Un procès a été ordonné pour un ex-commandant rebelle libérien, afin qu'il soit jugé pour "actes de torture" et "complicité d'actes de torture" commis au début des années 1990. Jusqu'à présent, personne n'a été poursuivi ni condamné au Liberia pour les crimes commis pendant la guerre civile.
Un nouveau procès sur les atrocités commises pendant la guerre civile au Liberia se profile hors des frontières de ce pays d'Afrique de l'Ouest : un ex-commandant rebelle libérien, accusé d'avoir commis des actes de torture dans les années 1990, a été renvoyé devant les assises en France, a-t-on appris jeudi 10 décembre de sources judiciaires.
Un procès a été ordonné le 26 novembre pour Kunti K., arrêté en France en 2018, afin qu'il soit jugé pour "actes de torture" et "complicité d'actes de torture" constitutifs de crimes contre l'humanité commis en 1993 et 1994.
Jusqu'à présent, personne n'a été poursuivi ni condamné au Liberia pour les crimes commis pendant la guerre civile, l'un des plus atroces conflits du continent africain et qui a fait quelque 250 000 morts entre 1989 et 2003. Un autre ex-commandant rebelle, Alieu Kosiah, est jugé en Suisse depuis le 3 décembre.
Actes de cannibalisme
Né le 1er décembre 1974, Kunti K. a été commandant au sein de l'ULIMO (United Liberation Movement of Liberia for Democracy), faction de trois groupes armés hostiles au mouvement de l'ex-président libérien Charles Taylor (le Front national patriotique du Liberia, NPFL), lors de la première guerre civile qui a secoué ce pays.
Responsable d'une faction dans le comté du Lofa, une région stratégique au nord-ouest du Liberia, il a été accusé par plusieurs victimes d'avoir commis des pillages et des viols et réduit à l'esclavage des populations locales. Il est aussi soupçonné d'avoir torturé, tué et commis des actes de cannibalisme.
Ce dernier conteste ces accusations.
"C'est un dossier sur lequel il n'y a aucune preuve des faits reprochés à Kunti K., et qui s'appuie sur des témoignages vieux de vingt-cinq ans", ont réagi auprès de l'AFP ses avocats, Mes Tarek Koraitem et Maryline Secci. "Il sert de bouc émissaire des crimes commis au Liberia", ont-ils estimé.
"Impunité au Liberia"
"C'est un progrès pour la justice internationale et pour la lutte contre l'impunité au Liberia, où la justice locale n'est toujours pas intervenue sur les atrocités qui ont eu lieu pendant la guerre civile", s'est réjoui de son côté Me Simon Foreman, avocat de l'ONG Civitas Maxima, qui s'est constituée partie civile au côté de huit victimes. "Tout repose sur la capacité des autres États à rendre justice", a-t-il observé.
Kunti K. ne devrait pas être jugé avant 2022, d'autant plus que le parquet national antiterroriste a fait appel de l'ordonnance du juge sur une question juridique.
"Compétence universelle"
Ce procès sera le premier instruit par le pôle crimes contre l'humanité du tribunal de Paris, créé en 2012, qui ne soit pas lié au génocide rwandais.
C'est en vertu de sa "compétence universelle" que la justice française peut poursuivre les auteurs des crimes les plus graves – crimes contre l'humanité, de guerre ou de génocide – s'ils passent ou résident sur le territoire français, quels que soient le lieu des crimes et la nationalité des auteurs ou victimes.
Une enquête préliminaire avait été ouverte à la suite d'une plainte déposée en juillet 2018 par Civitas Maxima contre ce ressortissant libérien naturalisé néerlandais, qui avait rejoint la France en 2016.
Visé par un mandat d'arrêt, il avait été interpellé en région parisienne en septembre 2018 et mis en examen.
Les enquêteurs français ont pu se rendre dans le comté du Lofa et collaborer avec les autorités libériennes en procédant à des reconstitutions sur place, une "première", selon Civitas Maxima.
Cette ONG a contribué à l'arrestation à l'étranger de plusieurs personnes liées à ces crimes. Parmi elles, Mohammed Jabateh, un ancien commandant de l'ULIMO, a été condamné en avril 2018 à trente ans de prison aux États-Unis.
L'ex-président Charles Taylor (1997-2003) a pour sa part été condamné en 2012 par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) de l'ONU pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis dans ce pays voisin du Liberia.
Sa condamnation à cinquante ans de prison a été confirmée en 2013 et il purge sa peine en Grande-Bretagne.
Avec AFP