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Des responsables politiques allemands et des voix dans la communauté scientifique jugent très sévèrement les débuts de la campagne de vaccination en Allemagne. Elle est pourtant souvent citée en exemple en France. Explications.

"C’est le chaos", "on s’en sort bien moins bien que d’autres pays". Non, il ne s’agit pas d’énièmes critiques de la campagne française de vaccination contre le Covid-19. Ces déclarations viennent de Lars Klingbeil, le patron du SPD (les sociaux-démocrates allemands), qui s’en est violemment pris, lundi 4 janvier, à la stratégie de vaccination du gouvernement d’Angela Merkel. Et il n’est pas le seul : plusieurs dirigeants de Länder ont aussi déploré la lenteur de ce début de campagne sanitaire, rapporte la chaîne de télévision ARD.

Des voix dans la communauté scientifique se sont jointes à ce concert de critiques. "Il s’agit d’un échec grossier des autorités", a jugé la neurologue allemande Frauke Zipp, membre de l’Académie des sciences Leopoldina, qui conseille le gouvernement pour les questions sanitaires.

Couacs

Vue de France, cette grogne peut étonner. L’Allemagne n’a pas manqué, une fois encore, d’être érigée en exemple pour souligner les manquements tricolores en matière de vaccination. Les 516 doses administrées officiellement au 4 janvier dans l’Hexagone peuvent, il est vrai, faire pâle figure comparées aux 238 000 qui ont déjà été distribuées de l’autre côté du Rhin.

Mais c'est loin de satisfaire les Allemands, qui veulent aussi aller beaucoup plus vite. Ils ont du mal à comprendre le "faible" nombre de vaccinations effectuées alors qu’officiellement 1,3 million de doses du vaccin de Pfizer/BioNTech ont été livrées aux autorités des Länder (contre 560 000 doses en France). Les appels à la patience lancés par le gouvernement n’ont fait qu’envenimer la situation. "Il y a peu, on rendait hommage tous les jours aux victimes du Covid-19 afin de souligner l’urgence de la situation, et maintenant on nous demande d’attendre", résume la neurologue Frauke Zipp.

Plusieurs couacs ont en outre été rapportés, donnant l’impression d’une campagne de vaccination mal préparée. Le principal problème provient du formulaire à remplir – pour indiquer notamment les éventuelles allergies incompatibles avec l’administration du vaccin – avant de recevoir l’injection, a constaté la Süddeutsche Zeitung. "Dans les maisons de retraite où une partie des résidents [qui sont les premiers à être vaccinés, NDLR] ont des problèmes de mémoire ou du mal à comprendre ce qu’ils doivent remplir, cela a entraîné des complications et retards", note le quotidien allemand.

Certaines maisons de retraite qui avaient tout organisé pour être prêtes le jour J, y compris en annulant une partie des congés de Noël de plusieurs aides-soignants, ont eu la mauvaise surprise d’apprendre qu’elles n’auraient finalement pas les vaccins à la date indiquée car "les autorités s’étaient trompées dans la répartition des doses disponibles", ajoute la Süddeutsche Zeitung.

La stratégie de Bruxelles en cause

Plusieurs seniors, qui vivent en dehors des maisons de retraite, se sont aussi plaints d’avoir pris rendez-vous pour une vaccination et s’être vu signifier une fois arrivés au centre de vaccination qu’il n’y avait finalement pas de doses disponibles, rapporte le Traunsteiner Tagblatt, un journal local en Bavière.

Ce sont certes des incidents isolés, mais mis bout à bout, ils ne donnent pas une bonne image de l’organisation de la campagne de vaccination allemande, soulignent certains responsables politiques, y compris au sein de la CDU, le parti d’Angela Merkel. Thorsten Frei, un député CDU, a ainsi appelé à une meilleure communication entre le gouvernement fédéral et les autorités locales pour éviter ces déboires. "Dans une crise sanitaire, il n’y a rien de plus précieux pour le gouvernement que la confiance accordée par la population, et nos dirigeants sont en train de dilapider ce capital", a regretté pour sa part Dietmar Bartsch, député du parti de gauche radical Die Linke.

Mais au-delà des problèmes d’organisation, les Allemands regrettent surtout de ne pas avoir plus de vaccins. "Le souci principal, c’est que nous n’avons pas commandé plus de doses cet été", a déclaré Volker Wissing, le porte-parole du FDP, le Parti libéral-démocrate.

Une critique qui s’adresse en premier lieu à l’Union européenne (UE) puisque Berlin n’a rien négocié directement avec Pfizer, Moderna ou AstraZeneca et a laissé la Commission européenne s’occuper des achats et de la répartition entre les différents pays européens.

Bruxelles est surtout accusé d’avoir misé sur les mauvais chevaux. Contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni, l’UE ne s’est pas concentrée sur les vaccins de Pfizer et Moderna. L’Europe a passé commande pour près de 2 milliards de doses auprès de six laboratoires, mais comme il n’y a pour l’instant que Pfizer (et bientôt Moderna) qui a reçu le feu vert de l’agence européenne du médicament, cette stratégie précautionneuse de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier se retourne contre elle.

Et c’est là que Berlin aurait dû mieux anticiper, d’après les critiques de la stratégie du gouvernement. Ceux-ci rappellent que BioNTech (qui a développé le vaccin pour Pfizer) est une entreprise allemande. Pour eux, c’est un comble, comme le résume le quotidien Die Welt, que le "fruit de la recherche allemande soit largement disponible aux États-Unis mais demeure une denrée rare en Allemagne".