Âgé de 67 ans, ce général de l'armée de terre qui a combattu en Irak et en Afghanistan, pourrait devenir le premier homme noir à diriger le Pentagone. Une nomination sur le papier historique, mais qui nécessite encore une validation du Sénat.
Il pourrait devenir le premier dirigeant noir à la tête du Pentagone. Peu connu du grand public, l'ancien général Lloyd Austin a été choisi officiellement, mardi 8 décembre, par le président élu des États-Unis, Joe Biden pour diriger son futur ministère de la Défense. Une nomination en accord avec la ligne défendue jusqu'ici par le démocrate : celle de faire entrer des talents issus des minorités aux plus hautes sphères de l'État américain.
Le nom de Lloyd Austin circulait déjà – aux côtés de celui de Michèle Flournoy – depuis plusieurs semaines pour diriger la première armée du monde. "Trente ans après que Colin Powell a été nommé chef d'état-major des armées, choisir Lloyd Austin comme ministre de la Défense est un acte à fort contenu symbolique pour Joe Biden", estime auprès de France 24 André Rakoto, spécialiste des questions de défense et de sécurité aux États-Unis.
Mais si symbolique soit-elle, l'arrivée de l'ancien général de 67 ans à la tête du Pentagone doit encore être validée par le Sénat. Seule ombre au tableau : Lloyd Austin a mis un terme à sa carrière en 2016, pour se reconvertir dans l'industrie de la défense. Or, une réglementation impose à un ancien militaire d'être à la retraite depuis au moins sept ans pour pouvoir exercer en tant que ministre de la Défense. Les sénateurs seraient alors contraints de lui accorder une dispense pour qu'il puisse être nommé. Une dérogation toutefois possible, rappelle le spécialiste : "Cela s'est déjà produit en 2016 avec le général James Mattis, nommé ministre de la Défense par Donald Trump".
"Austin connaît le Pentagone de fond en comble"
Bien que peu médiatisé, cet ancien général quatre étoiles (le plus haut grade aux États-Unis) a effectué plus de quarante ans de service au sein de la première armée mondiale. Né en 1953 en Alabama, puis élevé en Géorgie, autre État du Sud ségrégationniste à l'époque, le jeune homme sort diplômé de la prestigieuse Académie militaire de West Point, dans l'État de New York, en 1975. Dans la foulée, il est affecté en Allemagne en tant que chef de peloton, avant de regagner quelques années plus tard les États-Unis, là où il supervisera nombre d'opérations militaires.
Son parcours, sa discrétion naturelle, tout comme son sang-froid, impressionnent ses pairs. Interrogé par Politico, un proche de Joe Biden estime que Lloyd Austin a été choisi, non seulement car il compte parmi les plus respectés au sein de l'armée, mais aussi parce qu'il a déjà "expérimenté plusieurs crises". Un atout non négligeable dans un pays toujours asphyxié par une pandémie meurtrière de Covid-19. "Austin connaît le Pentagone de fond en comble et serait une excellente recrue pour gérer la logistique que représente la distribution d'un vaccin", souligne une autre source auprès de CNN.
Durant sa carrière, le militaire a sillonné le terrain, participant aussi bien à l'invasion de l'Irak dès mars 2003 qu'à la guerre d'Afghanistan jusqu'en 2005. Là-bas, il a notamment servi comme commandant général de la 10e division de montagne, supervisant les Américains au sein de la Force Commune 180. Plus tard, il joue encore un rôle décisif, en participant à la phase de sécurisation du pays en vue d'installer un gouvernement afghan.
Collaboration avec Joe Biden pour l'Irak
Sa carrière prend un tournant en 2010, lorsqu'il devient commandant des forces américaines en Irak. Sa mission consiste alors à superviser la transition entre la phase de combats et celle de stabilisation de la région, avant d'engager le retrait de plus de 50 000 soldats américains décidé par Barack Obama. "Cette époque marque les débuts d'une collaboration avec Joe Bidenm qui à l'époque était chargé de ce dossier en tant que vice-président", note André Rakoto.
Mais la consécration pour le général viendra trois ans plus tard. En 2013, Barack Obama nomme Lloyd Austin à la tête du commandement central de l'armée américaine, le prestigieux Centcom, où il tentera de contenir la percée du groupe État islamique au Moyen-Orient. Un poste central, encore une fois, jamais occupé par un Afro-Qméricain avant lui. "Sur un total de 1,3 million de soldats en activité, 43 % sont issus des minorités (Noirs, Indiens, Asiatiques et Hispaniques). Le problème majeur demeurem sans surprise, leur accès aux postes d'officiers généraux les plus élevés", souligne l'expert.
"Pas de franches victoires"
Si solide soit-elle, la carrière du général Austin compte évidemment quelques échecs. Sa gestion de la crise en Irak et en Afghanistan a fait l'objet de critiques, notamment dans le camp républicain. "On ne peut évidemment pas qualifier ces opérations de franches victoires, toutefois s'il n'a pas fait mieux, il n'a pas non plus fait moins bien que ces prédécesseurs", assure André Rakoto.
Autre casserole, le Centcom avait été accusé en 2016 d'avoir enjolivé le bilan des frappes conduites au Levant contre le groupe État islamique, ce qui avait conduit, après un article du New York Times, l'inspection générale du Pentagone à ouvrir une enquête. De même, Lloyd Austin avait dû justifier auprès du Congrès l'échec de la formation des rebelles syriens considérés comme modérés, dans le cadre d'un programme ayant coûté 500 millions de dollars. Autant de faits qui pourraient lui être à nouveau rappelés dans l'attente de sa confirmation par le Sénat.
L'espoir de voir son arrivée au Pentagone reste toutefois permis, estime André Rakoto. "Il ne faut pas sous-estimer la mobilisation des associations pour la défense et la promotion des gens de couleurs comme le NAACP ou le mouvement Black Lives Matter. Sur le papier, Lloyd Austin possède tous les atouts, à la fois sur le plan professionnel comme sur le plan humain. Et il n'a pas vraiment d'équivalent."