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Incendies, heurts, coups de feu sporadiques : Lagos restait en proie aux tensions, mercredi, après la répression sanglante de manifestations la veille. Une situation qui suscite la réprobation internationale.

La situation restait extrêmement tendue, mercredi 21 octobre à Lagos, au lendemain de la répression de manifestations pacifiques qui a fait 12 morts selon Amnesty International.

La tentaculaire Lagos s'était vidée de ses 20 millions d'habitants, priés de rester chez eux alors qu'un couvre-feu total a été imposé. Mais dans certains quartiers, de nouvelles violences ont éclaté entre forces de l'ordre et jeunes qui refusaient de respecter ce couvre-feu. Plusieurs coups de feu ont été tirés à différents endroits de la ville, selon des témoins à l'AFP.

Un jeune homme de 24 ans est décédé dans une ambulance qui le transportait à l'hôpital, bloquée par les forces de l'ordre à cause d'affrontements, ont affirmé sur Twitter deux figures de la contestation qui coordonnent l'envoi de secours aux manifestants, Moe Odele et Feyikemi Abudu.

Le siège d'une station de télévision, connue pour ses liens avec un éminent politicien du parti au pouvoir, a aussi été incendié, ainsi qu'une importante station de bus et de nombreux autres bâtiments privés et publics.

"Tuer sans se soucier des conséquences"

Mardi, dix personnes sont mortes au péage de Lekki, dans le sud de Lagos, où l'armée a ouvert le feu sur des milliers de manifestants aux alentours de 19 h, selon l'ONG de défense des droits humains. À Alausa, un quartier du centre de Lagos où un autre rassemblement pacifique avait été organisé, au moins deux manifestants ont été tués, et un autre gravement blessé, par des tirs des forces de l'ordre, ajoute l'organisation.

"Les soldats avait clairement une intention, tuer sans se soucier des conséquences", accuse Osai Ojigho, directeur de Amnesty International au Nigeria. "Ceux tués ou blessés lors de ces deux rassemblements ont été emmenés par les militaires", affirme l'ONG.

Le péage de Lekki était l'épicentre de la contestation populaire qui secoue depuis près de deux semaines le Nigeria, première puissance économique de l'Afrique, et pays le plus peuplé du continent. Des milliers de jeunes manifestent contre les violences policières et le pouvoir en place accusé de mauvaise gouvernance. À ce jour, au moins 30 personnes, dont deux policiers, sont décédées dans ces manifestations.

Condamnations internationales

Le président de la commission de l'Union africaine (UA) Moussa Faki Mahamat a "fermement" condamné les "violences" survenues mardi, appelant à la désescalade, dans un communiqué publié dans la nuit de mercredi à jeudi. Il se félicite également du démantèlement par le gouvernement de la Brigade spéciale de répression des vols (SARS), une unité controversée de la police à l'origine du mouvement de protestation entamé début octobre.

L'Union européenne (UE) et l'ONU ont églement condamné les violences, l'UE jugeant "crucial que les responsables de ces abus soient traduits en justice", l'ONU appelant à "la fin des brutalités et des abus policiers au Nigeria".

"Il semble assez clair que les forces nigérianes ont eu un recours excessif à la force, tirant et tuant à balles réelles", a déclaré la Haute-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet. "Si les informations faisant état de la mise hors service de l'éclairage et des caméras de surveillance avant la fusillade devaient être confirmées, cela pourrait suggérer que cette attaque lancée contre des manifestants pacifiques était préméditée, planifiée et coordonnée", a-t-elle ajouté.

La Communauté économique des États ouest-africains (Cédéao) a appelé de son côté le gouvernement du Nigeria "à entamer sans tarder un dialogue afin de trouver rapidement une issue pacifique".

Le chef de l'État ghanéen Nana Akufo-Addo, président en exercice de la Cédéao, a annoncé dans un communiqué s'être entretenu avec son homologue nigérian, qui selon lui "a lancé le processus qui mènera aux réformes".

"Fake news"

Après avoir assuré que l'attaque de Lekki n'avait fait aucun mort, le gouverneur de l'État de Lagos a évoqué le décès à l'hôpital d'une personne "en raison d'un trauma à la tête", tout en disant ne pas savoir s'il s'agissait d'un manifestant. Selon lui, il y a eu en outre 25 contestataires blessés. L'armée nigériane a elle nié être à l'origine de cette fusillade, dénonçant des "fake news".

Dans un communiqué mercredi matin, le président Muhammadu Buhari s'est borné à rappeler son engagement "à reformer la police", appelant de nouveau "au calme", sans un mot sur l'attaque de Lekki. De nombreuses voix s'élèvent au Nigeria pour réclamer sa démission.

Sur les réseaux sociaux, la mobilisation est "d'une ampleur considérable pour dénoncer la violence de la répression policière avec plus de 4 millions de tweets ces dernières 24 heures pour condamner le #LekkiMassacre", selon l'organisme panafricain d'analyse des réseaux sociaux Afriques Connectées.

Plusieurs rassemblements ont été organisés pour rendre hommage aux victimes : à Pretoria en Afrique du Sud, à Accra au Ghana ou encore à Londres, où vit une important communauté nigériane. De nombreuses personnalités internationales ont également apporté leur soutien à la jeunesse nigériane, comme le candidat à la présidentielle américaine Joe Biden, ou les superstars Rihanna et Beyoncé.

Avec AFP