Alors que la campagne de vaccination contre le Covid-19 pourrait commencer en France dès la fin de l'année, une partie de la population se montre toujours réticente. Une prudence qui n'est pas irrationnelle, selon l’épidémiologiste Antoine Flahault.
La stratégie de vaccination s’organise mais la réticence d’une partie de la population française demeure. La société Moderna dépose des autorisations de mise sur le marché en Europe et aux États-Unis, tandis que la Haute Autorité de santé publie ses recommandations en matière de vaccination. Mais 59 % de Français disent ne pas avoir l'intention de se "faire vacciner lorsque cela deviendra possible", selon un sondage Ifop pour Le JDD.
“Il n’est pas irrationnel d’avoir une certaine prudence”, répond l’épidémiologiste Antoine Flahault, interviewé par France 24. Celui qui est aussi directeur de l'Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève explique qu’une campagne de vaccination “efficace”, avant tout, “éliminerait la mortalité et l’hospitalisation en soins intensifs”.
Quels sont les enjeux de la campagne de vaccination à venir en France ?
Antoine Flahault : L’enjeu pour la France, pour toute l’Europe et pour le monde, c’est de vacciner en priorité les personnes à très haut risque de mortalité et de complications sévères de cette maladie, soit un segment de l’ordre de 20 % de la population mondiale. Comme on ne bénéficie pas d’un vaccin largement abondant a priori, il va falloir avoir une stratégie qui ne sera pas dite “de blocage” - c’est-à-dire une immunité de groupe pour bloquer l’épidémie – mais davantage une politique de protection des personnes à risques de complications et de mortalité sur une période qui va peut-être durer quelques mois.
Comment expliquer qu’une part importante de la population française ne souhaite pas être vaccinée pour le moment ?
La France ne fait pas exception. Tous les pays connaissent des réticences vaccinales, c’est une préoccupation pour la plupart des autorités de santé publique. Concernant ces réticences, elles peuvent s’entendre pour plusieurs raisons. Les deux premiers vaccins qui vont probablement être sur le marché (Moderna et Pfizer-BioNTech, NDLR) sont des ARN messager, des vaccins totalement nouveaux dans la pharmacopée.
On est donc dans l’innovation maximale, et il n’est pas irrationnel d’avoir une certaine prudence face à cela et de vouloir attendre que le vaccin ait fait ses preuves, pas tant en terme d’efficacité – les essais ont été là pour cela – mais plutôt en terme de risques. Les vaccins pourraient se révéler, à l’usage, différents sur des millions de personnes que ce qui nous a été présenté avec les essais sur des dizaines de milliers de personnes.
L’âge est aussi à prendre en compte : les personnes qui ne sont pas à risque de complications sévères ou de mortalité par la Covid-19 vont certainement avoir une exigence sur le rapport bénéfices-risques de ces vaccins plus importante que celle des plus de 70 ans, qui vont trouver un soulagement, un grand changement dans leur vie après la vaccination.
Quel pourcentage de vaccination de la population va-t-il falloir atteindre pour que cette campagne soit efficace malgré les réticences ?
Cela repose moins dans le pourcentage de personnes vaccinées que dans l'objectif qui est visé. Une campagne efficace éliminerait la mortalité et l’hospitalisation en soins intensifs des personnes âgées, ciblées en priorité pour la vaccination. Après, dans le monde, on n’a pas choisi une politique “de blocage” de l’épidémie qui aurait consisté à vacciner plutôt les segments jeunes de la population à plus de 60 %. Il n’est recommandé, pour le moment, de ne vacciner que les segments vulnérables de la population vis-à-vis de cette maladie et éventuellement les professionnels de santé particulièrement exposés.
Il est aussi possible – et des études de séroprévalence pourraient le démontrer – qu’une partie de la population, notamment les jeunes, soit naturellement immunisée aujourd’hui contre le SARS-CoV-2 et qu’elle coopère avec la partie qui aurait une immunité vaccinale pour limiter la diffusion et la propagation ultérieures du Covid-19. L’accumulation de ces deux immunités pourrait concourir à freiner le virus.
À quand un retour à la normale ou, en tout cas, à une vie similaire à l’année 2019 ?
Cela peut être rapide (à l’automne 2021 en cas de vaccination large, selon l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, NDLR). Si on est capable de vacciner vite les personnes âgées et les personnes à risques, avec des comorbidités, alors on peut changer radicalement le pronostic du Covid-19 et en faire une maladie respiratoire très bénigne. Si la campagne de vaccination permet cela, alors on sera très vite débarrassé du problème.