Derrière la course à la Maison Blanche, la bataille pour le contrôle du Sénat est l’autre enjeu majeur des élections américaines du 3 novembre. Inconcevable il y a encore quelques mois, la majorité républicaine y est désormais sérieusement menacée.
À mesure que les États-Unis s’enfonçaient dans la crise sanitaire et économique, l’inconcevable est petit à petit devenu envisageable, puis probable. Car outre l’élection présidentielle, le 3 novembre, les Américains seront appelés aux urnes pour le renouvellement du Congrès, dont un tiers du Sénat. À trois semaines du scrutin, les démocrates, majoritaire à la Chambre des représentants, apparaissent en mesure de reprendre le contrôle de la chambre haute. Une situation encore inespérée au début de l’année.
Avec 53 sièges sur 100, les républicains sont majoritaires au Sénat, et cela depuis les élections de mi-mandat de 2014, lorsque Barack Obama était encore président.
Or, l'enjeu est de taille : un Congrès totalement démocrate permettrait à Joe Biden d'appliquer sereinement son programme, tandis qu'un Congrès divisé entre démocrates et républicains réduirait considérablement sa marge de manœuvre.
"Le Sénat ne devait pas être un enjeu. C’est une grosse machine qui a du mal à évoluer. Et comme il y a une très grande stabilité dans cette chambre, tout le monde s’attendait à ce que les républicains gardent la majorité assez facilement", explique Jean-Éric Branaa, chercheur spécialiste des États-Unis à l'université Paris-2 Panthéon-Assas, contacté par France 24.
En début d’année, les républicains pensaient surfer sur le fiasco de la procédure d’impeachment contre Donald Trump pour convaincre les électeurs centristes de voter pour eux, mais depuis, le nouveau coronavirus est venu rebattre les cartes. La mauvaise gestion présidentielle de la crise sanitaire pourrait coûter aux républicains non seulement la Maison Blanche, mais aussi le Sénat.
L’électorat senior tourne le dos aux républicains
"Le vent s’est levé dans le dos de Joe Biden, et avec lui, c’est tout un mouvement anti-Trump qui prend de l’ampleur, souligne Jean-Éric Branaa. Même les seniors, qui avaient voté à 53 % pour Donald Trump en 2016, ne comprennent pas pourquoi il a été aussi léger avec cette maladie. Les derniers sondages montrent désormais un différentiel de plus de 20 points en faveur de Joe Biden dans cette partie de l’électorat." Un renversement qui devrait avoir des conséquences sur les élections sénatoriales.
Les candidats démocrates, qui ont repris la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat il y a deux ans, font également campagne en rappelant à l’envie que de nombreux sénateurs républicains se sont positionnés contre l’extension de l’assurance maladie à destination des plus pauvres (Medicaid). Or, la pandémie de Covid-19 a mis au chômage des millions d’Américains qui se sont retrouvés du jour au lendemain sans couverture santé.
Outre l’impopularité de Donald Trump et les enjeux liés à la situation sanitaire et économique, le renouvellement du Sénat par tiers tous les deux ans joue également contre les républicains cette année. Ils sont ainsi 23 sénateurs républicains en course pour leur réélection contre seulement 12 sénateurs démocrates.
Or, plusieurs élus républicains l’avaient emporté de justesse en 2014. Ce fut le cas notamment des sénateurs du Colorado, Cory Gardner, et de la Caroline du Nord, Thom Tillis – ce dernier ayant été élu avec seulement 46 000 voix d’avance sur son adversaire démocrate.
Lindsey Graham menacé dans son fief en Caroline du Sud
"Clairement, les démocrates devraient l’emporter dans ces deux États, juge Jean-Éric Branaa. Ils ont aussi de bonnes chances dans le Maine et en Arizona, où la sortante, Martha McSally, n’a même pas été élue. Elle avait été nommée par le gouverneur après la mort de John McCain."
Ces quatre sièges permettraient aux démocrates de faire basculer le Sénat de leur côté, mais ces derniers voient plus loin. L’Iowa, le Montana, la Géorgie sont aussi dans leur viseur. Et même la Caroline du Sud, où l’une des figures du Parti républicain, Lindsey Graham, pourrait se retrouver en difficulté.
Ce dernier, président du comité judiciaire du Sénat, est accusé par son adversaire démocrate, Jaime Harrison, d’avoir accepté de lancer la procédure d’investiture à la Cour suprême d’Amy Coney Barrett avant l’élection présidentielle du 3 novembre. Or, Lindsey Graham avait affirmé en 2016 et en 2018 qu’il refuserait toute nomination à la Cour suprême dans la dernière année de mandat de Donald Trump.
"Même s’il devrait conserver son poste, sa situation montre à quel point le sort de certains sénateurs républicains est lié à celui du président, souligne Jean-Éric Branaa. À tel point que des candidats tentent de se détacher de lui. Martha McSally et Thom Tillis, notamment, ont demandé à Donald Trump de ne plus venir dans leur État."