sérieux.

Le labo de Wuhan de retour sous le feu des projecteurs

L’impression qui en ressort est celle d’un retour à la case départ. En effet, un point sur lequel les experts qui ont rédigé le rapport et le directeur de l’OMS s'accordent, “c’est que l’origine exacte de la pandémie n’a pas pu être identifiée avec certitude”, résume Étienne Decroly, virologue au CNRS, contacté par France 24.

Ce qui laisse un désagréable arrière-goût de temps gâché alors que comprendre la genèse du virus est “capital pour éviter que des situations similaires se reproduisent, et urgent car plus le temps passe plus il va être difficile d’obtenir des  échantillons relevants”, assure le chercheur du CNRS, co-signataire, début mars, d’une lettre ouverte déplorant la manière dont l’enquête internationale à Wuhan a été organisée.

Pour autant, la séquence sanitaro-diplomatique qui vient de s’achever avec la remise du rapport controversé n’en est pas moins riche en enseignements. D’abord, elle confirme que la thèse d'une origine non-naturelle du virus défendue par les conspirationnistes les plus acharnés n'est pas écartée au plus haut niveau de l'OMS. Et Tedros Adhanom Ghebreyesus n'est pas le seul à évoquer cette possibilité, puisque l’administration Biden a appelé Pékin à être plus transparent sur ce qui se passe à l’intérieur de l’institut de recherche. L’Union européenne a également demandé à la Chine de fournir “toutes les données” nécessaires, y compris sur le centre de virologie.

La résurgence d’une théorie jadis largement discréditée tient avant tout au départ de Donald Trump de la Maison Blanche, veut croire Filippa Lentzos, chercheuse au King’s College de Londres et spécialiste des menaces posées par les agents biologiques, contactée par France 24. “Les voix sérieuses sur cette question étaient à peine audibles du temps où l’ancien président américain récupérait tout pour nourrir ses théories du complot et sa propagande anti-chinoise”, affirme-t-elle. 

L’idée que le virus aurait pu s’échapper accidentellement du laboratoire était aussi “enfouie sous la montagne de thèses plus farfelues au sujet de ce laboratoire, comme l’idée d’une manipulation génétique ou la conception d’une arme biologique”, souligne cette experte. Maintenant que le débat est plus posé, il est plus aisé de faire le tri entre les torchons et les serviettes…

L’état d’esprit a aussi évolué sur le plan scientifique. “L’hypothèse initiale d’une zoonose traditionnelle [un virus circulant dans un réservoir animal avant d’être passé à l’homme, NDLR] n’a pu être prouvée malgré le fait que plus de 80 000 échantillons ont été prélevés dans la nature et dans les élevages pour en chercher la trace”, rappelle Étienne Decroly, le virologue du CNRS. Alors certes, l’absence de preuve d’un côté n’est pas une preuve que le virus se serait échappé d’un laboratoire, “mais cela conduit logiquement les scientifiques à explorer d’autres pistes”, estime-t-il.

Bis repetitae ?

Mais pour en savoir davantage, encore faut-il pouvoir retourner en Chine. Et c’est l’autre grand enseignement à tirer du rapport d'enquête et des controverses qu'il a suscité. Tedros Adhanom Ghebreyesus s’est non seulement montré favorable à une nouvelle mission, mais il a été “plus véhément dans ses critiques contre les conclusions des experts indépendants qu’après la précédente conférence de presse sur la question des origines du virus [en février]”, a relevé Étienne Decroly.

Tout comme Filippa Lentzos, il espère que cela traduit “une évolution du rapport de force”. Auparavant, “l’OMS se retrouvait seule face à la Chine, alors que maintenant, l’organisation est davantage soutenue, notamment par les États-Unis qui, sous l’impulsion de Joe Biden, ont fait leur retour dans le jeu politique de l’OMS, ce qui peut faire pencher la balance”, soutient le chercheur français.

Mais est-ce que ce sera suffisant pour convaincre Pékin d’accepter le retour d’une équipe d’experts sur son sol, alors que la Chine avait déjà traîné des pieds la première fois ? Surtout qu’une éventuelle nouvelle mission devrait être mieux équipée pour trouver des réponses. “Il faudrait une équipe réellement pluridisciplinaire, avec des experts médico-légaux, des spécialistes de la biosécurité, et des négociateurs capables d’obtenir les bons accès et les bonnes informations des autorités chinoises”, énumère Filippa Lentzos, qui a contribué à un rapport sur la manière de diriger une enquête sur les origines des épidémies.

Étienne Decroly estime que la Chine pourra difficilement se défiler : “L’épidémie a déjà fait trois millions de morts et je pense qu’il sera difficile de balayer cette question de l’origine du virus sous le tapis”. 

Filippa Lentzos est plus dubitative. “Je ne pense pas que Pékin accepte car les autorités ont obtenu ce qu’elles voulaient avec cette première mission”, affirme-t-elle. La Chine peut dorénavant prétendre qu’elle a ouvert en grand ses frontières à des experts “indépendants” qui l’ont lavée de tout soupçon. Alors que les experts se sont plaints de difficultés d'accès aux données brutes durant leur séjour.

D’où l’importance, pour la spécialiste du King’s College de Londres, de continuer à exiger une autre mission, même si les chances de l’obtenir sont minces. “Il s’agit de gagner la bataille du message”, affirme-t-elle. 

Il serait vital d’imposer l’idée que cette mission a été un échec afin de pouvoir faire mieux face à de futures pandémies. Cet épisode pourrait servir à poser les fondements d’une réflexion sur la manière de renforcer les pouvoirs de l’OMS. “Il s’agit peut-être de redéfinir les missions de l’organisation afin de lui permettre d’intervenir dès le début d’une épidémie pour enquêter sur les origines”, précise Étienne Decroly. Et ne pas avoir à négocier pendant des mois avec les pays concernés pour définir le cadre de l’enquête de terrain.