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Traditionnellement plus enclins à voter républicain, de plus en plus de seniors semblent délaisser Donald Trump, accusé de n’avoir pas su gérer la crise sanitaire. France 24 s’est rendu en Floride, dans la plus grande communauté de retraités des États-Unis, "The Villages". Reportage.

Sous le soleil plombant du centre de la Floride, un après-midi d’octobre, Richard Roman se repose sur le banc d’une petite rue commerçante. À 66 ans, ce New-Yorkais recherche un coin paisible pour la retraite. Il a donc passé la matinée à prospecter dans la plus grande communauté de retraités des États-Unis, "The Villages", à une heure d’Orlando. "Je cherche une maison et je cherche une femme", résume, sourire en coin, ce programmateur informatique. 

Ici, les maisons à vendre oscillent entre 200 000 et 2 millions de dollars, note Richard Roman, qui apprécie les activités proposées par "The Villages" : golf, tennis, fêtes de quartier… Surtout, il est attiré par la couleur politique de cette communauté de 77 000 habitants à majorité républicaine. "Je vais me sentir bien ici !" Le 3 novembre, il votera pour Donald Trump pour la seconde fois. "Les démocrates tentent de transformer les États-Unis en pays communiste comme la Chine ou la Russie. Moi, je veux être libre", explique-t-il. Il accuse la gauche de vouloir la gratuité partout : "Logements gratuits, médicaments gratuits, éducation gratuite… mais qui paye pour tout ça ?" Quant au candidat démocrate à la présidentielle, mieux vaut ne pas le lancer sur le sujet : "Joe Biden, il dort tout le temps."

À quelques mètres de là, la terrasse couverte du bar "City Fire" se remplit peu à peu. Ici, l’apéro n’a pas d’heure. Mike, un républicain pur et dur installé à "The Villages" depuis cinq ans, est attablé avec des amis. "Moi, Joe Biden, regardez ce que je lui fais", lance-t-il en faisant un doigt d’honneur. "C’est un débile, ses supporters aussi", ajoute-t-il avant de recommander une vodka-tonic. "The Villages" est connu pour son solide soutien à Donald Trump. Le vice-président, Mike Pence, y a donné un meeting le week-end dernier. Ici, les retraités se déplacent en voiturettes de golf avec des pancartes aux couleurs de leur candidat favori. Et à moins de trois semaines de la présidentielle, l’ambiance devient tendue.

Mobilisation démocrate

"On reçoit des attaques par e-mail et sur Facebook, raconte Chris Stanley, la patronne du club démocrate local. Si on nous croise avec un tee-shirt pro-Biden, on nous barre la route ou on se fait insulter." Peu importe, les démocrates sont plus mobilisés que jamais cette année. Ils ont même organisé une parade pro-Biden en voiturettes de golf. Une centaine d’entre eux travaillent sans relâche pour faire en sorte que la participation de leur camp soit maximale. "Les gens sont de plus en plus motivés à cause de l’horreur qu’ils voient à la Maison Blanche, estime Mary Vaughan, une bénévole de 65 ans qui trie des prospectus. Ils veulent que leur voix compte et sont de mieux en mieux informés sur le vote par correspondance."

La pandémie de coronavirus pousse en effet de nombreux seniors à choisir ce mode de scrutin vertement critiqué par Donald Trump. Or en Floride, un "swing state" où Donald Trump a remporté 1,2 point de plus qu’Hillary Clinton en 2016, près d’un tiers des électeurs ont plus de 65 ans. Alors que les retraités ont traditionnellement tendance à pencher vers le camp républicain, de récents sondages montrent que la vapeur pourrait s’inverser cette fois.

Marie Vaughan estime qu’un tel scénario est impossible localement. "Ici, il y a deux républicains pour un démocrate. Donc la probabilité que Joe Biden remporte ‘The Villages’ est très faible. Mais chaque voix compte pour la Floride et donc pour le collège électoral et l’élection du président", raisonne-t-elle. L’espoir est donc que ces quelques voix grappillées participent à une victoire finale de Joe Biden.

Donald Trump plombé par la pandémie

La menace de Donald Trump de mettre fin aux cotisations sociales pour financer la retraite et l’assurance maladie des personnes âgées fait partie des plus gros sujets de préoccupation ici, selon la cheffe des démocrates Chris Stanley. "La rhétorique haineuse, les tweets incessants et les mensonges" du président sont aussi pointés du doigt. Beaucoup estiment aussi que Donald Trump a été incapable de gérer la pandémie de Covid-19, un virus particulièrement dangereux pour les personnes âgées.

John Jerow, un électeur indépendant de 67 ans qui a voté Donald Trump en 2016, estime que le sujet du coronavirus pourrait in fine faire basculer son vote vers le candidat démocrate. "Si l’élection avait lieu aujourd’hui, je voterais pour Joe Biden", déclare ce retraité qui n’a pas encore tout à fait arrêté sa décision. Arrivé il y a deux ans à "The Villages", cet ex-employé du Pentagone ne rechigne pas à porter le masque, contrairement à ses voisins. "J’ai été au meeting de Mike Pence le week-end dernier. Personne ne portait le masque ou ne pratiquait la distanciation sociale. Cela me gêne beaucoup."

Malgré ces signaux positifs pour les démocrates, la prudence reste de mise. "On s’est brûlé les ailes en 2016, c’était terrible", se souvient la bénévole Mary Vaughan. À l’époque, les sondages prévoyaient en effet la victoire d’Hillary Clinton. "Certes, on lit partout que Joe Biden est en train de gagner. Mais ce sont les sondages qui le disent, pas les votes effectivement comptés." En attendant les résultats, Mary Vaughan et les autres vont continuer à travailler dur pour que "The Villages" participe, même grâce à quelques voix seulement, à la vague bleue tant espérée.