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2020 en Amérique Latine : un océan de désolations et une résurrection

Touchée de plein fouet par la pandémie de Covid-19, l’Amérique du Sud se dirige tout droit vers d’immenses difficultés économiques. Sur un continent fragilisé par cinq ans de récession, la pandémie a mis à nu la violence des inégalités sociales. Sur le terrain politique, la crise post-électorale en Bolivie s’est soldée par le retour au pouvoir du parti d’Evo Morales, une résurrection surprise.

Et si l’Amérique du Sud connaissait une nouvelle "décennie perdue" ? C’est ce que craint la Cepalc, la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Dans un rapport cité par l’agence EFE, l’organisme régional de l’ONU souligne ainsi que "nous sommes la région du monde qui va être la plus affectée [par la pandémie] en ce qui concerne la santé publique et le développement économique".

Après une "décennie en or" (2003-2013) marquée par une forte croissance économique et une réduction des inégalités, le PIB par habitant des Latino-Américains s’est effondré pour revenir fin 2020 à son niveau de… 2010.

La crise du Covid-19 a enterré les espoirs de reprise économique en Amérique latine et laisse des populations démunies face à de vieux problèmes, notamment "un système de protection sociale faible et fragmenté et des systèmes de production trop peu diversifiés", selon Alicia Bárcena, la diplomate mexicaine qui dirige la Cepalc.

En Argentine, le confinement le plus long du monde

Un an après l’apparition du virus dans la très distante ville chinoise de Wuhan, le bilan est lourd. Selon des données recueillies par l'AFP auprès de l'OMS, l'Amérique latine et les Caraïbes ont enregistré près d’un demi million de morts, dont au moins 182 000 au Brésil et 114 000 au Mexique.

Si l'Argentine comptabilise plus de 40 000 décès selon son ministère de la Santé, le pays avait pourtant décidé très tôt un strict confinement. Mis en place le 20 mars dans la capitale, Buenos Aires, celui-ci n’a été complètement levé que le 8 novembre, ce qui en fait le plus long confinement du monde.

Fermer les frontières et maintenir la population en isolement social maximum : la stratégie ambitieuse et volontariste du gouvernement d’Alberto Fernandez s’est soldée par un cruel échec qui laisse un goût amer à bien des Argentins. Le pays a consenti d’immenses sacrifices et "la déception est très dure à accepter même si finalement les médecins n’ont pas eu à choisir quels patients intuber, raconte Mathilde Guillaume, correspondante de France 24 en Argentine. Le système de santé publique a malgré tout tenu le choc".

Neuf mois après le début de la crise sanitaire, le pays ressemble à un champ de ruines. "On voit maintenant que de nombreux commerces ne rouvriront pas, un enfant sur dix a décroché du système scolaire en l’absence d’ordinateurs et de suivi chez les plus défavorisés, une dévaluation et une cure d’austérité dictée par le FMI menacent aussi le pays, poursuit Mathilde Guillaume. Les Argentins sont désormais très critiques de ce confinement drastique même si les mesures de soutien aux entreprises et aux plus vulnérables ont fonctionné." 

Confusion et désinvolture au Brésil

Les débats autour du confinement ont également été intenses chez le voisin brésilien. Jair Bolsonaro n’a eu de cesse de minimiser la maladie lançant dès le 28 avril un fameux : "Et alors ? Je suis désolé, mais vous voulez que je fasse quoi ? Je suis le Messie (son deuxième prénom, NDLR), mais je ne fais pas de miracles".

La négation de l'ampleur de la crise et la désinvolture du président brésilien n’ont pas empêché chacun des 27 États de la fédération d’adopter des mesures de confinement, mais en ordre dispersé, différentes d’un État à l’autre, parfois d’une ville à l’autre, et se limitant souvent à de simples recommandations.

Depuis le mois de mars, la réponse des autorités brésiliennes au défi sanitaire a été brouillonne et approximative. À Rio de Janeiro, le maire a décidé le 4 décembre de fermer à nouveau les écoles tout en autorisant l’ouverture des centres commerciaux 24 heures sur 24 pour ne pas entraver les courses de Noël.

Une décision qui vise à soutenir une économie en plein marasme et qui ne s’encombre guère du sort de milliers de familles pauvres qui comptent sur l’école publique pour fournir au moins un repas par jour à leurs enfants.

D’un bout à l’autre du pays, la santé publique comme l’éducation sont plus que jamais laissées à l’abandon, alors que l’épidémie est loin d’être endiguée et que le pays craint l’arrivée d’une deuxième vague.

Au Brésil, comme dans bien d’autres pays latino-américains, la crise du Covid-19 provoque de graves dégâts économiques et sociaux, creuse les inégalités et inquiète. Beaucoup craignent que la situation politique ne devienne explosive en 2021, quand la "facture" de l’épidémie (qui a plombé l’endettement des États) sera présentée aux populations.

La résurrection du MAS en Bolivie

Panorama bien sombre où la Bolivie fait un peu figure d’exception. Fortement touché par l’épidémie, le pays a cependant réussi à se sortir d’une crise politique née de l’élection présidentielle contestée de 2019. Accusé de fraude électorale par l’opposition, critiqué jusque dans son propre camp par ceux qui refusaient sa tentative d’obtenir un quatrième mandat consécutif, le président sortant de gauche Evo Morales avait été poussé à l'exil. En 2020, le pays est parvenu à ne sombrer ni dans l’autoritarisme ni dans la guerre civile.

Au contraire, un nouveau scrutin présidentiel s’est finalement tenu en octobre, remporté haut la main par Luis Arce, le candidat du MAS, le parti d'Evo Morales. Une victoire au premier tour, avec 55 % des voix, reconnue par la présidente intérimaire Jeanine Añez, l’opposition de droite et la communauté internationale.

Début novembre, Evo Morales est revenu de son exil en promettant de se contenter de diriger son parti. Cette résurrection est à bien des égards une heureuse surprise : le gouvernement très réactionnaire de Jeanine Añez a été désavoué dans les urnes et Evo Morales n’a finalement pas hypothéqué l’avenir de son mouvement politique.

En effet, les Boliviens s’étaient révoltés en 2019 contre un président qui avait ignoré un référendum lui interdisant de se représenter et ont voté en 2020 pour un successeur qu’il a lui-même désigné, afin de poursuivre "le processus de changement" entamé en 2005 par Evo Morales, le premier président indigène du pays. Une intéressante leçon de politique sur un continent violemment ébranlé par la crise sanitaire.