La Chine a commencé à juger, vendredi, deux Canadiens qu'elle accuse d'espionnage au moment où, en Alaska, le secrétaire d’État américain Antony Blinken rencontrait pour la première fois son homologue chinois.
La date n'a certainement rien d'un hasard. L'homme d'affaires canadien, Michael Spavor, détenu depuis plus de deux ans en Chine où il est accusé d'espionnage, a été jugé vendredi 19 mars, au moment où débutait, en Alaska, la première rencontre entre le secrétaire d’État américain et son homologue chinois en Alaska. L'ex-diplomate canadien, Michael Kovrig, poursuivi pour le même motif, doit quant à lui être jugé lundi 22 mars.
Michael Spavor a été jugé en un peu plus de deux heures à Dandong, dans le nord-est du pays, a annoncé un diplomate canadien. Le tribunal a fait savoir que le verdict serait annoncé à une date ultérieure. Ni les diplomates, ni la presse n'ont été autorisés à assister à l'audience ou à voir l'accusé. À la sortie du palais de justice, des diplomates canadiens ont agité la main en direction d'une fourgonnette de la police aux vitres teintées, pensant que l'homme d'affaires s'y trouvait.
Michael Spavor a été arrêté en décembre 2018 en même temps qu'un compatriote, Michael Kovrig, peu après l'interpellation au Canada d'une dirigeante du géant des télécoms chinois Huawei, à la demande des États-Unis. Pékin dément tout lien entre ces deux affaires.
Un procès en pleine rencontre sino-américaine
Le numéro deux de l'ambassade du Canada en Chine, Jim Nickel, a déclaré à la presse que son pays travaillait "étroitement" avec les États-Unis pour obtenir la libération de Michael Spavor et de Michael Kovrig. "Nous avons bon espoir que dans une certaine mesure ce procès puisse mener à leur libération immédiate", a-t-il assuré.
Le diplomate canadien s'est dit "frustré" de n'avoir pas pu assister à l'audience et par l'absence de transparence de la procédure.
Le procès s'est ouvert alors qu'une rencontre entre de hauts dirigeants chinois et américains a débuté en Alaska dans une atmosphère glaciale, pour la première prise de contact directe à ce niveau sous l'administration de Joe Biden.
"Ce n'est pas une coïncidence", a déclaré à l'AFP le sinologue Jean-Pierre Cabestan, de l'Université baptiste de Hong Kong, estimant qu'il y a déjà eu plusieurs tentatives secrètes de règlement négocié de cette affaire. "Le procès suivi d'une expulsion rapide des deux Michael a peut-être même été la condition de la tenue de la rencontre" en Alaska, a-t-il observé.
Le Wall Street Journal avait rapporté, début décembre, que Huawei discutait d'un accord avec l'administration américaine qui permettrait à Meng Wanzhou de regagner la Chine. Meng Wanzhou, qui n'est autre que la fille du fondateur de Huawei, avait été interpellée à l'aéroport de Vancouver le 1er décembre 2018 à la demande de la justice américaine, qui l'accuse d'avoir contourné des sanctions américaines contre l'Iran. Washington veut la juger pour fraude bancaire. L'affaire a entraîné une dégradation sans précédent des relations entre Pékin et Ottawa.
"Soutien international"
La nature exacte des accusations contre les deux Canadiens n'est pas connue. En mars 2019, l'agence de presse officielle Chine nouvelle avait rapporté que Michael Kovrig était soupçonné d'espionnage et de vol de secrets d'État et que Michael Spavor était une de ses principales sources d'information.
Michael Spavor, qui était établi dans le nord-est de la Chine, organisait des voyages vers la Corée du Nord, notamment pour la star américaine du basket Dennis Rodman. Il a été reçu par le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un.
La ville de Dandong, où se déroule son procès, se trouve à la frontière de la Corée du Nord. Des diplomates d'une dizaine de pays occidentaux, dont les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, accompagnaient vendredi leurs collègues canadiens à l'extérieur du tribunal. "Nous apprécions ce soutien international", a déclaré Michael Nickel.
Des conditions de détention différentes de celles de Meng Wanzhou
Jeudi, sortant de son silence, la famille de Michael Spavor a jugé "nécessaire de s'exprimer et d'exiger sa libération inconditionnelle". "Son maintien injuste et continu en détention qui le prive de sa liberté est à la fois inéquitable et déraisonnable, surtout compte tenu du manque de transparence de l'affaire", soulignent ses proches.
Richard Atwood, président par intérim du centre de réflexion Crisis Group, l'employeur de Michael Kovrig, 49 ans, a plaidé dans le même sens. "Dès le moment où il a été détenu, la nature politique de l'affaire a été claire", a-t-il dénoncé.
Les conditions de détention des "deux Michael" n'a rien à voir avec la situation de Meng Wanzhou, placée en résidence surveillée dans une villa cossue de Vancouver, où elle peut se déplacer munie d'un bracelet électronique. Par contraste, les deux Canadiens n'ont aucun accès à leurs avocats ou à leurs proches, et n'ont de contact qu'avec des représentants de leur ambassade, une fois par mois.
Ces contacts ont été interrompus l'an dernier pendant neuf mois au nom de la lutte contre l'épidémie de Covid-19. À Vancouver, la procédure d'extradition vers les États-Unis de Meng Wanzhou est entrée dans sa dernière phase et les ultimes audiences sont prévues en mai.
Avec AFP