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Le pape défend l’union civile pour les homosexuels : "Un message fort qui ne change pas la donne"

En prenant position en faveur de l'union civile pour les homosexuels, le pape François se différencie de ses prédécesseurs. Mais si ses propos dérangent l'aile conservatrice de l'Église catholique, ils sont loin de remettre en cause la doctrine, selon le militant LGBT catholique Anthony Favier.

Dans le documentaire "Francesco", diffusé mercredi 21 octobre au Festival international du cinéma de Rome, le pape François prend position en faveur de l'union civile pour les homosexuels. Une position pour le moins clivante au sein de l'Église catholique.

"Les personnes homosexuelles ont le droit d'être en famille. Ce qu'il faut, c'est une loi d'union civile, elles ont le droit d'être couvertes légalement", a déclaré le pontife dans le film d'Evgeny Afineevsky. Si le pape a déjà, à plusieurs reprises, tenu des propos d'ouverture vis-à-vis de la communauté homosexuelle, c'est la première fois qu'il prend position de manière aussi affirmative pour défendre leur union. 

Un message d'ouverture fort donc, dont la portée reste à mesurer. France 24 s'est entretenu avec Anthony Favier, membre du comité de rédaction de Témoignage Chrétien, journal engagé pour la cause homosexuelle dans l'Église.

France 24 : Les propos du pape François sur l'union civile traduisent-ils un changement de doctrine ?

Anthony Favier : Pour que le pape engage son autorité, il doit le faire par écrit dans un cadre précis, c'est ce qu'on appelle le Magistère. Ce n'est bien sûr pas le cas ici : il ne s'agit que d'un commentaire, donc on ne peut pas parler d'un changement de doctrine. Par ailleurs, si la question de l'union des homosexuels divise l'Église catholique, le cœur du problème n'est pas la reconnaissance de ce droit, mais la nature de l'affection et de la sexualité. Pour l'Église catholique, l'homosexualité est "intrinsèquement désordonnée", ce qui signifie que la sexualité entre deux hommes ou deux femmes n'est pas acceptable. Si un couple homosexuel n'a pas de vie affective ni sexuelle, il est dans une amitié chaste qui est tolérée. En s'exprimant en faveur de l'union civile, le pape prend une position certes clivante, mais ne remet absolument pas en cause la doctrine catholique.

Ce n'est pas la première fois qu'il tient des propos d'ouverture vis-à-vis des homosexuels, quitte à se démarquer de ses prédécesseurs. Dans quel but ?

Jean Paul II et Benoît XVI considéraient que la dignité de l'Homme passe par le refus des actes homosexuels. Le pape François, lui, a déplacé le curseur, sans pour autant remettre en cause les principes de l'Église catholique. Il insiste sur le côté universel de l'amour de Dieu, soutient que la morale sexuelle ne peut être l'axe principal de la doctrine catholique et doit être replacée dans une hiérarchie de sujets, qui comprend des questions comme le traitement des migrants, la pauvreté ou bien encore le capitalisme. Avec cette stratégie, il essaie de créer du jeu sur les questions de mœurs au sein de l'Église. Évidemment, la doctrine ne changera pas dans l'immédiat, mais elle pourrait évoluer sur le long terme.  

Cette ouverture que prône le pape François reflète-t-elle une évolution de l'opinion au sein de l'Église ?

Comme les changements au sein de l'Église sont très lents, la stratégie actuelle est de mettre en sourdine les thèmes qui apparaissent trop en rupture avec la modernité, en en modifiant la rhétorique. Il est clair que le regard d'une partie des fidèles sur l'homosexualité évolue ; chez les hétérosexuels qui deviennent plus tolérants mais aussi les homosexuels qui s'affirment plus. En 2015, des groupes LGBT catholiques ont créé une organisation internationale (Global Network of Rainbow Catholics), qui, même si elle n'est pas reconnue par le Vatican, représente une avancée majeure dans l'affirmation de la communauté.

L'Église catholique est consciente de ces évolutions et doit les prendre en compte. D'un côté, elle perd des fidèles à cause de positions qu'ils jugent archaïques, de l'autre elle est confrontée au risque de schisme ; avec des croyants plus traditionnels tentés de quitter l'Église pour créer leur propre structure. En plus de cela, la dynamique est différente en fonction des continents, avec une évolution sur les questions de mœurs dans certains pays d'Europe mais une pratique qui reste très traditionnelle en Afrique et en Asie par exemple. 

Le pape François dirige l'Église depuis sept ans et demi, au-delà de prôner la tolérance y a-t-il eu des avancées concrètes pour les homosexuels en France ? 

Il n'y a pas eu d'évolutions concrètes dans le catéchisme ou la doctrine, mais on observe un changement de mentalité en France où de plus en plus de diocèses ont des propositions à l'égard des personnes homosexuelles et de leur entourage. Pour autant, de nombreux problèmes demeurent ; les personnes LGBT ne sont pas pleinement incluses au sein de l'Église et les violences homophobes y sont peu dénoncées.

Si la situation reste largement verrouillée, il faut tout de même reconnaitre un certain courage au pape actuel. En se refusant à "juger" les homosexuels en quête de foi et en recevant des personnes ouvertement homosexuelles au Vatican, il a envoyé des messages forts. Énormément de catholiques homosexuels ont une culpabilité disproportionnée sur la question des mœurs et les propos du pape, même s'ils ne changent pas la donne, représentent un réconfort énorme pour les personnes en souffrance.