Surfant sur la crise sanitaire qui secoue l'Europe depuis le mois de mars, le réseau complotiste QAnon né aux États-Unis en octobre 2017 gagne des adeptes sur le continent grâce aux réseaux sociaux. Du Royaume-Uni à l’Allemagne en passant par la France ou l’Italie, ce "méta-complot" parvient à se greffer aux contextes locaux.
Très implanté aux États-Unis, QAnon se déploie désormais en France et en Europe. Une myriade de forums de discussions, de sites web, de chaînes YouTube est consacrée à Q, ce mystérieux utilisateur du forum 4chan qui assure être une taupe infiltrée à la Maison Blanche. D’après les adeptes de cette mouvance, le président américain Donald Trump est en mission secrète pour débarrasser les États-Unis d’une cabale d’élites qui contrôleraient un "État profond" cachant un réseau tentaculaire de "pédocriminels".
Selon un rapport publié par le site NewsGuard qui lutte contre la désinformation, des internautes européens se sont interrogés très tôt sur la manière dont les théories QAnon pouvaient s’appliquer à leurs pays "en soulignant que l’État profond n’avait pas de frontières". Ces complotistes de tous bords ont alors pris pour cible des personnalités politiques locales en utilisant les thèmes favoris de QAnon comme la pédocriminalité, l'existence d'un gouvernement parallèle ou encore la désinformation organisée par les médias de masse.
Une dimension participative
Ces théories du complot se sont répandues d'autant plus rapidement qu'elles ont été portées par des groupes et des sites populaires de désinformation. En France, une convergence a pu être observée avec des sites liés à l'extrême droite mais aussi au mouvement des Gilets jaunes. Ainsi, dès mars 2019, un groupe "Gilets Jaunes versus Pédocriminalité", s'appuyant sur des récits liés à QAnon, est apparu sur Facebook.
Sur YouTube, les vidéos en français faisant la promotion du mouvement dépassent couramment les 150 000 vues et le principal groupe Facebook QAnon francophone, 17FR, a dépassé les 30 000 membres. Il a été fermé par Facebook le mardi 6 octobre après l’interdiction par le réseau social de tous les groupes se référant à la mouvance.
Selon Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po et spécialiste des réseaux sociaux, le succès de QAnon s'explique notamment par sa dimension participative. En effet, les adeptes du mouvement sont chargés d'interpréter les messages de Q, le prophète numérique à l'origine du mouvement.
"Par rapport à une théorie complotiste classique, il y a avec QAnon des éléments qui sont à interpréter. Ce n'est pas un prêt-à-penser mais une proposition de collaborer ensemble pour comprendre ce monde", analyse le chercheur, qui y voit également une dimension religieuse. "On pourrait comparer cela à des évangiles à interpréter."
Des théories du complot dopées par le coronavirus
Selon le site NewsGuard, la crise du Covid-19 a largement favorisé la propagation de QAnon en Europe. Pendant le confinement, la fréquentation des sites du même genre a augmenté de manière exponentielle.
À Londres, cet été, plusieurs manifestations antimasques et anticonfinement ont réuni des milliers de personnes. Dans les cortèges, certaines pancartes faisaient directement référence à QAnon. En Italie, plusieurs responsables politiques du Mouvement 5 Étoiles ont publiquement fait référence à QAnon et ont utilisé ses messages dans leur discours.
Cependant, c’est en Allemagne, selon NewsGuard, que les théoriciens de Q semblent trouver le plus d'écho dans la sphère publique. Exemple avec Michael Ballweg, fondateur de l’initiative Querdenken 711, un mouvement actif à Stuttgart proche de l'extrême droite se revendiquant de QAnon et qui multiplie les actions antimasques. Outre-Rhin, les théories QAnon ont résonné plus particulièrement auprès des adeptes du mouvement Reichsbürgerbewegung, qui affirme que l’Allemagne n’est pas pleinement souveraine et est restée secrètement occupée par les États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La gestion chaotique de la crise sanitaire a sans doute contribué à aggraver la défiance des populations vis-à-vis des élites et des institutions, estime Fabrice Epelboin, qui cite en exemple le fiasco de la gestion des stocks de masques en France. "Le mensonge d'État est alors devenu évident", assure l'universitaire, qui souligne que "nous sommes tous vulnérables un jour ou l'autre à une théorie du complot".
Selon une récente étude publiée dans la revue britannique Royal Society Open Science, jusqu'à un tiers de la population de certains pays est susceptible de croire à des fausses informations sur le Covid-19, des théories conspirationnistes qui ont notamment pour effet d'augmenter la méfiance envers un futur vaccin.