Epic, le créateur du célèbre jeu de tir Fortnite, est parti en croisade contre Apple et la commission de 30 % que le groupe prélève généralement sur chaque transaction effectuée dans une application. Une bataille à très fort enjeu avec l'ouverture, lundi, d'un chapitre judiciaire crucial.
La “Battle royale” tech du moment continue à se jouer devant les tribunaux américains. Lundi 28 septembre, Epic, le développeur du jeu de tir aux 350 millions d’utilisateurs Fortnite, retrouve en justice Apple, le géant américain qui vend des iPhone comme des petits pains, dans une procédure qui pourrait changer la face du jeu vidéo sur mobile et plus généralement le modèle économique de la marque à la pomme.
À première vue, la procédure ressemble à une bataille de Goliath contre Goliath, comme il y a en tant d’autres dans le monde tech. D’un côté, Epic exige qu’Apple rouvre les portes de l’AppStore à Fortnite, bannie en août 2020, et qu'il ait l'autorisation de développer des jeux et applications pour les iPhone et iPad. De l’autre, le célèbre fabricant de smartphones soutient qu’Epic a violé des règles connues de tous et doit donc en subir les conséquences.
Assaut frontal contre le modèle économique des App Store
Mais en réalité, le développeur de Fortnite - détenu à 40 % par le géant chinois Tencent - a pris les rênes d’une fronde plus large contre des pratiques commerciales d’Apple jugées “tyranniques”.
Epic a dégainé le 13 août dernier en offrant aux joueurs sur mobile (iPhone ou Android), la possibilité de payer pour des armes virtuelles ou améliorations en contournant les règles établies par Apple et Google. D’ordinaire, ces deux mastodontes prélèvent 30 % sur chaque transaction effectuée dans une application. Le système inventé par Epic les privait de cette commission.
Personne n’avait jamais attaqué aussi frontalement le très profitable modèle économique créé par les deux géants du mobile. Leur réaction n’a pas tardé : ils ont bouté Fortnite hors de leur magasin d’application. Sur les smartphones Android (le système d’exploitation de Google), le jeu peut toujours être téléchargé en passant par d’autres canaux… mais pas sur les iPhone.
Près de 130 millions de joueurs ont été privés, du jour au lendemain, de leur dose quotidienne de Fortnite sur les smartphones d’Apple. Ils sont les victimes collatérales de la bataille menée par Epic pour mettre un terme à la dîme de 30 % prélevée sur chaque transaction par la marque à la pomme et Google.
Car le développeur ne s’en cache pas : sa provocation du 13 août visait à pousser Apple à l’exclure de l’App Store pour enclencher la bataille judiciaire qui s’en est suivie. Dans un entretien accordé au New York Times, Tim Sweeney, le PDG d’Epic, a reconnu que son groupe, qui génère un chiffre d’affaires de plus de 17 milliards de dollars par an, peut se permettre de payer les 30 % sur chaque transaction, mais qu’il s’agissait d’une question de “principe” pour défendre les intérêts de tous ces “développeurs qui se font moins d’argent qu’Apple avec leurs applications” à cause de cette commission.
Devant les tribunaux, Epic a accusé le père des iPhone d’”abus de position dominante” pour imposer une politique tarifaire injuste. Sa croisade a attiré un large mouvement de sympathie parmi les concurrents de la marque à la pomme. Microsoft et Facebook ont, tous les deux, soutenu Epic dans sa démarche. Mark Zuckerberg, le très influent patron du réseau social, a même déclaré “qu’il faudrait regarder de plus près si le contrôle qu’Apple exerce sur son App Store” n’est pas un frein à la concurrence.
Coalition anti-Apple
Une coalition s’est même formée, jeudi 24 septembre, pour apporter du poids médiatique aux revendications d’Epic. Composée de 20 entreprises du web et des médias, dont le service de streaming musical Spotify ou encore Match Group (propriétaire de l’appli de rencontre Tinder), elle réclame aussi une commission moins élevée sur les transactions via les applications.
Ce front anti-Apple estime que plus rien ne justifie ces 30 %. “À l’origine, ce tarif devait permettre à Apple de financer les investissements dans sa plateforme pour se faire une place dans un environnement ultra-concurrentiel”, rappelle le Washington Post. En 2008, les développeurs qui ne voulaient pas payer cette commission pouvaient toujours se tourner vers Nokia ou BlackBerry, qui dominaient encore le marché.
Mais le paysage a bien changé. Apple a balayé la plupart de ses concurrents et l’App Store n’est plus une fleur fragile en plein développement… Alors pourquoi maintenir cette commission à un tel niveau, demandent les membres de la coalition emmenée par Epic ?
Le géant de Cupertino répond que cela coûte cher de s’assurer du bon fonctionnement d’une plateforme qui reçoit 100 000 nouvelles applications par semaines. Il faut payer les quelque 500 experts chargés de vérifier que tout est en ordre.
Apple accuse aussi Epic de se faire passer pour le chevalier blanc des développeurs d’application, alors que le groupe chercherait simplement à obtenir un “traitement de faveur” en raison de la popularité de Fortnite.
Apple ne veut pas se retrouver hors jeu
Mais surtout, Apple peut difficilement plier. L’App Store rapporte entre 15 milliards et 19 milliards de dollars par an au groupe, estiment les analystes financiers. Et la commission de 30 % joue un rôle central dans cette machine à profits, assure le New York Times.
Cette taxe sur les transactions constitue aussi le seul moyen actuellement pour Apple de profiter du boom des jeux sur mobile. Le groupe n’a pas suivi le chemin de Google, Amazon ou Microsoft, qui ont tous développé des services de jeux en ligne disponibles sur smartphone pour essayer de profiter de ce marché qui vaut 68,5 milliards de dollars.
Si Apple laissait les joueurs payer directement leurs achats dans Fortnite à Epic, il ouvrirait une porte que tous les développeurs de jeux voudront emprunter. La marque à la pomme resterait alors sur le bord du chemin de l'un des rares secteurs qui affichent encore une croissance annuelle à deux chiffres.