
L’assaut sur le Capitole à Washington mené par des milliers de soutien à Donald Trump, mercredi, illustre à la fois une nouvelle étape dans la jeune histoire de "l'alt-right" américaine et reflète le nouveau visage du Parti républicain, affirment des experts de l’extrême droite américaine.
Quatre morts, une classe politique sous le choc et un concert de condamnations venues du monde entier. L’assaut, mercredi 6 janvier, sur le Capitole, à Washington, par des milliers de partisans du président sortant Donald Trump, convaincus contre toute évidence que leur champion n’a pas perdu l’élection de novembre 2020, risque de rester pour de nombreux Américains comme une tâche sombre dans l’histoire récente du pays.
Pour les fanatiques de la cause trumpienne, qui ont pu occuper pendant plusieurs heures ce haut lieu de la démocratie américaine avant de se faire déloger, c’est une autre histoire.
"Q Shaman", le bizarre activiste du mouvement conspirationniste QAnon déguisé en guerrier sioux, pourra considérer comme un succès le fait d’avoir réussi à se hisser derrière le pupitre de la tribune du Sénat. Tout comme cet autre militant photographié, tout sourire, confortablement assis dans le bureau de la démocrate Nancy Pelosi. Sans compter les extrémistes qui, dans les couloirs du Capitole, ont fièrement agité devant les caméras le drapeau confédéré, héritage du passé ségrégationniste américain.
L’Amérique alternative de "l’alt-right"
L’offensive sur le Capitole regroupe tous les ingrédients des actions coups de poing de "l’alt-right", cette frange extrémiste et suprémaciste de l’électorat de Donald Trump. Des messages appelant à des démonstrations de violence à Washington le 6 janvier s’étaient d’ailleurs multipliés ces derniers jours sur Parler, un site communautaire particulièrement prisé par les membres de "l’alt-right", a constaté Buzzfeed. “C’est un mouvement qui se fonde sur le chaos et a bâti son succès sur les coups d’éclat. De ce point de vue, on peut dire que c’est avant tout une opération de com’ réussie pour eux”, explique Simon Ridley, sociologue à l’université Paris Nanterre et auteur du livre “l'Alt-right : de Berkeley à Christchurch”, contacté par France 24
Pour cet expert, l’attaque s’inscrit dans la continuité des incidents de Charlottesville en 2017. Tout comme la manifestation “Unite the right” de l’époque avait permis de montrer de manière violente à l’Amérique que "l’alt-right" n’était pas cantonnée aux recoins les plus sombres d’Internet, l’assaut contre le Capitole “participe à la construction de cette Amérique alternative chère à ces extrémistes. C’est un acte qui prouve par l’éclat son existence”, juge Simon Ridley.
Il y aura aussi, d’après lui, un “avant et un après ‘Capitole’” pour ce mouvement, tout comme cela avait été le cas avec Charlottesville. La démonstration de haine et de violence durant cette manifestation avait entraîné une sorte de scission au sein de cette nébuleuse avec l’émergence de "l’alt-lite", une version légèrement moins violente.
Même s’il est encore un peu tôt pour évaluer l’impact de l’attaque contre le Capitole, il est possible qu’elle divise encore un peu plus ce mouvement entre les jusqu’au-boutistes et les autres, note Simon Ridley. Mais cette nouvelle action violente peut aussi servir “d’amplification du mouvement car elle dégage un sentiment de puissance”, note le chercheur.
Le nouveau visage du Parti républicain ?
Mais cette attaque ne concerne pas que "l’alt-right", avertit Thomas Greven, spécialiste du populisme américain à l’université libre de Berlin. “On ne sait pas encore précisément qui a participé à cette action, mais je n’ai pas vu que des membres de 'l’alt-right', loin de là”, assure-t-il à France 24.
C’est, pour lui, la principale leçon de ces événements tragiques : il ne s’agirait pas d’une folie d’une petite minorité d’illuminés, comme l’ont affirmé les élus républicains qui ont condamné ces agissements. “Cette action reflète tout simplement ce qu’est devenu le Parti républicain aujourd’hui”, assure-t-il.

Il en veut pour preuve le soutien dont les assaillants jouissent auprès des électeurs républicains. Un sondage de l’institut YouGov montre que 45 % d’entre eux approuvent cet assaut contre le Capitole. “En d’autres termes, la base du Parti républicain est aujourd’hui composée, pour près de la moitié, de personnes qui approuvent une attaque contre un bâtiment fédéral”, martèle le chercheur allemand.
Rien d’étonnant à cela, selon lui. Cet assaut “est l’aboutissement logique de la stratégie électoraliste menée depuis des années - et bien avant l’arrivée de Donald Trump - par les responsables républicains”, affirme le politologue de l’université de Berlin.
Ce parti fait tout, depuis longtemps, pour “mobiliser les électeurs blancs en jouant sur les divisions sociales et la peur afin de contrebalancer l’évolution démographique du pays qui leur est défavorable”, rappelle Thomas Greven.
Il ne faudrait pas s’étonner si, après avoir été caressé si longtemps dans le sens du poil et poussé à avoir peur de perdre sa place dans la société américaine, cet électorat s’est de plus en plus radicalisé. À tel point qu’aujourd’hui “on ne peut plus dire que le Parti républicain est conservateur ; il est à la droite de la droite, un peu comme l’AfD allemande (populiste de droite radicale)”, conclut-il. Pour lui, Donald Trump et les extrémistes qui ont attaqué le Capitole ne sont rien d’autre que les monstres de Frankenstein qui ont échappé au contrôle de leurs créateurs.