L'invective de Recep Tayyip Erdogan n'est pas passée dans le contexte dramatique de l'assassinat de Samuel Paty. Emmanuel Macron a répliqué vertement, samedi, aux nouvelles attaques de son homologue turc et a rappelé à Paris l'ambassadeur de France, un acte diplomatique rare. De son côté, l'Union européenne a dénoncé des propos "inacceptables" à l'égard du président français.
Nouveau regain de tension entre le président français et son homologue turc : Emmanuel Macron a décidé, samedi 24 octobre, de rappeler l'ambassadeur de France en Turquie. Cet acte diplomatique rare a lieu après que Recep Tayyip Erdogan a remis en question "la santé mentale" du président français en raison de son attitude envers les musulmans, sur fond de contexte dramatique avec l'assassinat de Samuel Paty.
L'Élysée a dénoncé auprès de l'AFP les propos jugés "inacceptables" du président turc, mais aussi noté "l'absence de messages de condoléances et de soutien du Président turc après l'assassinat de Samuel Paty", une semaine après la décapitation de l'enseignant par un islamiste à Conflans-Sainte-Honorine, près de Paris, dans les Yvelines.
Le courroux français se traduit par le rappel immédiat de l'ambassadeur de France à Ankara, semble-t-il pour la première fois de l'histoire des relations diplomatiques franco-turques. L'acte, dit l'entourage d'Emmanuel Macron, se veut "un signal très fort".
Le précédent rappel à Paris d'un ambassadeur de France "en consultation", selon l'expression consacrée, remonte à février 2019, pour protester contre une rencontre entre Luigi di Maio, alors vice-premier ministre italien, et des Gilets jaunes.
En novembre 2019, le président turc avait déjà mis en cause la santé mentale d'Emmanuel Macron, répliquant aux propos du président français sur la "mort cérébrale" de l'Otan en l'invitant à "examiner sa propre mort cérébrale". "Des insultes et des provocations d'Erdogan, on en a eu quasiment toutes les semaines cet été", admettait-on samedi dans l'entourage du président français. Ce qui changerait cette fois, c'est "le contexte".
Sur le plan international, souligne-t-on, "les lignes ont bougé. Nous avons éveillé les partenaires européens au risque posé par Erdogan" en Méditerranée orientale, dans le conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, en Libye ou encore en Syrie.
En France surtout, l'attentat de Conflans Sainte-Honorine a conduit l'exécutif à accentuer l'initiative déjà engagée contre l'islam politique, suscitant la colère du dirigeant turc islamo-conservateur.
"Volonté d'attiser la haine"
Il y a deux semaines, Recep Tayyip Erdogan avait dénoncé comme une provocation les déclarations de son homologue français sur le "séparatisme islamiste" et la nécessité de "structurer l'islam" en France, alors que l'exécutif présentait son futur projet de loi sur ce thème.
Il a enfoncé le clou samedi dans un discours télévisé : "Tout ce qu'on peut dire d'un chef d'État qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c'est : allez d'abord faire des examens de santé mentale".
Pour l'Élysée, "l'outrance et la grossièreté" d'Ankara passent moins que jamais, au surlendemain de la cérémonie d'hommage à Samuel Paty à la Sorbonne.
Dans son allocution jeudi soir, Emmanuel Macron avait notamment promis que la France continuerait de défendre les caricatures. Depuis, selon l'entourage du président, "les Turcs diffusent une sorte de propagande absurde, par exemple que le président a décidé de projeter les caricatures de Mahomet sur les bâtiments publics".
Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a pour sa part dénoncé de la part de la Turquie "une volonté d'attiser la haine" contre la France et son président Emmanuel Macron, soulignant que l'ambassadeur sera de retour à Paris "pour consultation", dès ce dimanche.
Le ministre des Affaires étrangères, depuis l'avion qui l'emmenait vers le Mali, a fustigé "un comportement inadmissible, à fortiori de la part d'un pays allié".
"À l'absence de toute marque officielle de condamnation ou de solidarité des autorités turques après l'attentat terroriste de Conflans-Sainte-Honorine, s'ajoutent désormais depuis quelques jours une propagande haineuse et calomnieuse contre la France", a déclaré Jean-Yves Le Drian, dans un communiqué.
De son côté, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a dénoncé dimanche les propos "inacceptables" du président turc à l'égard de son homologue français, et appelé Ankara à "cesser cette spirale dangereuse de confrontation".
Tensions France-Turquie dans plusieurs dossiers
Les appels au boycott des produits français se multiplient, d'autre part, depuis vendredi dans plusieurs pays arabes en réaction au discours présidentiel à la Sorbonne. Aux yeux de Paris, "il y a une campagne islamiste contre la France. Elle est organisée, elle n'est pas le fait du hasard, et les émetteurs sont très largement turcs".
Sur le fond, des tensions en Méditerranée, au conflit en Libye, en passant par les affrontements au Haut-Karabakh, de nombreux dossiers opposent actuellement Paris et Ankara.
L'Élysée a de nouveau réclamé samedi "que la Turquie mette fin à ses aventures dangereuses en Méditerranée et dans la région", et dénoncé le "comportement irresponsable" d'Ankara au Haut-Karabakh.
"Des exigences sont posées. Erdogan a deux mois pour répondre. Des mesures devront être prises à la fin de cette année", a ainsi déclaré l'Élysée à propos de la Méditerranée orientale.
Avec AFP