Une nouvelle étude, parue lundi, semble indiquer que le télétravail a été l’une des principales réussites depuis le début des confinements et autres mesures de couvre-feu il y a un an. Mais certaines des conclusions, notamment sur la productivité des télétravailleurs, sont contestées.
Il y a un an, jour pour jour, la France tombait dans la marmite du confinement. Et pour un grand nombre d’actifs, ces mesures inédites de restrictions de la circulation pour endiguer celle du virus Sars-CoV-2 devenaient synonymes de télétravail.
Et si le confinement “dur” n’aura duré qu'environ quatre mois en France, le recours au travail à distance, lui, s’est installé dans la durée. Un basculement brutal vers une nouvelle organisation du travail pour environ un quart des salariés français, d’après l’Insee, qui ne s’est pas fait sans soulever d’innombrables questions juridiques, techniques ou encore sociales.
Le télétravailleur, “super-héros” de la productivité ?
D’un point de vue économique, en revanche, le télétravail aurait été la “success-story” de cette année de distanciation sociale et autres gestes barrières. Du moins si l’on en croit une étude publiée lundi 15 mars par l’Institut Sapiens, un think tank libéral, et largement reprise dans la presse. Le recours au travail à distance aurait évité de nombreuses faillites d’entreprises, permettant ainsi “de sauvegarder entre 215 et 230 milliards d’euros de PIB en 2020”, estiment les auteurs de ce travail.
Mais ce n’est pas tout. Pour les économistes de l’Institut Sapiens, le télétravailleur est aussi bien plus productif que son collègue en présentiel. Pour être précis, il le serait 22 % de plus. Un chiffre qui provient d’une autre étude sur le télétravail, publiée en 2016, mais qui serait toujours valable d’après l’Institut Sapiens.
Pour ces économistes, le gain d’efficacité hier, comme aujourd’hui, s’expliquerait par “la réduction du nombre de distractions et de perturbations (pauses café, long déjeuner, bruit) tout en augmentant la motivation par la responsabilisation”, détaille Dominique Calmels, cofondateur de l’Institut Sapiens, interrogé par Le Parisien. Il ajoute que la “forte diminution des réunions chronophages” augmente aussi la productivité.
Tous les actifs ne peuvent, certes, pas télétravailler, reconnaît l’Institut Sapiens. Les ouvriers agricoles, ceux du bâtiment, tout comme le personnel soignant en milieux hospitaliers sont, par exemple, condamnés à perpétuer les us et coutumes du labeur en présentiel de l’ancien régime.
En tout, l’étude estime parmi les actifs, 6,9 millions de personnes peuvent facilement télétravailler. Les économistes de l’Institut Sapiens ont même dressé un portrait robot du candidat au travail en distanciel en se fondant sur les portraits statistiques des métiers publiés par la direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (DARES) : il a un diplôme bac+2, vit plutôt dans des villes de plus de 500 000 habitants, gagne environ 2 400 euros brut par mois, travaille dans des entreprises de plus de 50 salariés et doit faire 45 minutes de trajet par jour pour rejoindre son lieu de travail.
Des conclusions trop optimistes ?
Mais ces conclusions ne satisfont pas tout le monde. La critique principale adressée à la démonstration de l’Institut Sapiens concerne la manière dont le télétravailleur y est dépeint en “super-héros” de la productivité.
Les rares études consacrées à cette question sont loin d’être toutes aussi optimistes que celle retenue par l’Institut Sapiens. “Les évaluations disponibles des effets du télétravail sur la productivité aboutissent à des résultats contrastés”, notent ainsi les économistes de la Banque de France qui ont analysé les donnée existantes dans un billet de blog publié en janvier 2021.
Surtout, les quelques travaux qui se sont penchés sur la question depuis le début de la pandémie ne vont pas dans le sens de l’Institut Sapiens. Une étude réalisée au Japon, en avril 2020, a démontré que les salariés d’une entreprise reconnaissaient être en moyenne 40 % moins productifs depuis qu’ils travaillaient chez eux. Une autre enquête, menée auprès de 2 000 Américains de la région de Seattle entre avril et juin 2020, indiquent que plus de 70 % des personnes interrogées estiment qu’ils sont aussi productifs ou moins qu’avant d’avoir été contraints au télétravail.
Pour expliquer les baisses de productivité, les deux études citent la difficulté de prendre en main les outils informatiques pour travailler à distance ou des logements peu adaptés.
Des observations qui semblent indiquer qu’il y a bien une différence entre l’impact économique du télétravail avant la pandémie et après, contrairement à ce que suggère l’étude de l’Institut Sapiens. Il serait bien plus positif “lorsqu’il est choisi par le salarié dans un cadre bien défini et organisé”, note Pascal de Lima, économiste au cabinet de conseil financier Harwell Management et spécialiste de l’économie numérique à la grande école hybride de technologie Aivancity, contacté par France 24.
Ces études confirment aussi que le travail à distance bénéficie “bien davantage aux métiers dits ‘créatifs’, comme la communication ou le consulting, que ceux qui doivent réaliser des tâches manuelles”, souligne ce spécialiste.
Mais les gains de productivité des entreprises ne sont, en outre, pas seulement le fait de ces salariés dopés au distanciel. Une partie “vient des économies réalisées grâce à l’adaptation des moyens de production, c’est-à-dire, qu’on dépense moins, par exemple, en papier d’imprimante, en location de bureaux”, remarque l’économiste français.
Ce que la crise sanitaire a aussi mis en lumière, c’est qu’il y a une face obscure au télétravail. Les exemples de licenciements par zoom, comme chez Uber par exemple, indique que les patrons “peuvent être tentés de profiter de cette période de distanciation qui ne facilite pas le travail des syndicats pour être plus brutaux”, estime Pascal de Lima.