
Alors qu'Emmanuel Macron a annoncé un couvre-feu de 21 h à 6 h, à partir du 17 octobre, en Île-de-France et dans huit métropoles pour freiner la propagation du Covid-19, les restaurateurs ont le sentiment de devoir encore payer l'addition. Selon eux, imposer la fermeture des restaurants en début de soirée revient à fermer de nouveau leur établissement.
Fin de service à 21 heures. Au lendemain des annonces du président Emmanuel Macron, les restaurateurs franciliens et de huit autres métropoles font grise mine, jeudi 15 octobre. À partir de samedi, ces derniers devront baisser le rideau plus tôt pour respecter le couvre-feu décrété afin d’empêcher tout rassemblement nocturne de 21 h à 6 h. Et ce pour au moins quatre semaines.
"À Paris, on ne mange pas à l’heure des poules !", dénonce Franck Delvau, président de l’Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH Île-de-France), contacté par France 24.
Pour les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration, qui ont déjà payé un lourd tribut depuis le début de la crise sanitaire, c’est le coup de grâce. Fermés sept semaines durant le confinement, leurs établissements ont ensuite dû s’adapter aux différentes mesures mises en place pour freiner la propagation du Covid-19, au détriment de leur chiffre d’affaires. Alors que les discothèques n’ont pas pu rouvrir et que les bars ont dû de nouveau fermer dès le 6 octobre, les restaurateurs voient en ce couvre-feu une manière déguisée de leur imposer une "refermeture".
"Au moins les jeunes, quand ils sont chez nous, il y a un protocole"
"Pour nous, c’est punitif puisque c’est une mesure déguisée de fermeture et on en a marre d’être la variable d’ajustement du gouvernement", s'insurge Franck Delvau, alors que le respect du protocole sanitaire a été salué par le chef de l’État. "À la fois il nous dit ‘les restaurateurs, vous avez fait beaucoup d’efforts, vous respectez le protocole sanitaire qui est très strict chez vous’, et à côté de ça, on nous tape sur les doigts en instaurant un couvre-feu".
Dans son allocution, jeudi 15 octobre, le Premier ministre, Jean Castex, a détaillé les modalités d’application du couvre-feu, justifiant la fermeture des restaurants, bars, cinémas et théâtre par la nécessité de "limiter les comportements à risques".
Pour soulager nos soignants et réduire le nombre de malades de la #COVID19, la seule vraie stratégie possible, c’est le freinage de l’épidémie par le respect strict des gestes barrières et la réduction des contacts et interactions sociales.
— Jean Castex (@JeanCASTEX) October 15, 2020"Le président de la République a dit que les clusters se formaient essentiellement dans la sphère privée", réagit Franck Delvau, qui estime que des mesures alternatives auraient pu être prises. "Il n’y a qu’à fermer les établissements qui ne respectent pas le protocole sanitaire", dit-il, avant d’évoquer les soirées privées clandestines.
En effet, alors que les bars sont fermés depuis plus d'une semaine, un autre phénomène a émergé : celui des soirées organisées clandestinement dans des appartements, suscitant l’inquiétude de la préfecture de police de Paris.
"Certes, ce n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020", concède Frank Delvau, reprenant l’expression utilisée par Emmanuel Macron, la veille. "Mais les soirées vont continuer : ils vont arriver à 21 h et vont repartir à 6 h, et le Covid va continuer de se développer dans ces soirées-là", poursuit-il. Il ajoute qu’il aurait mieux valu accentuer les contrôles de ces soirées clandestines, souvent organisées via les réseaux sociaux, qui constituent de véritables foyers épidémiques. "Au moins les jeunes, quand ils sont chez nous, il y a un protocole" : distanciation physique, un maximum de six personnes à table, port du masque, mise à disposition de gel hydroalcoolique et cahier de rappel, déjà obligatoire depuis fin septembre.
"Ça n’existe pas d’arriver à 19 h dans un restaurant"
À compter de samedi, à 00h01, les restaurateurs devront donc se plier au nouvel arrêté, dont les modalités d’application suscitent aujourd’hui de nombreuses interrogations.
"Pour l’instant, c’est encore flou", déplore le président de l’UMIH Île-de-France. "Est-ce que les clients peuvent partir à 21 h du restaurant ? Est-ce qu’il faut qu’à 21 h ils soient rentrés chez eux ? [oui, selon les déclarations du Premier ministre, Jean Castex, NDLR] Qu’en est-il des livraisons ? Est-ce qu’un livreur peut partir à 21 h du restaurant avec un plat à livrer ?", questionne Franck Delvau, qui précise que les professionnels du secteur devraient avoir une réunion au siège de la préfecture de police de Paris pour obtenir des précisions quant aux modalités d’applications de l’arrêté.
Quoi qu’il en soit, cette mesure n’est pas viable pour les établissements dont les soirs et les week-ends constituent "les deux services les plus importants de la semaine", insiste-t-il. "Ça n’existe pas d’arriver à 19 h dans un restaurant. À cette heure-ci, à Paris, les restaurants sont vides !" Un constat qui concerne les établissements bistronomiques, mais aussi les restaurants étoilés qui, selon Franck Delvau, n’ouvriront peut-être tout simplement pas.
"Beaucoup de choses n'ont pas été faites"
"J’ai noté l’engagement du président de la République pour un objectif de zéro dépôt de bilan dans notre profession, relève Franck Delvau, mais il va falloir mettre en place des mesures fortes, et beaucoup plus que le chômage partiel". Si le président de l’UMIH reconnaît que le dispositif est très important pour les équipes, celui-ci précise tout de même que le chômage partiel ne résout pas tout. "Beaucoup de choses n’ont pas été faites", poursuit-il évoquant les aides déjà promises par le passé.
"On demande l’exonération des charges patronales sur toute la durée du couvre-feu, mais aussi un moratoire sur les loyers", martèle France Delvau, regrettant que la situation ne soit toujours pas réglée sur ce point. "Comment payer nos loyers si on ne travaille pas le soir ? Ce n’est pas possible."
Par ailleurs, les professionnels du secteur demandent un fonds sur les pertes d’exploitation. "Bruno Le Maire (le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, NDLR) s’y était engagé et n’est jamais revenu dessus. Le gouvernement doit travailler avec les assureurs" sur ce sujet, poursuit le président de l’UMIH, alors que les procès se multiplient devant les tribunaux de commerce pour refus d'indemniser les pertes d'exploitation des restaurateurs.
"Sinon, il ne tiendra pas son engagement de ‘zéro dépôt de bilan', et ce sera 30 % de dépôts de bilan, a minima, dans notre profession".