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Le groupuscule extrémiste des "Oath Keepers", une sorte de milice anti-gouvernement baignée dans le conspirationnisme, apparaît comme l'un des éléments les plus dangereux à avoir participé à l'assaut sur le Capitole, mercredi 6 janvier.

Ils sont la face la plus sombre et violente de la meute de partisans de Donald Trump qui ont pris d'assaut le Capitole, mercredi 6 janvier. Un groupe d'extrémistes qui préfèrent le treillis militaire et le casque de combat aux accoutrements plus folkloriques portés par certains des émeutiers.

Leur rôle dans le sac de ce haut lieu de la démocratie américaine semble gagner en importance à mesure que la réalité sur le niveau de préparation et la détermination à semer le chaos de ces militants à l'allure paramilitaire voit le jour. 

"Mouvement anti-gouvernement le plus large des États-Unis"

"Un grand nombre des individus arrêtés ont des liens avec ces milices d'extrême droite qui avaient amené des armes et même des explosifs", note le site ABCNews qui s'est penché sur le profil des 68 premiers émeutiers interpellés depuis une semaine.

L'un des groupes de cette mouvance a tout particulièrement retenu l'attention, car ses membres ont été parmi les premiers et les plus déterminés à forcer le passage pour rentrer dans le Capitole. Ils s'appellent les "Oath Keepers" (Gardiens du Serment) et on peut les voir sur plusieurs vidéos se frayer un chemin à travers la foule pour atteindre la porte d'entrée du bâtiment fédéral en avançant de manière très discipliné et militaire.

NEW FOOTAGE: a long, disciplined line of men in body armor moves as a unit up the #CapitolBuilding steps.

We need to identify this group.

Grateful to @lehudgins for the find.
Source: https://t.co/1CQlT5Sqa7 pic.twitter.com/Omdva2SiUS

— John Scott-Railton (@jsrailton) January 10, 2021

Aisément reconnaissables – ils arborent le nom de leur groupe sur leur veste ou à l'arrière de leur casque – ils se retrouvent ensuite sur plusieurs photos prises à l'intérieur du bâtiment fédéral. Leur leader, Stewart Rhodes, avait préféré, quant à lui, rester à l'extérieur d'où il a harangué les foules en les appelant à "arrêter" les élus qui allaient voter pour certifier la victoire électorale du démocrate Joe Biden.

Les "Oath Keepers" ne sont pas qu'un énième mouvement radical qui, à l'instar des Q-Anonistes, "Boogaloo boys" ou des "Proud Boys", a gagné en visibilité durant le mandat de Donald Trump. De par son histoire, le profil de ses membres et son idéologie, il se distingue dans le paysage surpeuplé des groupuscules d'extrême droite aux États-Unis.

Fondée en 2009 en réaction à l'élection du démocrate Barack Obama à la présidence, cette milice s'est imposée au fil des ans comme "le mouvement radical anti-gouvernement le plus large des États-Unis", souligne le Southern Poverty Law Center (SPLC), l'une des principales ONG qui surveillent les extrêmes droites aux États-Unis. Les "Oath Keepers" revendiquent officiellement plus de 30 000 membres, mais le SPLC estime qu'il doit y avoir entre 2 000 et 3 000 membres actifs.

Des Yale au conspirationnisme

Un succès qui doit beaucoup à la personnalité de son fondateur, Stewart Rhodes, un ancien militaire, passé par la très prestigieuse université de droit de Yale et qui a soutenu, en 2008, le candidat libertarien Ron Paul avant de tomber dans la marmite extrémiste et conspirationniste. 

Ce fanatique des armes à feu, qui a perdu un œil dans les années 1990 en manipulant un pistolet, a pensé son organisation comme un refuge pour les membres des forces de l'ordre frustrés de ne pouvoir défendre ouvertement leur idéologie extrémiste au sein des institutions. Ce qui distingue les "Oath Keepers" des autres milices d'extrême droite "c'est la forte propension de représentants et ex-membres des divers corps armés", résume The Atlantic dans une enquête consacrée à ce mouvement, publié en novembre 2020. Le groupe compte, entre autres, des policiers, des gardes-frontières, au moins un agent du Secret Service, plusieurs membres du SWAT (la force d'intervention rapide de la police) et un shérif, a comptabilisé le site qui a pu mettre la main sur un fichier de membres et sympathisants des "Oath Keepers". 

Pour intégrer ce mouvement, il faut, en outre, prêter serment "de défendre la constitution" (d'où le nom de "Oath Keepers") à l'occasion d'une cérémonie calquée sur celle de l'entrée dans la police. Mais pour Stewart Rhodes et ses sbires, la constitution se résume, peu ou prou, au fameux second amendement qui fonde le droit de détenir une arme à feu. Et l'ennemi contre lequel il faut défendre ce texte sacré est le gouvernement, soupçonné de chercher à confisquer toutes les armes en circulation afin de pouvoir plus facilement instaurer une dictature.

Un délire conspirationniste qui fait aussi partie de l'ADN des "Oath Keepers". Ils sont de fervents adeptes de la thèse complotiste du "Nouvel ordre mondial" selon laquelle la plupart des pays du monde sont déjà sous le joug d'un gouvernement globalisé d'inspiration "socialiste" et que les États-Unis sont l'un des derniers bastions de "liberté".

Les "Oath Keepers" ont mis leurs préceptes en application à plusieurs reprises à partir de 2013. Leur spécialité : venir en nombre lors de catastrophes naturelles ou de désordres sociaux pour "secourir" la population ou "protéger" les commerces en arguant qu'il ne faut pas faire confiance aux autorités. C'est à l'occasion des émeutes de Ferguson, à la suite de l'assassinat d'un jeune noir par un policier en 2014, qu'ils ont, pour la première fois, occupé le devant de la scène médiatique. Les images de ces miliciens postés, armes à la main, sur les toits d'immeubles de la ville et menaçant de tirer sur les manifestants ont fait le tour du monde.

Défendre Donald Trump coûte que coûte 

Avec l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, en 2016, les Oath Keepers "pensaient avoir enfin l'un des leurs à la Maison Blanche", analyse l'Anti-Defamation League (ADL), une autre organisation américaine de lutte contre l'extrémisme. Des membres de cette milice ont alors systématiquement accompagné le président à l'occasion de ses principaux meetings, s'improvisant en une sorte de service de sécurité bis. 

Ils estiment, dans leur réalité alternative, être les seuls à même de le protéger contre "l'ennemi de l'intérieur" qui considère Donald Trump comme un obstacle à l'instauration de ce "nouvel ordre mondial". Pour eux, le mouvement Black Lives Matter a été orchestré par les "marxistes" pour déstabiliser le président, et les "antifa" sont des agents du "nouvel ordre mondial".

Pas étonnant dans ces conditions que les "Oath Keepers" aient été parmi les plus prompts à vouloir prendre le Capitole d'assaut. En 2016, Stewart Rhodes avait déjà indiqué que son mouvement était prêt à participer à une "deuxième guerre civile" si les démocrates avaient "volé" l'élection présidentielle, rappelle l'Anti-Defamation League. Dans leurs esprits, la défaite de leur champion en 2020 s'apparente à un coup monté par ces forces de l'ombre et les délires du camp Trump au sujet de la fraude électorale n'ont fait que nourrir leurs fantasmes.

Pas étonnant dès lors que le FBI se soit inquiété, lundi, de nouvelles explosions de violence d'ici à l'inauguration du démocrate Joe Biden comme nouveau président le 20 janvier. Pour des groupes comme les "Oath Keepers", qui ont des armes et un savoir-faire militaire, l'enjeu est crucial.